Les traitements nouveaux de l’anévrisme du cerveau

Barbara Witkowska Journaliste

Discipline reine, la neurochirurgie vit aujourd’hui une révolution avec les progrès foudroyants de la neuroradiologie interventionnelle qui permet, grâce à l’embolisation, d’intervenir sur les ruptures d’anévrisme sans ouvrir le crâne.

Un jour ou l’autre, nous avons tous entendu parler dans notre entourage d’une personne atteinte brutalement d’une  » rupture d’anévrisme  » (ou anévrysme). Quand ce genre d’accident vasculaire, imprévisible et souvent gravissime, se produit dans le crâne, il entraîne la mort subite chez un patient sur trois. Parmi ceux qui survivent, la plupart reviennent à une vie parfaitement normale après avoir subi un traitement à l’hôpital. Certains vont garder malheureusement, suite à l’hémorragie initiale, des séquelles parfois lourdes sur le plan neurologique : paralysie, troubles de la marche ou du langage. La maladie fait d’autant plus peur qu’elle reste largement mystérieuse. Ses causes sont mal connues, et la rupture est, la plupart du temps, inattendue.

On n’est pas tous égaux

L’anévrisme, c’est quoi exactement ?  » Il s’agit d’une dilatation de la paroi d’une artère du cerveau, détaille le Pr Boris Lubicz, chef de la clinique de neuroradiologie diagnostique et interventionnelle à l’hôpital Erasme-ULB. Elle aboutit à la formation d’un sac où le sang s’accumule. C’est la raison pour laquelle on parle d’anévrisme sacculaire. Sa taille est variable, elle atteint, en moyenne 5 à 6 millimètres. Les tailles plus petites, de 3 millimètres, ou plus grandes, de 2, voire 3 à 4 centimètres, sont plus rares. L’anévrisme communique avec l’artère par une zone rétrécie qu’on appelle le collet. « 

Univers impénétrable, cette maladie des artères ne touche pas tout le monde de la même manière. Bien qu’il n’y ait aucune preuve que les anévrismes soient héréditaires, on peut parler de familles  » anévrismales  » lorsque deux collatéraux de premier degré (par exemple : père-fils, mère-fille) ont déjà eu un diagnostic d’anévrisme cérébral. Dans ce cas, un dépistage par l’IRM est conseillé à la famille tous les trois ans. Si la formation des anévrismes est souvent due à une faiblesse congénitale de la paroi de l’artère, toutes les personnes sont potentiellement à risque. Il semblerait toutefois que la pathologie touche plus les femmes que les hommes et plus particulièrement les femmes autour de la cinquantaine. On le rencontre rarement chez les enfants et les adolescents. Par ailleurs, le tabac et l’hypertension artérielle sont deux facteurs bien connus et clairement identifiés dans la formation d’anévrisme et sa rupture. Quand on évoque le sujet entre amis ou connaissances, on a aussi l’impression que des patients de plus en plus jeunes, des trentenaires ou des quadragénaires, sont victimes d’une rupture d’anévrisme.  » Oui, en effet, mais c’est un sentiment, confirme le Pr Lubicz. Ce sentiment est dû au fait que les moyens de diagnostic sont plus performants et on peut détecter un anévrisme de plus en plus facilement. Il fut un temps où l’on découvrait l’anévrisme au moment de la rupture. Aujourd’hui, grâce à l’IRM notamment, on détecte des dilatations qui n’ont pas saigné. Mais on ne peut pas affirmer que la maladie est en croissance. Il y a des anévrismes qui ne saigneront jamais. « 

Pour être tout à fait complet, citons encore deux facteurs à risques, présents chez des personnes victimes de maladies assez rares. La polykystose rénale concerne une sur 750 à 1 000 naissances. Dans cette maladie, les reins sont le siège de la formation de kystes et de 10 % à 15 % des patients vont développer un ou plusieurs anévrismes. La seconde affection est beaucoup plus rare. Il s’agit du syndrome de Marfan qui se manifeste par un défaut de la paroi des artères de l’ensemble du corps, y compris les parois cérébrales. En Belgique, la rupture d’anévrisme frappe 1 000 personnes (une personne sur 10 000) par an, dont deux tiers sont des femmes. Une prévention via un examen IRM est en théorie possible, mais elle ne se justifie pas, sauf dans le cas des familles anévrismales.

