Liaison dangereuse
Patrick Poivre d’Arvor s’était-il déjà livré à un plagiat avant l' » affaire Hemingway » ? L’une de ses ex-amantes l’accuse en justice d’avoir emprunté de longs passages signés de sa main dans un roman sorti en 2009. Révélations.
L' » affaire Hemingway » ne pouvait tomber à pire moment pour Patrick Poivre d’Arvor. Le Vif/L’Express peut révéler que l’ex-star du 20 Heures, qui se débat avec les accusations de plagiat relatives à sa biographie du grand romancier américain (voir Le Vif/L’Express du 7 janvier), va comparaître devant la justice, le 9 février prochain, pour » contrefaçon » – le terme juridique qui désigne le plagiat. Au c£ur du litige, un roman cette fois-ci, Fragments d’une femme perdue, publié chez Grasset en 2009. Très différente du » cas » Hemingway, cette affaire, qui va être examinée par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, ressemble à un véritable casse-tête juridico-littéraire, sur fond de romance amoureuse. Du pur PPDA, serait-on tenté de direà
Tout commence dans une tribune de Roland-Garros, lors de la finale du tournoi 2006. Entre deux échanges, » Poivre » lie connaissance avec une ravissante jeune femme aux longs cheveux châtains. Agathe Borne, de vingt-cinq ans sa cadette, a tâté brièvement du mannequinat et brûle pour la littérature – Henry Miller est son auteur de chevet. La voilà bientôt qui succombe au charme du journaliste de TF 1, alors au faîte de sa gloire. Elle rêve d’écrire ? Il sera son Pygmalion. Une tumultueuse liaison va bientôt les unir : voyages (Venise, Cap-Ferret, Corseà), écriture (ils vont cosigner un texte sur la photographe Diane Arbus), télévision (la jeune femme devient chroniqueuse dans l’émission littéraire de PPDA, sur TF 1, Vol de nuit), fêtes somptueuses (réveillon à l’Opéra, dîners au Fouquet’s) et, même, couverture de Paris Match montrant le couple, radieux, sur les marches du Festival de Cannesà Bref, une histoire qui oscille en permanence entre Voici et Belle du seigneur.
Soudain, en 2008, la rupture. Agathe Borne, mère de deux enfants, retrouve son mari et leur confortable appartement de la place des Vosges, à Paris. C’est alors que la littérature va rattraper la » vraie vie » : à la rentrée 2009, Patrick Poivre d’Arvor publie Fragments d’une femme perdue. Ce » roman » – le mot figure en toutes lettres sur la couverture – est une transposition transparente de son idylle avec Agathe Borne. Qu’on en juge : le héros, Alexis, quinquagénaire séducteur, écrivain qui roule en scooter, fait fondre les femmes » avec ses bons yeux de chien en mal de reconnaissance « , avant de perdre son travail à la rentrée 2008 – tout comme PPDA son journal de 20 heuresà Elle, Violette, a vingt-cinq ans de moins que lui, adore Henry Miller, coécrit avec » Alexis » sur Diane Arbus, monte les marches de Cannes à son bras et finit par le fuir à Rio, où il tente de la retrouver, en vain (ce que fit en effet un PPDA, éperdu d’amour, sautant dans un avion pour le Brésilà). A ce stade, est-il encore besoin de préciser que nos deux amants se rencontrent à Roland-Garros ?
D’autres détails, moins » primesautiers « , achèvent de brosser le portrait d' » Agathe-Violette « , donnant au roman de faux airs de vengeance amoureuse : elle serait call-girl ou lesbienne à ses heures perdues, a fait une tentative de suicide et subi plusieurs avortements durant sa liaison avec Alexis. Sans parler de nombreux passages plutôt lestes. En janvier 2010, un an avant l' » affaire Hemingway « , la jeune femme demande donc à son avocate, Me Nathalie Dubois, de déposer plainte contre PPDA pour violation de vie privée. Mais, beaucoup plus surprenant, elle l’attaque également pour contrefaçon.
Pourquoi contrefaçon ? Parce que Fragments d’une femme perdue, en grande partie un roman épistolaire, reprendrait mot pour mot, sur des pages et des pages, 11 longues lettres enflammées qu’Agathe Borne a envoyées à PPDA. Au total, cette correspondance occupe intégralement une bonne dizaine de chapitres. Or le droit est formel : si une lettre appartient bien physiquement à son destinataire, la décision de la publier – ce que l’on appelle le » droit moral » – relève, elle, uniquement de son auteur. Et nécessite une autorisation dûment signée. A l’appui de son accusation, Agathe Borne fournit donc copies de deux lettres manuscrites (les seules que PPDA lui ait retournées, après les avoir annotées), un fax, de très longs messages écrits sur iPhone (authentifiés par un huissier), ainsi que des carnets et brouillons où elle rédigeait ses missives avant de les envoyer. Tout ce matériau se retrouve in extenso dans Fragments d’une femme perdue.
Ainsi, par exemple, si Agathe Borne a écrit à PPDA, le 20 octobre 2007, sur papier à en-tête du Ritz : » C’est dans cette chambre dédiée à Chopin que j’ai retrouvé un peu de joie de vivre. Et l’homme que j’aime « , Violette, dans le roman, à la même date, tracera exactement les mêmes mots à destination d’Alexis. Idem pour ces lignes torrides, que l’on retrouve dans une » vraie » lettre du 4 septembre 2006 et dans Fragments d’une femme perdue : » Tes caresses me font perdre le souffle. Je suffoque. Déclenche l’alarme. Une urgence d’amour. » Pas exactement du Choderlos de Laclos, on le voit. Il n’empêche : PPDA a directement » emprunté » à son » ex » une petite trentaine de pages de son roman.
Un week-end de » réconciliation «
Au moment de sa sortie, lors de plusieurs interviews télévisées, » Poivre » s’est pourtant évertué à expliquer, comme ce 3 octobre 2009, dans On n’est pas couché, face à Laurent Ruquier, que tout son travail d’écrivain avait consisté à se mettre dans la peau d’une femmeà Mais face à la menace judiciaire, alors que le roman s’est honorablement écoulé à 24 000 exemplaires, la stratégie va changer. Au côté de l’avocat de Grasset, Me Dominique de Leusse, Me Francis Teitgen, défenseur de PPDA, devrait en effet sortir de son chapeau devant le tribunal une attestation écrite de Dominique Ambiel. Que vient faire ici l’ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin à Matignon – on se souvient qu’il avait défrayé la chronique lorsqu’il fut condamné, en 2005, pour sollicitation de prostituée mineure ? Aujourd’hui producteur de La Traversée du miroir, l’émission que Poivre d’Arvor présente chaque semaine sur France 5, Ambiel certifie qu’Agathe Borne aurait relu, devant lui, dans sa maison de Corse-du-Sud, lors d’un week-end de » réconciliation » (ratée) avec PPDA, à la fin de mai 2009, les épreuves de Fragments d’une femme perdue. Toujours selon lui, non seulement la jeune femme n’aurait pas protesté contre d’éventuels emprunts à sa correspondance, mais aurait même souhaité figurer en photo sur la couverture du livre (ce qui ne fut pas le cas). De son côté, toujours par la voie de son avocat, PPDA ajoute que, à la demande de son ancienne compagne, il aurait renoncé à l’appeler » Violette B. « , comme » Borne « , dans le roman, tout comme il aurait supprimé toute allusion à ses deux enfants.
On le voit, c’est à un dossier particulièrement complexe que les juges vont s’attaquer, le 9 février. Epineux en droit, tout d’abord : l’utilisation, dans une fiction, sans autorisation, de lettres d’amour réelles d’un tiers relève-t-elle bien de la contrefaçon ? Délicat humainement, aussi : avec ce roman, où s’arrête la vengeance et où commence le plagiat ? Et puis, jusqu’où Agathe Borne a-t-elle joué de la notoriété de son amant journaliste-écrivain, avant de se retourner contre lui ? Il est à noter qu’à l’époque la jeune femme avait systématiquement attaqué tous les titres de la presse people évoquant sa liaison avec le célèbre présentateur.
Le procès du 9 février ne devrait pas sonner les retrouvailles de PPDA et de sa » femme perdue « . Tous deux éviteront sans doute de se rendre à l’audience : la jeune femme, âgée de 37 ans aujourd’hui et qui se dit traumatisée par cette affaire, est partie s’installer à New York avec ses enfants. Quant à Patrick Poivre d’Arvor, comme on le sait, il récrit en urgen-ce une biographie d’Ernest Hemingway.
JÉRÔME DUPUIS
11 LONGUES LETTRES ENFLAMMÉES REPRISES MOT POUR MOT
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