Histoires belges : la Belgique n’a toujours pas publié les rapports 2013 et 2014 de la Commission des provisions nucléaires (CPN), qui gère au moins sept milliards d’euros nécessaires au démantèlement de ses centrales et au traitement de ses déchets nucléaires, et n’a toujours pas notifié à la Commission européenne son programme national de gestion des déchets nucléaires.
La gestion de centrales nucléaires est une affaire sérieuse. Est-ce compatible avec la joyeuse tradition de l’humour belge ? Après les fissures et microfissures, après les piratages, après les indisponibilités non programmées de réacteurs, après l’écartement de techniciens non fiables, après les avis escamotés du Conseil d’Etat, après les enquêtes internationales commandées trop tard, les enquêtes publiques jamais commandées, les réacteurs redémarrés trop tôt et les contrats jamais publiés, le député fédéral Ecolo Jean-Marc Nollet vient de poser deux questions au cabinet de la ministre de l’Energie Marie-Christine Marghem (MR) qui risquent bien d’encore amuser les amateurs d’humour noir. Voire morbide. C’est qu’il y a en jeu des milliards d’euros confiés à Electrabel et des kilos de combustible nucléaire usagé.
1. Qui a vu la commission des provisions nucléaires ?
Depuis 2003, en effet, les dispositions législatives de sortie du nucléaire prévoient la constitution de réserves financières et d’une » commission d’avis et de contrôle des provisions constituées pour le démantèlement des centrales nucléaires et pour la gestion des matières fissiles irradiées « . Composée de représentants de l’Etat et de la Société de provisionnement nucléaire (Synatom), qui gère effectivement l’argent engagé, la commission doit veiller à la bonne utilisation de fonds ponctionnés sur les factures d’électricité et nécessaires à boucler proprement la fermeture des centrales belges. Tous les ans, stipule la loi, la commission rédige un rapport, qu’elle soumet au ministre fédéral en charge de l’Energie. Avant le premier octobre, celui-ci veille à publier ce rapport.
Le système ainsi mis en place à l’époque obéissait à un double impératif : la transparence et le contrôle, par l’autorité publique, de sommes attribuées par le consommateur aux producteurs d’énergie nucléaire. Et de l’argent collecté pour constituer ces provisions, il y en a. Beaucoup. Même si personne, en l’état actuel, n’est censé savoir précisément combien. Et pour cause : le dernier rapport de la commission porte sur son – difficile – exercice 2012. Il recensait alors 2,4 milliards d’euros dans les actifs de Synatom au titre du démantèlement des centrales nucléaires et 4,5 milliards au titre de la gestion des matières fissiles irradiées. Et depuis deux ans ? » Aucune nouvelle « , s’énerve Jean-Marc Nollet. » Ni la commission, ni le gouvernement ne publient où sont effectués ces placements. Il n’y a ni contrôle, ni transparence. » Le cabinet Marghem, averti par le parlementaire » de l’oubli du ministre précédent (NDLR : le CDH Melchior Wathelet), assure que les rapports sont en passe d’être transmis au Parlement « .
Cette promptitude à livrer un rapport d’activités d’une commission silencieuse depuis deux ans vient poser une autre question. Elle porte sur les réelles activités de cette commission à plusieurs centaines de milliers d’euros par an. Ses dernières livraisons annuelles font à peine… vingt pages. La dernière, en 2012, comptait, sur ses vingt pages, dix pages intercalaires, une sur l’historique de la commission, une sur sa composition, une sur son cadre légal, et une sur ses missions. Ça en laisse peu pour le compte rendu des réunions annuelles. Même s’il n’y en eut que sept, dont deux furent annulées faute de quorum, et deux autres eurent lieu le même jour… » La vraie question, c’est de savoir ce que font Synatom et la commission de provision avec ces fonds. Avec ce type de rapports, c’est impossible « , déplore Jean-Marc Nollet. » La loi a été scrupuleusement respectée. Si les parlementaires ne se satisfont pas d’elle, qu’ils proposent de la modifier « , répond-on chez la ministre.
2. Qui a vu le programme national pour la gestion des déchets nucléaires ?
En 2011, une directive européenne exigeait des Etats un cadre national relatif à leur gestion des déchets radioactifs et du combustible irradié. Ce programme national censé régler les méthodes et le financement du traitement de ces déchets devait, selon les termes de la loi du 3 juin 2014 transposant cette directive en droit belge, » être notifié au plus tard le 23 août 2015 à la Commission européenne à l’initiative des ministres ayant l’Economie et l’Energie dans leurs attributions « . C’était un dimanche. Le vendredi 21, en dernière minute donc, les experts du cabinet Marghem ont envoyé à leurs homologues européens un » projet de programme national « . » Une fois le « Strategic Environmental Assessment » effectué par la Commission, nous verrons si ce programme national nécessite une enquête publique et/ou d’environnement et, en fonction, le gouvernement l’adoptera par arrêté « , explique la porte-parole de la ministre de l’Energie, qui affirme » se conformer strictement à ce que prévoit la loi « . Jean-Marc Nollet, lui, conteste cette interprétation : » La Belgique envoie un projet plutôt qu’un document terminé pour ne pas se faire rappeler à l’ordre « . Et la confection de ce programme prendra encore des mois. Voire davantage. Une variation belge de Toto en retard à l’école : il rêvait qu’il jouait au foot. Et alors ? Alors, il y a eu des prolongations.
Par Nicolas De Decker
» La vraie question, c’est de savoir ce que font Synatom et la commission de provision avec ces fonds »