Aucun signe avant-coureur…

La dilatation de la paroi ne s’accompagne d’aucun symptôme. Elle n’a, bien entendu, aucun lien avec la migraine ! Deux exceptions, cependant. La première est un anévrisme situé sur l’artère communicante postérieure, proche du nerf oculo-moteur, se traduisant par une diplopie brutale. Le patient peut ressentir une vision double, une pupille dilatée, des douleurs à l’intérieur et derrière l’£il. Dans ce cas, il est nécessaire de consulter très rapidement, car l’anévrisme est au bord de la rupture. L’autre exception est un anévrisme qui se manifeste par un effet de masse et on parle alors d’un anévrisme géant. Il comprime des structures cérébrales comme certains nerfs crâniens et peut provoquer des maux de tête localisés. Cet anévrisme géant peut aussi être le siège d’un caillot (on dit qu’il est partiellement ou totalement thrombosé) qui peut provoquer des emboles dans la circulation cérébrale avec, comme conséquence, une thrombose et non plus une hémorragie.

Il peut arriver que, lors d’un scanner ou d’un examen par IRM effectué pour des maux de tête, vertiges, sensations de tête vide ou après un traumatisme, on tombe par hasard sur l’anévrisme. Le traitement à réserver est alors discuté par une équipe pluridisciplinaire, composée de neuroradiologues, de neurochirurgiens et de neurologues. L’équipe posera de concert l’indication et le choix d’intervention, l’embolisation ou la chirurgie, en tenant compte de plusieurs critères. Chez les personnes âgées de moins de 65 ans, on décide, le plus souvent, d’intervenir. On considère, aussi, la taille et le nombre d’anévrismes. Plus le sac est volumineux, plus le risque de rupture augmente. Le patient peut de surcroît présenter une synergie d’anévrismes à risque. Enfin, les spécialistes passent au peigne fin les facteurs aggravants : les antécédents familiaux, l’addiction au tabac, l’hypertension et la polykystose.

La rupture

La diplopie et la thrombose interviennent dans 5 % des accidents. Dans 95 % des cas, la rupture survient très brutalement, comme  » un coup de poignard dans un ciel serein « . Un tiers des patients meurent tout de suite ou dans les 24 à 48 heures, sans que l’on puisse les secourir d’une façon ou d’une autre. Pour les deux autres tiers, une urgence de traitement s’impose dans les 24 à 48 heures. Après  » l’explosion  » débute en effet une phase de cicatrisation temporaire qui va durer quelques jours et c’est à ce moment-là qu’il faut intervenir. Les médecins ont recours à deux possibilités de traitement. Le clipping chirurgical consiste à poser un clip sur le collet de l’anévrisme, autrement dit à cercler l’excroissance pour l’éliminer. Cette opération, pratiquée par le neurochirurgien, nécessite la trépanation. Il y a une quinzaine d’années, une nouvelle technique, assez révolutionnaire, a été mise au point. Baptisée l’embolisation, elle est pratiquée sans l’ouverture du crâne. L’anévrisme sera occlus par le remplissage du sac à l’aide de petits filaments de platine qu’on appelle  » coils « . Cette intervention est l’£uvre des neuroradiologues.  » En passant par l’artère fémorale située en haut de la cuisse, on pousse avec les doigts un micro-cathéter et on le remonte vers le cerveau pour l’amener dans le sac d’anévrisme et l’occlure avec des coils, explique le Pr Lubicz. Les filaments s’y entortillent, remplissent la poche et mènent à son embolisation. Le sang n’y circule plus, l’artère se cicatrise, le risque de rupture est éliminé. Et on évite la trépanation. On pourrait qualifier l’embolisation de microchirurgie artisanale. Le geste est d’une précision d’orfèvre. « 

