Lancé au printemps dernier, le » Chantier des idées » du PS doit remodeler sa doctrine et l’adapter aux défis du temps. Si on ne risque pas d’y parler d’insécurité, il s’agira surtout pour son pilote, Elio Di Rupo, d’éviter de dérailler.
1. Un virage radical
L’effondrement du Pasok grec au profit de Syriza, les succès indignés de Podemos en Espagne, l’élection du rugueux Jeremy Corbyn à la tête du très lisse Labour britannique résonnent doublement aux oreilles d’un parti rigidement hiérarchisé d’une part, et qui, d’autre part, voit le PTB lui contester une légitimité socialiste dont il était l’unique dépositaire en Belgique francophone depuis trente ans. Voici comment. Primo, sur le mode de fonctionnement : » Certains considèrent qu’un parti politique, c’est dépassé « , lançait Elio Di Rupo, le 11 octobre, à la tribune du congrès de rentrée du PS, faisant référence aux forces émergentes précitées, dont l’organisation décentralisée autant que l’appui sur des luttes locales ont forgé la popularité. Pas pour les dénigrer, mais pour s’en rapprocher. Voire, tant qu’à faire, pour les récupérer.
Le président du PS verrait bien, en effet, ses Unions socialistes communales transformées en campements d’Indignados. » Nos sections locales doivent accueillir ces causes « , dit-il. » A cet égard, poursuit-il, nos conseillers communaux et de CPAS doivent être les vigies du Parti. » Mais passons. Car autrement plus signifiante était, dans ce discours de rentrée, l’affirmation de deux vieilles revendications de gauche que ne portaient pas franchement, ces dernières années, les socialistes francophones : l’individualisation des droits sociaux (donc la fin de la distinction entre cohabitants et isolés) et la globalisation des revenus, ceux du travail et du capital, projets » authentiquement socialistes « . Voilà le secundo : il doit voir le PS en retoquer au PTB en imposant ses propositions à l’agenda de la gauche. Il y en aura d’autres, qui devront toutes forcer le PTB à se positionner à sa suite, plutôt que l’inverse. Il y a eu, dans les journaux, l’ouverture d’Elio Di Rupo à une majorité alternative avec le PTB, auquel celui-ci a dû réagir. Il y a et il y aura de concurrentes minauderies avec les syndicats, auxquelles le PTB devra s’adapter. Il y aura également du mouvement sur la réduction du temps de travail, dont Paul Magnette est un partisan, et qui appellera le PTB à suivre. Il y aura aussi de lancinants appels à un impôt sur les gros patrimoines, qui demanderont des comptes au PTB.
Mais le PS ne voit pas revenir ces thèmes et ces débats avec une joie unanime. Entre un Philippe Moureaux, toujours conscience morale, qui se réjouit de voir » certains partis socialistes abandonner l’illusion que s’ils perdaient des élections, c’était sur leur droite, et qu’il leur fallait adopter les thèses les plus libérales possible pour l’éviter » et un Paul Magnette, déjà caution intellectuelle, qui vieillit ces nouvelles gauches à longueur de cartes blanches au motif qu’elles n’ont, ayant toujours existé, de nouvelle que cette contestable appellation, il y a un écart, pas des plus légers. Elio Di Rupo, qui n’a jamais été marxiste, mais qui a déjà, dans sa première vie de président socialiste, navigué dans les eaux pures de l’altermondialisme, ne choisira pas. Rive gauche, rive droite, il lui faut garder un pied sur chacune pour éviter que son parti chavire.
