L’homme qui aimait les femmes

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

A 39 ans, Charles monnaie ses caresses auprès de celles qui en manquent.  » La plupart de mes clientes sont des femmes normales. On est loin des clichés « , assure cet escort boy haut de gamme. Témoignage.

Il n’y a que son meilleur ami qui est au courant. Il l’envie, d’ailleurs : Charles n’est pas seulement coach en entreprises. Tempes grisonnantes, bouc taillé au cordeau et droit dans son impeccable costume, il vend aussi son corps, un peu de son âme et quelques heures de son temps aux femmes qui le paient pour partager un moment de vie avec lui. Et, le plus souvent, un petit coin de lit.

Rien ne le prédisposait, a priori, à devenir ce professionnel-là.  » Adolescent, j’étais plutôt le bon copain des filles. J’avais du mal à les séduire et j’assistais avec envie aux conquêtes de mes amis.  » A l’époque, il avait certes… des lunettes. Sa mise n’était pas celle de ce presque quadragénaire penché sur son ordinateur de poche dernier cri, deux téléphones portables à portée de main.  » Il a fallu qu’une amie me traite de coureur de jupons pour que je réalise que l’on pouvait me percevoir comme tel. Ensuite, j’ai changé. Beaucoup. Peut-être que j’avais une revanche à prendre. « 

Manque de tendresse

Comme il lui semble qu’il ne manque pas de talent pour toucher les femmes, au propre comme au figuré, Charles décide de facturer les caresses qu’il prodigue. Depuis trois ans, il rencontre ainsi des dames, deux à quatre fois par semaine, tendrement, passionnément, professionnellement. Il pourrait vivre de cette activité, facturée 150 euros l’heure, mais il aime aussi rester dans le monde des affaires. Notamment pour pouvoir alimenter les conversations lorsqu’il accompagne, aux dîners mondains, aux vernissages d’expositions ou à ces réceptions si ennuyeuses les femmes qui l’y invitent pour s’y ennuyer moins.

Bien peu d’entre elles correspondent à l’idée que l’on se fait généralement de ces clientes : fripées par les années, lourdes de l’or qui dégouline en bijoux sur leurs bras, et avides de s’offrir, peut-être une dernière fois, un petit tour au septième ciel.  » La majorité des femmes qui font appel à moi sont normales, insiste Charles. Elles ont une vie de famille, un travail, des enfants. Elles peuvent être jeunes et belles. Presque toutes sont en manque de tendresse et d’affection. La plupart m’assurent qu’on ne leur a jamais parlé comme je le fais avec elles ou que l’on n’a jamais manifesté autant d’attentions à leur égard. « 

Elles sont femmes d’affaires, disposant de peu de temps mais soucieuses d’organiser – et de maîtriser – jusqu’à leur vie sexuelle. Elles sont mariées depuis des lustres avec un pigeon voyageur. Elles sont célibataires et ne veulent pas s’engager dans une relation qu’elles redoutent. Elles ont envie de convertir un fantasme en réalité. Elles sont en couple mais plus personne ne les touche.  » Mes clientes ont le plus souvent envie de massages, de caresses, de baisers. Pas forcément de plus. Mais, dans 90 % des cas, notre rencontre se termine quand même par un passage à l’acte. « 

Il y a encore ces belles qui déboulent en affichant leur totale ignorance des feux de l’orgasme, en dépit de multiples tentatives pour l’approcher.  » Vous êtes mon dernier espoir.  » Et celles qui économisent pendant des mois pour s’offrir… Charles. Certaines de ses clientes lui sont même envoyées par leur conjoint, pour  » suivre une formation « , dit-il pudiquement, dont le sadomasochisme est exclu. Ou parce que des hommes préfèrent pour leur compagne une relation extraconjugale consentie avec un professionnel, jugé moins dangereux qu’un amant dont elle pourrait s’éprendre. Il arrive aussi que des hommes assistent aux dits ébats, ou invitent leur conjointe à les leur raconter plus tard, par le menu.

