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L’été meurtrier

Ces dernières semaines, le Barça a donné l’impression de se morceler. Le président Josep Bartomeu est sur le bûcher et les joueurs se chargent d’apporter du bois à brûler. L’été a été torride sur la Costa Brava.

Deportivo Alavés – FC Barcelone, 0-2. Deux buts de Lionel Messi. Deux journées ont été disputées dans le championnat d’Espagne, et au premier coup d’oeil, rien n’a changé. Mais les apparences sont trompeuses. Car l’Argentin n’a quasiment pas célébré son premier but. Et, sur le deuxième, c’est à peine s’il a esquissé un sourire en direction du donneur d’assist, Paco Alcácer. Son expression corporelle ne laisse planer aucun doute : le numéro 10 n’est pas heureux. Et c’est un mauvais signe. Car, s’il y a une chose à laquelle le FC Barcelone doit veiller avant tout – et on le sait depuis l’époque de Pep Guardiola -, c’est à ce que Lionel Messi soit heureux. Or, il ne l’est pas. Sur le plan footballistique, on ne peut rien lui reprocher : il court, se rend disponible, dribble, passe et marque. Lors de la journée d’ouverture contre le Real Betis, il a aussi tiré à trois reprises sur le poteau. Mais son sourire, lui, reste profondément dissimulé dans sa barbe.

La dernière fois qu’il avait tiré la tête, comme si on avait fermé sa pizzeria favorite, c’était en janvier 2015. Luis Enrique s’en souvient comme si c’était hier. Ce coach, qui avait été intronisé au début de la saison 2014-2015 par le président Josep Bartomeu, avait voulu instaurer un système de rotation. C’était indispensable, selon lui, pour lutter toute la saison sur trois fronts. Mais Messi ne l’entendait pas de cette oreille. Il boudait comme un enfant dont on avait confisqué le jouet. Prendre place sur le banc, c’est pour lui une punition insupportable. Et c’était Luis Enrique qui la lui avait infligée. À la mi-janvier, lorsqu’un cinquième Ballon d’Or lui a été décerné au gala de la FIFA à Zurich et qu’on a projeté un film dans lequel son coach lui adressait des louanges, son visage est devenu pâle. Comme si la vue de son entraîneur lui procurait un sentiment de répulsion.

Le conflit aurait pris d’autres proportions si Bartomeu n’était pas intervenu. Le président a pris parti pour sa vedette et a tenté de faire comprendre à Enrique que Messi devait toujours jouer. Et, à partir de ce moment, il n’a plus quitté la pelouse, permettant au Barça de remporter trois trophées majeurs à la fin de la saison : la Ligue des Champions, la Liga espagnole et la Copa del Rey. En juin, Bartomeu a été réélu à la présidence du club. Tout était bien qui finissait bien, tout le monde était content.

Gros mensonge présidentiel

Depuis, deux années ont passé. La saison qui a suivi le triplé, les blaugranas ont encore remporté le titre et la Coupe, mais ils ont dû laisser la Champions League à l’ennemi juré, le Real Madrid de Zinédine Zidane et Cristiano Ronaldo. La saison dernière, les supporters du Barça ont dû se résoudre à laisser le titre et la coupe aux grandes oreilles du côté de la Plaza de Cibeles. La Copa del Rey, elle, est revenue sur la Costa Brava, mais c’était une maigre consolation.

Quelque chose devait changer, c’est clair. Le successeur de Luis Enrique a été trouvé en la personne d’Ernesto Valverde, mais celui-ci a dû patienter jusqu’à la mi-juillet pour accueillir son premier transfert entrant, un certain Nélson Semedo. Même si l’arrière droit portugais a coûté 30,5 millions d’euros, son arrivée n’était pas de nature à rassurer les socios. Ceux-ci étaient convaincus que Messi avait prolongé son contrat. Bartomeu l’avait lui-même annoncé et il l’a encore répété, fin juillet, lors d’une émission radio sur ESPN :  » Leo a bel et bien signé son contrat il y a quelques jours, mais nous ne l’annoncerons officiellement qu’au retour de la tournée aux Etats-Unis.  » C’était un mensonge, on s’en est rendu compte plus tard. La semaine dernière, Messi est parti en Argentine pour satisfaire à ses obligations internationales, sans avoir apposé son paraphe. Bartomeu n’est plus revenu sur son cas, mais sa crédibilité en a pris un sérieux coup.

Bartomeu n’est pas le seul membre de la direction du FC Barcelone à avoir disjoncté. Le vice-président Jordi Mestre n’a pas voulu demeurer en reste. Début mai, il avait déjà déclaré que les négociations pour la prolongation du contrat de Messi étaient entrées  » dans leur dernière ligne droite.  » Et, mi-juillet, il a encore ajouté qu’il était  » sûr à 200%  » que Neymar resterait. Le directeur sportif Pep Segura s’est lui aussi mis en évidence en déclarant, après la manche aller de la Supercoupe d’Espagne perdue 1-3 contre le Real Madrid :  » La faute et le but contre son camp de GerardPiqué ont décidé de l’issue du match.  » Sergio Busquets a remis Segura à sa place quelques jours plus tard :  » Je ne suis pas d’accord. Ce ne sont pas les seules causes de notre défaite. La vérité, c’est que le Real Madrid a concrétisé ses occasions. On ne perd pas un match sur une seule phase de jeu. En outre, ce genre d’accusations n’a pas sa place dans un club comme le nôtre.  » Quant à Piqué lui-même, qui ambitionne de devenir un jour président du Barça, il a apprécié ces marques de soutien et a rapidement clos l’affaire.

Le défenseur avait aussi fait parler de lui en postant, le 23 juillet, une photo de Neymar sur son compte Twitter avec le message :  » Se queda  » . Il reste. Le message a été retweeté des milliers de fois dans les instants qui ont suivi et les médias en ont déduit, sur la base de ces deux mots, que Neymar resterait au FC Barcelone. Deux semaines plus tard, lorsque le transfert au PSG a été conclu, Piqué a dû reconnaître qu’il était au courant du départ prochain du Brésilien et que son message ne reflétait que son espoir. Une autre déclaration malheureuse, une de plus. Depuis lors, il paraît clair que ce tweet poursuivra le défenseur durant le restant de ses jours.

L’avenir en points d’interrogation

Power to the players, le pouvoir aux joueurs, c’est le slogan de Piqué sur son profil Twitter. Le mari de Shakira est connu pour être quelqu’un qui n’utilise pas uniquement sa tête pour repousser les ballons. Il gagne des millions avec sa petite entreprise Kerad Games et a un avis sur tout. Y compris sur les médias. Selon lui, ils sont superflus, puisque les joueurs ont l’occasion de communiquer eux-mêmes avec leurs fans via Twitter et d’autres canaux. Power to the players.

Mais au FC Barcelone aussi, ce sont de plus en plus les joueurs qui décident. À l’époque du président Joan Laporta et du coach Pep Guardiola, on savait clairement qui prenait les décisions au sein du club, mais depuis lors, sous Sandro Rosell puis sous Bartomeu, la balance s’est inversée en faveur des joueurs. On s’en rend mieux compte à la lecture d’une phrase prononcée par Andrés Iniesta lors d’une interview au journal El País. Vous savez, Iniesta, l’homme pour qui le mot fiabilité semble avoir été inventé : jamais un mot de travers, irréprochable en dehors du terrain, un génie sur la pelouse. Taillé par et pour le club dont il est l’un des derniers ambassadeurs. À la question de savoir si, en tant que capitaine, il devait s’incliner devant la manière dont Valverde concevait le football, il a répondu :  » Oui, mais… Les joueurs qui sont ici depuis longtemps conçoivent le football d’une certaine manière et tous les entraîneurs le savent.  » Bref, les anciens – Messi, Piqué, Busquets et Iniesta – décident de la manière de jouer.  » Bien sûr, un coach doit apporter sa personnalité et ses idées. Et on sait que les équipes de Valverde pratiquent un jeu reconnaissable entre tous. Nous espérons donc que ce sera également le cas ici « , a ajouté Iniesta afin de nuancer un tant soit peu ses propos.

Lors de cette même interview, le milieu de terrain de 33 ans a fait une autre déclaration qui interpelle. Pour la première fois, il a assorti son avenir au Barça d’un point d’interrogation.  » Je dois avouer que je n’ai pas encore prolongé mon contrat… Je me pose beaucoup de questions. C’est un scénario que je n’aurais pas osé m’imaginer il y a trois ans… Disons que je réfléchis à mon avenir, ce qui n’était pas le cas autrefois.  »

Tout comme Messi, Iniesta semble vouloir bien peser le pour et le contre avant d’apposer sa signature au bas d’un nouveau contrat. Le fait que les deux porte-drapeaux de l’équipe n’aient pas encore resigné ne plaide pas en faveur de la direction actuelle. La politique des transferts a déjà fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Durant l’été 2016, 122 millions d’euros ont été déboursés pour acquérir André Gomes (35 millions), Paco Alcácer (30), Samuel Umtiti (25), Lucas Digne (16,5), Jasper Cillessen (13) et Denis Suárez (3,25). Seul le transfert d’Umtiti a été une réussite, les autres n’ont pas réussi à s’imposer. Et les flops des années précédentes sont nombreux également : Arda Turan (34 millions d’euros), Aleix Vidal (17), Thomas Vermaelen (19), Jérémy Mathieu (20), Douglas (4), Bojan Krkic (13)… Mais les arrivées de LuisSuárez et de Neymar ont permis de rectifier le tir. Ces deux acquisitions n’ont toutefois pas suffi pour franchir le cap des quarts de finale de la Ligue des Champions, ces deux dernières années. Qu’en sera-t-il, maintenant, sans le Brésilien ?

Neymar est revenu…

Qu’on le veuille ou non, le départ de Neymar est un sérieux coup pour le FC Barcelone. Bartomeu a avoué qu’il avait espéré que Neymar resterait éternellement au Barça. On sait ce qu’il en est advenu. Un homme est passé par-dessus bord, mais – le président l’a juré – le navire maintiendra son cap :  » Cette saison, on ne parlera plus du trident, mais de l’équipe. Avec les 222 millions d’euros que nous avons perçus, nous pourrons attirer de nouveaux joueurs. Mais nous n’allons pas nous précipiter. Nous investirons dans des joueurs et dans le club. Tout l’argent ne sera pas consacré aux transferts.  »

Si le nez de Bartomeu s’allongeait à chaque mensonge, il pourrait bientôt y pendre son linge. Le Barça n’a en fin de compte dépensé  » que  » 192,5 millions d’euros en nouveaux joueurs mais les Catalans ont fait le forcing jusqu’à la dead-line du mercato pour attirer un nouveau grand nom, ce qui aurait fait dépasser allègrement la barre des 222 millions de dépenses.

Le président a encaissé un nouvel uppercut le mardi 22 août. Quelques heures après que le club ait diffusé un communiqué dans la presse, stipulant qu’il avait introduit une plainte au tribunal à l’encontre de Neymar pour rupture de contrat, Messi a posté une photo sur son compte Instagram. On y voyait Luis Suárez, Neymar et lui-même. Ils étaient tous les trois présents à la fête d’anniversaire de Davi Lucca, le fils du Brésilien, à Barcelone. Messi a écrit le message Volvió. Il est revenu. Une allusion au tweet de Piqué qui, soit dit entre parenthèses, était également présent à la fête, tout comme d’autres joueurs titulaires du FC Barcelone. Neymar a aussi posté une photo, sur laquelle on apercevait notamment Piqué, Suárez, Messi, Dani Alves et Ivan Rakitic. Avec le message : Amigos. Amis.

Les dirigeants du FC Barcelone ont sans doute avalé de travers à la vue de ces photos. Les médias espagnols les ont interprétées comme une révolution des joueurs contre la direction. Piqué, toujours lui, a tenté d’éteindre l’incendie :  » C’est un pur hasard. Lorsque le club a assigné Neymar en justice, nous étions déjà sur place à la fête et nous n’étions au courant de rien. C’étaient des photos normales. Neymar est un ancien coéquipier, mais notre amitié est demeurée intacte et ce serait un comble si nous ne pouvions plus apparaître ensemble sur une photo. Si nous avions voulu envoyer un message à la direction, nous l’aurions fait en interne. Nous n’avons pas besoin des réseaux sociaux pour cela. L’affaire a été sortie de son contexte.  »

Motion de méfiance

Vendredi passé, 1er septembre, Agustí Benedito s’est présenté dans les bureaux du Camp Nou. Cet entrepreneur, qui s’était porté candidat à la présidence, sans succès, en 2010 et en 2015, est venu officiellement déposer sa motion de méfiance envers la direction actuelle du club. Il estime que Bartomeu est  » à côté de la plaque  » et qu’à cause de lui, Barcelone est  » plongé dans une crise profonde, tant sur le plan social qu’économique et sportif . » Et il n’est pas le seul à partager cet avis, on a encore pu s’en rendre compte ces derniers mois. Si Benedito parvient à réunir 18.000 signatures de socios d’ici au 22 septembre, un referendum devra être organisé.

Si 10.000 socios viennent voter et si deux tiers d’entre eux confirment la motion de défiance, toute la direction devra démissionner sur-le-champ. S’il n’y a pas assez de voix contre Bartomeu et Cie, tout le monde pourra rester.

par steve van herpe – photos belgaimage

Bartomeu n’est pas le seul membre de la direction du FC Barcelone à avoir disjoncté.

 » Je n’ai pas encore prolongé mon contrat. C’est un scénario que je n’aurais pas pu m’imaginer il y a trois ans.  » Andrés Iniesta

 » Si nous avions voulu envoyer un message à la direction, nous l’aurions fait en interne. Nous n’avons pas besoin des réseaux sociaux pour cela.  » Gerard Piqué

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