Les yeux du XXe siècle

Cet hiver, le Rijksmuseum d’Amsterdam a décidé de jouer la carte de l’originalité. Historiquement associé aux Rembrandt et Vermeer, le musée nous présente un aperçu de sa collection de photographies du XXe siècle.

Du cliché artistique au document scientifique, la photographie offre – comme nul autre (ap)pareil – un regard sur le passé et le présent. Reflet d’une époque ou d’une histoire, elle est aussi la plus  » jeune  » forme d’art entrée dans les collections du Rijksmuseum. Depuis 1994, le musée amstellodamois s’est engagé dans une politique d’acquisition de tirages des XIXe et XXe siècles. Une collection (de quelque 150 000 images) rapidement devenue incontournable sur le plan international en raison de son lot de pièces rares, tirées parfois à un seul exemplaire.

Pari relativement risqué pour cette institution (championne dans l’art de dépoussiérer des oeuvres et des artistes ancrés dans le passé) d’inaugurer l’aile Philips – tout juste rénovée – avec un accrochage composé de 400 clichés. La sélection balaie le XXe siècle. Un long XXe siècle qui commence sur les études de mouvements d’un cheval au galop d’Eadweard Muybridge (1887 – lire l’encadré) pour se terminer sur des clichés de Viviane Sassen (2013).

Composée de manière chronologique, cette  » cartographie  » permet d’appréhender les évolutions majeures de la discipline : l’avènement de la photographie journalistique, amateur, en couleur, de mode et publicitaire, artistique… Dans ce panorama, amateurs anonymes flirtent avec des personnalités réputées au rang desquelles on peut citer Jacques-Henri Lartigue, Lewis Hine, Lászlò Moholy-Nagy, Man Ray, Brassaï, W. Eugene Smith, Ed van der Elsken, William Klein…

Focus kaléidoscopique

Méthodiquement structuré, le parcours s’organise en sept temps. La  » vie quotidienne  » engage la visite. Soigneusement classés dans des albums, ces clichés – réalisés par Monsieur et Madame Tout-le-Monde – n’étaient absolument pas destinés à être publiés ou diffusés. Ils se devaient seulement d’offrir un caractère d’éternité à des moments particuliers de la sphère familiale (naissance, mariage…). Qu’importe la qualité, la priorité est ici donnée à la sincérité avec des tirages de Breitner, Ed van der Elsken, Robert Frank ou Gerard Fieret.

Dans la deuxième section,  » expériences et études  » sont mises en perspective. Dès les années 1910-1920, les photographes commencent à jouer avec l’appareil pour immortaliser le monde d’une manière inédite. Ils visent un maximum d’expression par l’emploi d’une palette de techniques spécifiques : les effets d’éclairage, le choix du grain de développement, les contrastes poussés, la contre-plongée, la vue aérienne, les cadrages serrés… L’heure est à la créativité. A la liberté ! Des tirages de Viviane Sassen (photos en couleur d’un village sud-américain) taquinent ici des études plus académiques de nus en noir et blanc d’Erwin Blumenfeld. Dans le même temps, on apprécie également des oeuvres de Man Ray – figure phare du surréalisme – et on observe non sans curiosité des photogrammes de Floris Neusüss (soit des images obtenues en plaçant des objets sur une surface photosensible, sans faire usage d’un appareil photo).

Tristement intemporelle, la  » photographie en temps de guerre  » s’empare de la suite des cimaises. Autant de témoignages de l’horreur – capturés  » à chaud  » – qui rendent compte de la réalité sauvage de chaque conflit (les deux guerres mondiales, la guerre de Corée, celle du Vietnam, la mission en Afghanistan…).

Changement d’ambiance. La section suivante – intitulée  » paysages façonnés par l’homme  » – est placée sous le signe de l’effervescence. Elle compose un panorama de l’évolution du monde. L’heure est à l’industrialisation et à l’urbanisation. Ponts, voies ferrées, canaux et villes entières construites à un rythme effréné font partie de leurs sujets préférés. Il faut reconnaître que les échafaudages et les grues, éminemment graphiques, sont aussi très photogéniques.

Viennent ensuite des sujets pris  » sur le vif de la rue « . Certains affirment que pour faire une bonne photographie de rue, celle-ci doit être intuitive et qu’il faut agir vite. Ces photographes – à l’image de William Klein et de Leon Levinstein – travaillent de manière rapide, directe. Une fracture avec la manière de procéder habituelle qui demandait de longues minutes à peaufiner le cadrage. Ici, mouvement et mobilité deviennent des thèmes essentiels. Et un passant pris dans la rue est réduit, par la saisie d’un pas flou, à sa plus simple expression de marcheur.

L’avant-dernière partie explore  » le monde à portée de main « . En effet, la photographie est un merveilleux moyen pour rendre compte de ce qui se passe ailleurs. Les malheurs (conflits armés, famines et catastrophes) mais aussi les élections, les sacres, le mode de vie de personnes… Le photographe n’en détermine pas le contenu. Il se met au service d’un client ou répond à une demande du marché. Ces photos remplissent toutes sortes de fonctions sociales : véhiculer l’image de personnalités publiques (chefs d’Etat, artistes, sportifs…), convaincre et séduire afin de créer de nouveaux besoins (publicité et photos de mode), servir une idéologie ou un parti politique…

Fin de parcours en beauté, entre  » esthétique et anti-esthétique « . Longtemps, les travaux commerciaux sont méprisés. Les photographes préfèrent travailler en toute liberté. Mais beaucoup faisaient les deux. Aujourd’hui, les oeuvres  » libres  » et les créations sur commande se chevauchent plus que jamais. Une fusion qui a commencé dans les années 1960 avec la génération de William Klein et Robert Frank. Voici une exposition faisant la part belle aux grands classiques, complétés de découvertes et de jolies vitrines présentant albums de famille et magazines.

Modern Times. Photographie au XXe siècle, au Rijksmuseum, à Amsterdam. Jusqu’au 11 janvier 2015. www.rijksmuseum.nl

Par Gwennaëlle Gribaumont

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