Nicolas Sarkozy remet en cause le droit du sol dans l’acquisition de la nationalité française. Auteur du Sens de la République, l’historien Patrick Weil décrypte les marqueurs de l’identité dans l’Hexagone.
Le Vif/L’Express : Qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ?
Patrick Weil : Etre français, c’est d’abord disposer de la nationalité française. La nationalité française est le fruit d’une longue histoire, qui a sa spécificité. La France a été le premier pays à inventer l’attribution de la nationalité par la filiation, dans le Code civil. Dès 1803, la nationalité se transmet dorénavant comme le nom de famille par le père, même si l’enfant naît à l’étranger. Mais, à la fin du XIXe siècle, la France est devenue le premier pays d’immigration en Europe. Les enfants d’étrangers échappent au long service militaire qui s’impose aux Français. Leurs élus réclament l’égalité des devoirs pour ces Français sociologiques faussement étrangers. Le droit du sol rétabli intègre les enfants et surtout les petits-enfants d’étrangers nés en France. Depuis, filiation et naissance sur le sol se mêlent pour faire des Français par le lien de famille et l’éducation en France. Mais, pour 95 % des Français, c’est quand on est né en France d’un parent aussi né en France que l’on prouve aisément que l’on est français. Par la simple filiation, c’est souvent un cauchemar. Ceux qui veulent remettre en question le principe du droit du sol ne mesurent pas la forte insécurité qui en découlerait pour la grande majorité des Français.
Pourquoi ne considérez-vous pas la notion de territoire comme un des piliers de la nation française ?
Ce qui fait la France, ce n’est pas un territoire. Bien évidemment, les Français sont tous attachés à leurs paysages, à leur extraordinaire beauté et diversité. Mais lorsqu’un Niçois visite pour la première fois Calais, il n’est pas chez lui : il ne connaît rien de ses rues, de son port, de ses habitants. Pourtant, il se sent quand même un peu chez lui. Pourquoi ? Parce qu’on y parle la même langue et qu’il voit sur le fronton de la mairie » Liberté, Egalité, Fraternité « , parce qu’il trouve des interlocuteurs, s’il se met à parler politique. Ce qui fait que les Français se sentent chez eux partout en France, ce sont nos référents communs. La France existerait tout autant si son territoire était différent. Et certains de ses territoires ressemblent à d’autres en Europe. Pas ces référents communs. Or, ces derniers sont propres à tous les Français, même à ceux dont certains doutent de la francité. Parce qu’ils ne connaissent pas leur histoire. Et parce qu’on ne se parle pas assez. C’est cela qu’il faut changer.
N’est-il pas trop tard pour lutter contre le communautarisme ?
Le communautarisme, ce n’est pas le fait de vivre dans un quartier avec des personnes de la même confession ou de la même origine. Le communautarisme, cela consiste à dire que la loi de son groupe est supérieure à la loi commune de la République. Après les attentats de janvier 2015, on a parlé sans retenue du mariage d’Amedy Coulibaly avec Hayat Boumeddiene. Or, ils n’étaient pas mariés au sens légal. La longueur d’une jupe n’a jamais fait partie des lois de la République française ; en revanche, l’interdiction absolue de se marier religieusement avant d’être passé devant le maire est un principe fondateur de la laïcité française depuis 1792. La laïcité repose en priorité sur la liberté de conscience, comme l’a écrit Georges Clemenceau (NDLR : ministre de l’Intérieur et Premier ministre français du début du xxe siècle), c’est pourquoi elle organise la circulation entre les espaces, pour éviter que vous restiez enfermé dans votre groupe, en l’occurrence religieux, dans lequel vous pourriez subir des pressions. La loi prévoit donc que vous sortiez de votre espace privé pour entrer dans l’espace public en passant par la mairie, au moins une fois dans votre vie, au moment du mariage. La violation de cette loi aurait dû indigner les dirigeants politiques français. Il n’en a rien été. Il est temps qu’eux aussi réapprennent ce qui est important dans la laïcité.
Le Sens de la République, par Patrick Weil, avec Nicolas Truong. Grasset, 180 p.
Propos recueillis par Christian Makarian