2. Un sursaut wallon
Le belgicanisme d’Elio Di Rupo Premier ministre a indisposé une partie de la base, pas seulement wallingante, de sa formation. Il le sait. Il va le mettre en veilleuse. On va donc entendre de nouveau la petite musique régionaliste au Parti socialiste. Le patron de la FGTB wallonne, Thierry Bodson, multiplie déjà les interventions dans les sections, dans les USC et dans les fédérations. Et certains Wallons veulent organiser un congrès de leurs fédérations d’arrondissement. Cela ne s’est plus fait depuis vingt ans, cela se fera, parole de président, en 2016, et on y croisera certains des musiciens de jadis : Jean-Claude Van Cauwenberghe, sur le chemin de la rédemption judiciaire, en sera encore. Il y travaille déjà dans son arrondissement, mandaté par son président fédéral Eric Massin. Le Carolorégien y fera chorus avec un Collignon, Christophe succédant à Robert. Le Montois Nicolas Martin, dont le passé au FDF dénote de la fibre régionaliste, y glissera une note ou deux. Les ténors liégeois, Willy Demeyer en tête, donneront de leur principautaire gravité au concert. Et Paul Magnette, dont une partie de la stratégie de conquête repose sur une alliance avec le bourgmestre de Liège, donnera de la voix depuis l’Elysette, en vedette américaine. » Ce rebond wallon repose notamment sur une logique d’opposition au gouvernement fédéral, dominé par des partis flamands, et sur l’idée que tout allait mieux dans les années 1980 et le début des années 1990, quand le PS était régionaliste « , note Pascal Delwit, politologue à l’ULB, plutôt sceptique.
Ce qui change par rapport à ces vieux tubes des eighties, c’est que cette petite musique s’écoutera désormais en stéréo. Car, depuis Bruxelles, des voix s’élèvent également. Elles s’appuient sur une affirmation identitaire bruxelloise dont font état toutes les enquêtes d’opinion, et qu’il ne faudrait pas laisser inexploitée politiquement. Le PS bruxellois, historiquement communautariste, penche désormais vers un régionalisme plus franc. » L’évolution sociologique, à Bruxelles principalement, a éloigné les deux Régions francophones du pays. On a peut-être raté une occasion, à l’époque où il y avait une forte identification entre Wallons et Bruxellois francophones « , constate ainsi Philippe Moureaux. Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois, l’a déjà déclaré, il se verrait bien régionaliser l’enseignement. Laurette Onkelinx, présidente de la fédération bruxelloise, réfléchit, nous dit-on, à » un truc là-dessus » (sic). Elio Di Rupo dirigera l’ensemble discrètement. Au balcon. » Il n’est plus du tout crédible sur la question régionale « , explique même un de ses proches : au terme du » Chantier des idées » s’entamera officiellement une réflexion socialiste sur les identités wallonnes et bruxelloises.
3. Une inclinaison écologique
Le troisième virage est le moins dangereux. Il voit le Parti socialiste, élevé au coke et aux vapeurs industrielles, semer des fleurs dans les cours des usines. » Le combat en faveur du climat va de pair avec le combat en faveur de la justice sociale « , a décidé le président devant ses congressistes. Plus tôt, dans la presse, Laurette Onkelinx appelait à » une révolution de nos modes de vie « .
L’inflexion rappellera d’heureux souvenirs des convergences à gauche aux Ecolos francophones qui, eux-mêmes, ont choisi de barrer à babord après les très centristes années Javaux. Personne d’autre, au PS ni ailleurs, ne s’en inquiétera. Ailleurs parce que tout le monde le fait déjà (le CDH et son radicalisme pour l’humain, le MR et sa planète bleue) sans que ça mange une miette de pain, et au PS parce que chacun sait qu’il n’y perdra pas sa croûte. Elio Di Rupo l’a rappelé il y a peu. En la rabrouant lorsque la même Laurette Onkelinx, dans la même interview, envisageait la suppression des très polluants avantages aux voitures de société. » Fini l’écologie punitive « , proclame celui qui, en écosocialiste conséquent, ne réserve ses punitives ardeurs qu’à ses camarades trop enthousiastes.
Par Nicolas De Decker
» Le PS ne voit pas revenir ces thèmes et ces débats avec une joie unanime »