Cette technique a révolutionné le traitement des anévrismes rompus et non rompus. Certes, la procédure est longue et dure minimum une heure et demie. Dans certains cas, elle peut atteindre cinq, voire six heures. Mais elle ne laisse pas de cicatrices et ne provoque pas de maux de tête comme conséquence postopératoire. Traitement de première intention, l’embolisation a largement dépassé la chirurgie et peut être pratiquée dans 9 cas sur 10. La chirurgie a toutefois toujours sa place. Il faut, en effet, distinguer deux types d’anévrismes : à collet étroit et à collet large. Dans le premier cas, l’embolisation se justifie pleinement. Quand le collet est large ou présente une forme plus complexe, on peut pratiquer l’embolisation avec le soutien d’un ballonnet (il sert à éviter une protrusion, ou une  » hernie  » des filaments et est ensuite retiré) ou d’un  » stent  » (un tuyau grillagé qui, une fois en place, se détend sur les parois et sert à ancrer les filaments) ou encore avoir recours à une intervention chirurgicale.

Les matériaux d’embolisation sont toujours conçus et développés par des firmes spécialisées, le plus souvent américaines, qui sollicitent ensuite les équipes les plus pointues dans le monde pour leur mise en pratique et leur évaluation. Ce fut le cas pour certains  » stents « , testés notamment dans la clinique de neuroradiologie diagnostique et interventionnelle de l’hôpital Erasme.

La révolution du Web

C’est aussi le cas, en 2011, pour une prothèse révolutionnaire, appelée Web. Trois équipes dans le monde ont été sélectionnées afin de tester l’efficacité de cette technique dont, une fois de plus, l’équipe du Pr Lubicz. Le Web est une sorte de micro-panier à maillage très serré en nitinol (métal ultra-souple qui reprend sa forme originale à la température du corps) qui, telle une rustine, pour utiliser une comparaison triviale mais parlante, empêche le sang de pénétrer dans l’anévrisme et crée une diversion du flux.  » La firme qui l’a mis au point, nous a demandé de l’évaluer fin novembre 2010, note le Pr Lubicz. En dix mois, nous avons traité dix patients et sommes dans la phase progressive. Le recours au Web est actuellement réservé aux anévrismes complexes. Les autres traitements restent bien entendu d’actualité. « 

Le Web présente de multiples avantages. Tout d’abord, il élargit les indications de l’embolisation, permettant de traiter des cas très difficiles, voire impossibles à emboliser. L’autre avantage majeur, c’est la réduction considérable de la durée de la procédure. Le placement d’une dizaine de  » coils  » peut prendre plusieurs heures de travail. La prothèse Web est placée en une seule opération et un seul geste.  » J’ai traité ma première patiente en vingt minutes, la seconde, en trente minutes, souligne le Pr Lubicz. Or les complications, inévitables dans toute opération, sont dues, notamment, à la longueur de la procédure. La thrombose est la complication principale. Durant l’opération, un caillot peut se former et occlure un vaisseau normal avec des séquelles neurologiques. Cet accident peut survenir chez 1 à 2 % des patients. Second cas de figure, plus rare, la rupture d’anévrisme peut se produire pendant le geste opératoire, entraînant la mort du patient. Raccourcir le temps de l’intervention n’est donc pas seulement une question de facilité et de confort, mais de diminution de risques d’effets secondaires. « 

Il reste à espérer que la prothèse Web prenne progressivement sa place au sein d’un arsenal thérapeutique de plus en plus varié. C’est déjà un succès.

Barbara Witkowska

La prothèse Web est placée en une seule opération et un seul geste

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