Peu connu du grand public, Andrea Viterbi est l’un des pères de la téléphonie cellulaire. Sa biographie, parue aux Editions Labor, est un roman de l’ère digitale
Hormis les ingénieurs spécialisés en communication, peu de personnes connaissent l’algorithme de Viterbi. Pourtant, sans cet ensemble de règles mathématiques, des millions de téléphones portables seraient incapables de communiquer correctement entre eux. L’histoire de l’algorithme de l’Américain Andrea Viterbi commence dans les années 1960, avec le son des errantes dans le cosmos : comment optimiser la qualité du signal sonore envoyé par ces engins ? Les signaux, lorsqu’ils doivent parcourir des millions de kilomètres, arrivent à destination, perdus dans une véritable soupe de bruits. Ces parasites ont deux origines : les équipements électroniques et la galaxie. Le ronflement des machines peut être éliminé en refroidissant les circuits. Par contre, il n’y a aucune parade contre les radiations de fond. Il faut donc apprendre à optimiser la qualité du signal. Ce sera, en partie, le sujet de la thèse de doctorat présenté par Viterbi en 1963. Pour les profanes, sa théorie est une lointaine nébuleuse. Publié dans la revue théorique de l’institut américain d’ingénieurs en électricité et en électronique, un premier article, » Limites d’erreur pour les codes convolutionnels et algorithme pour le décodage asymptotiquement optimalisé » donne d’ailleurs le ton de ses recherches… En simplifiant au maximum, on peut dire que le système mathématique de Viterbi diminue les interférences en ajoutant du bruit contrôlé. Le problème, c’est que l’algorithme demande une puissance de calcul importante. Pour ses collègues, une telle méthode exige l’utilisation d’un calculateur qui n’existe pas : » Un ordinateur aussi performant ne se rencontre que dans les films de science-fiction ou dans les romans d’Asimov. Dommage que ta splendide invention ne puisse fonctionner que dans l’imagination « , lui assènent-ils. Mais avec les microchips des années 1970 et 1980, capables d’exécuter des millions d’opérations à la seconde, l’algorithme permettra de passer de la théorie à la pratique. Sous forme de programme, il sera imprimé dans les plaquettes de silicium et s’invitera dans les modems, les téléphones cellulaires, les satellites et les téléviseurs… Grâce à Viterbi, tous ces appareils se moquent, à présent, des interférences capables de brouiller leurs signaux.
En parcourant la vie de Viterbi – de l’Italie qu’il quitta à 4 ans avec ses parents pour fuir la dictature de Mussolini, jusqu’à la création de la société Qualcomm, chargée de promouvoir la technologie à la base des cellulaires à bande large – on ne suit pas que la naissance d’un algorithme. On quitte le monde analogique pour se plonger dans la pensée digitale. Avec Viterbi, le son ne se trouve plus dans le sillon d’un disque, les montres ne courent plus derrière leurs aiguilles, la température ne se mesure plus avec une colonne de mercure. Les signaux ne sont plus imités, mais codifiés, transformés en séries de nombres capables de reproduire l’original. Le rythme des bits devient le tempo de nos sociétés. Un tempo capable d’endormir nos esprits, s’inquiète d’ailleurs aujourd’hui le savant de 71 ans. » Trop de gens passent leur journée l’oreille rivée à leur téléphone portable, ou les mains collées à leur clavier d’ordinateur sans plus se poser de questions. Comme si l’on n’avait absolument rien sauvé sur le disque dur de leur âme, comme si le passé avait été rasé et que le présent était une fête perpétuelle « , confie-t-il à Riccardo Chiaberge. l
Informations : L’homme qui inventa le téléphone portable, par Riccardo Chiaberge, Labor. Prix : 15 euros.
Vincent Genot