Des femmes qui se jugent mal

Bien sous tous rapports, comme on pourrait le dire avec malice, Charles est célibataire. Il ne voit pas comment il pourrait s’engager durablement dans une relation sincère en poursuivant cette activité-là. Les femmes dont il fait la connaissance sont des personnes de qualité, dit-il. Jamais elles ne lui ont manqué de respect et il est très rare qu’une rencontre lui déplaise.  » Bien des femmes doutent de leur physique ou de leur capacité de séduction, observe-t-il : elles se croient laides ou trop rondes, alors que ce n’est pas le cas. Elles se jugent mal. En toutes, il y a du charme à trouver. « 

A force de côtoyer des femmes attachantes, Charles s’est attaché à certaines d’entre elles. Il les retrouve avec plaisir, si elles l’appellent. Mais toujours dans un cadre professionnel.  » Je ne propose jamais mon amitié. Ça embrouille tout. L’argent permet la distance.  » Tout au plus offre-t-il des réductions aux femmes qu’il préfère. Ravies, elles glisseront discrètement la somme due dans la poche de son veston, pendant qu’il prend sa douche.

Jusqu’à présent, Charles n’a jamais éprouvé de coup de foudre au cours de cette carrière particulière. Le cadre posé au départ devrait servir de paratonnerre, mais certaines clientes ne s’en sont pas moins éprises de lui, à son grand étonnement.  » Dans ce type de transactions, on est censé briser moins de c£urs que sur des sites de rencontres traditionnels.  » Si nécessaire, Charles rappelle donc les règles du contrat passé. Lui vit sa vie sans être amoureux.  » Mais on ne peut pas réprimer les sentiments quand ils surviennent. Sans doute me tomberont-ils un jour sur la tête. Alors, j’aviserai. « 

Pragmatique, Charles évo-que ses prestations de gigolo comme il le ferait de toute autre activité économique. Il parle de  » marché « .  » Alors qu’il pourrait se développer, ce n’est pas le cas à cause des amateurs, des minets de 26 ans qui se savent beaux et qui pensent gagner facilement de l’argent de cette manière. Dans ce métier, on trouve le meilleur comme le pire, mais souvent le pire. En Belgique, je considère qu’il y a quatre escort boys professionnels, dont trois en Flandre. Je veux rendre ses lettres de noblesse à la profession.  »

Pour autant, Charles ne joue pas sur les mots : c’est bien de prostitution qu’il s’agit. Il le sait et il le dit. Mais point, ici, de proxénétisme. Point de cette misère qui pousse d’aucuns à vendre leur corps pour des raisons financières. Ce métier plaît à Charles.  » J’aime la et les femmes. J’ai découvert que donner du plaisir m’en procure davantage que si je me contentais d’en prendre. C’est devenu ma motivation première. J’ai un côté chevalier blanc. Je suis heureux de changer la vie de mes clientes, même une heure. Je fréquente de beaux hôtels, de grands restaurants, je gagne de l’argent. Tant que je ne me perds pas dans un rôle qui n’est pas le mien, je continuerai. Je ne veux pas faire ce métier par habitude.  » Passe l’ombre d’une petite pilule bleue, dont Charles affirme ne pas se servir. Passe l’ombre d’une panne, qu’il assure ne jamais connaître. Passe l’ombre du sida, encapuchonné dans les préservatifs de rigueur…

 » A la réflexion, ce métier me donne une image des hommes qui n’est pas reluisante, même si elle n’est pas représentative. Ces messieurs ne se rendent souvent pas compte des perles avec lesquelles ils vivent. Et ils n’en prennent pas soin. Faire l’amour en trente secondes, ce n’est pas faire l’amour. Quand on donne de l’attention sincère aux femmes, elles sont à vos pieds… « 

 » Chez moi, c’est moi « 

Serait-ce cela, alors, que Charles recherche ? Il jure que non. Qu’il est romantique et favorable à l’égalité entre ils et elles. Qu’ils n’a pas envie de sentir les femmes en son pouvoir.  » En tout cas pas consciemment. J’ignore ce qu’en dirait un psy « , sourit-il. Mais il n’est pas peu fier d’avoir été offert en cadeau de Noël. Ni d’avoir permis à une de ses compagnes de passage de découvrir qu’elle était femme fontaine.

Le soir venu, Charles rentre souvent chez lui. Il feuillette un journal, il se prépare un repas, il regarde le JT, comme tout le monde. Seul.  » Chez moi, c’est moi. Je n’y ramène jamais personne. Je me sens en sécurité. C’est un lieu où je suis sans masque. C’est là que je reçois ma maman. « 

LAURENCE VAN RUYMBEKE

 » ce métier me donne une image des hommes qui n’est pas reluisante « 

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