L’Histoire dans les yeux d’un enfant

Louis Danvers Journaliste cinéma

Dans le précieux Machuca, Andrés Wood revient de manière émouvante sur l’époque du coup d’Etat militaire qui porta Pinochet au pouvoir au Chili

L’histoire de Gonzalo et de Pedro Machuca, il fallait que je la raconte, que j’en fasse un film. Elle m’a replongé dans les souvenirs d’une enfance à la fois heureuse et semée de tristesse parce qu’elle s’est brisée avec le coup d’Etat, le début de la dictature…  » Andrés Wood avait 7 ans lorsque la mort brutale de Salvador Allende marqua la fin de la démocratie au Chili et la prise du pouvoir par Pinochet et ses militaires félons.  » Dans mon école, il y avait beaucoup d’enfants des quartiers misérables installés sur les rives de la rivière Mapocho. Dans ma classe, une quinzaine d’entre eux avaient été invités à nous rejoindre par un prêtre américain aux idées progressistes, qui voulait ainsi briser les barrières sociales et fournir aux plus pauvres une scolarité de qualité. Le régime militaire allait évidemment mettre fin à ce genre d’expérience…  »

Dans Machuca, Wood raconte l’histoire d’un gamin qui lui ressemble un peu, mais qui a déjà 11 ans ( » un âge proche de l’adolescence, un âge plus crucial et où l’on comprend plus de choses « ). Gonzalo Infante habite dans un quartier bourgeois, il étudie dans une école privée réputée, où le père McEnroe a décidé d’intégrer des enfants du bidonville situé quelques pâtés de maisons plus loin. Une initiative diversement appréciée des parents, mais qui permet à Gonzalo de rencontrer Pedro Machuca, un garçon de son âge avec lequel, malgré les différences culturelles et sociales, malgré, aussi, une méfiance de départ, il va bientôt entamer une relation d’amitié.  » Le microcosme de l’école offre, bien sûr, une vision concentrée de la société chilienne tout entière « , explique Andrés Wood, dont le film veut tout à la fois rappeler les espoirs de la période Allende et la manière brutale avec laquelle ils furent écrasés sous la botte des militaires, les enfants devenant les témoins directs, comme les victimes, d’un cruel rappel à la réalité inégalitaire et armée.

Un pays toujours divisé

Machuca évoque le coup d’Etat de manière extraordinaire et subtile, par une séquence filmée depuis les toits de la banlieue de Santiago, au-dessus desquels passent soudain deux avions qui vont attaquer le palais présidentiel de la Moneda où mourra le président Allende. De loin, nous voyons s’élever les fumées causées par les impacts et les incendies qui s’ensuivent. La distance rend encore plus terribles ces événements vieux d’une bonne trentaine d’années, mais dont les conséquences sont encore importantes.  » Cette vision correspond à ce que moi-même et ma famille avons pu voir ce jour-là, de nos propres yeux « , commente Andrés Wood qui ajoute :  » Tout mon cinéma se veut ancré dans l’expérience des gens, et aspire à refléter des regards humains.  »

 » La société chilienne est toujours divisée aujourd’hui sur les événements de l’époque « , poursuit le réalisateur qui se rappelle comment, dans son quartier, certains sortirent le champagne pour célébrer le coup d’Etat…  » Pinochet garde de nombreux supporters dans les milieux auxquels l’injustice économique profitait, parmi les tenants d’un ordre que la démocratie sociale d’Allende menaçait. La grande victoire de la dictature aura été de faire considérer à une partie importante de la population que la vie humaine avait moins de valeur que cet ordre économique…  » En mai de l’année dernière, au Festival de Cannes, où Machuca était projeté en première mondiale, Wood espérait que  » le parti pris de présenter les choses à travers les yeux d’enfants ferait que le public, même de l’autre bord politique, pourrait s’intéresser au film et accepter au moins de s’interroger, avec, à la clé, un débat dont le pays a besoin s’il veut aller de l’avant, au-delà des affrontements idéologiques et des vieilles ranc£urs ruminées depuis des décennies « .

Matias Quer et Ariel Mateluna, ses deux jeunes interprètes au naturel confondant, auront beaucoup fait pour la réussite de l’£uvre salutaire d’un Andrés Wood plaçant son rôle citoyen au c£ur de sa démarche d’artiste.

Louis Danvers

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire