Immunothérapie, cellules souches, formation des métastases… La recherche en Belgique multiplie les avancées spectaculaires dans la lutte contre le cancer. Un réel espoir pour les patients ?
L’actualité estivale n’est pas faite que de catastrophes aériennes et de conflits sanglants aux portes de l’Europe. Elle compte aussi quelques nouvelles réjouissantes. Parmi elles, il y a eu l’annonce, fin juillet, par des chercheurs de l’UCL, d’une découverte qui, assurent-ils, fait faire » un pas de géant » à la recherche scientifique en oncologie. Le Pr Pierre Sonveaux et son équipe ont identifié un traitement qui pourrait, à l’avenir, empêcher le développement des métastases chez des patients atteints d’une tumeur cancéreuse. Résultat de cinq années d’études et expérimentations, la découverte a été publiée dans la prestigieuse revue Cell Reports.
Chaque année, en Belgique, quelque 27 000 personnes meurent d’un cancer. Près de 90 % de ces décès sont dus à des métastases. Alors que la tumeur d’origine se développe dans un organe particulier, ces tumeurs secondaires se forment en divers endroits de l’organisme, dispersion qui complique un traitement par chirurgie ou radiothérapie. L’étude de l’UCL montre que les mitochondries, sortes de centrales énergétiques de la cellule, produisent dans certaines conditions des radicaux libres, appelés » ions superoxyde « . Cette surproduction entraîne la formation de métastases. Les chercheurs ont donc eu l’idée d’inactiver ce superoxyde à l’aide d’un composé déjà utilisé pour traiter d’autres maladies que le cancer. Le traitement, testé sur la souris dans des modèles de mélanomes et de cancer du sein, s’est révélé efficace. » Des tests supplémentaires sur l’animal sont nécessaires avant de passer, d’ici deux ou trois ans, à des essais cliniques sur l’homme, prévient le Pr Sonveaux. Reste aussi à étendre l’expérience à d’autres cancers à métastases, comme ceux du poumon, du côlon ou de la prostate. »
De nouveaux médicaments ciblés très coûteux
Surtout, il faudra voir si les firmes pharmaceutiques, qui possèdent les molécules utilisées par les chercheurs et les testent actuellement pour traiter la maladie de Parkinson et l’hépatite C, sont disposées à investir dans des études cliniques destinées à prévenir les métastases cancéreuses. » L’implication de l’industrie dans les progrès de l’oncologie moderne est l’un des enjeux majeurs des prochaines décennies, estime le Dr Didier Vander Steichel, directeur médical et scientifique de la Fondation contre le cancer. Les traitements innovants sont largement individualisés. Or, l’investissement des firmes pour mettre au point un médicament ultraciblé est tout aussi lourd que celui consacré à la mise sur le marché d’un médicament grand public. Les traitements sur mesure ont donc un coût astronomique. Se pose dès lors la question du financement. Si les caisses de la Sécurité sociale faisaient défaut, 99,9 % des patients ne pourraient plus se payer un traitement ciblé. Il est urgent de sortir de ce cercle vicieux. »
Ce défi industriel et socio-économique ne décourage pas les équipes grâce auxquelles la Belgique figure toujours à la pointe de la recherche en oncologie. » Les découvertes des chercheurs belges occupent sans nul doute une place enviable dans les publications scientifiques de qualité, confirme le Dr Vander Steichel. Notre pays excelle, en dépit du handicap de conditions financières et d’environnement pas vraiment glorieuses. Aux moyens jamais suffisants investis par les pouvoirs publics s’ajoute, fort heureusement, la générosité de nos concitoyens, qui s’exprime par des dons à la Fondation ou au Télévie, grande opération de solidarité. »
Les cellules souches tumorales, une histoire belge
En août 2012, une équipe de chercheurs de l’ULB s’est ainsi fait remarquer, à l’échelle mondiale, en mettant en évidence l’existence de cellules souches cancéreuses. La découverte, publiée dans la revue scientifique britannique Nature, n’offre pas de débouchés immédiats. Mais elle permet de comprendre pourquoi, dans le cas d’un cancer de la peau, la dérégulation du renouvellement des tissus conduit à la cancérisation. On sait aujourd’hui qu’une masse tumorale est un ensemble de cellules aux fonctions et comportements très divers. Parmi elles, un petit nombre de cellules, plus » fortes » que les autres et appelées cellules souches, ont pour fonction de reconstituer la tumeur. Si quelques-unes de ces cellules souches survivent aux traitements par chimiothérapie ou radiothérapie, des malades rechutent, alors qu’ils avaient connu une rémission complète. » Mieux connaître la division des cellules cancéreuses peut nous permettre de les bloquer et de cibler plus efficacement les traitements « , indique le Dr Cédric Blanpain, qui a dirigé l’équipe de chercheurs.
» Dans un contexte où nos connaissances biomoléculaires de la cellule, saine ou malade, progressent à toute allure, l’heure est à l’optimisme « , estime Filip Lardon, professeur à la Faculté de Médecine de l’université d’Anvers, chef du Laboratoire de recherche sur le cancer et auteur d’un nouvel ouvrage de vulgarisation sur la maladie (Quand une cellule déraille. Comprendre le cancer. Editions Mardaga). » L’objectif ultime de nos travaux est, si pas de faire disparaître la maladie une fois pour toutes, du moins d’en arriver à ce qu’elle puisse être toujours efficacement soignée et, de plus en plus souvent, complètement guérie. Les scientifiques ne cessent d’affiner les thérapies classiques et d’en découvrir de nouvelles, tendance qui se poursuivra dans les années à venir. »
Avant 1960, 80 % des enfants atteints de leucémie décédaient des suites de la maladie. Aujourd’hui, le taux de guérison frôle les 85 %. Plus largement, il est possible de guérir complètement près de 65 % des personnes atteintes d’un cancer, contre 50 % à peine il y a quelques décennies. En outre, les traitements existants permettent souvent d’endiguer la maladie pendant plusieurs années. Et demain ? La connaissance de plus en plus étendue des mécanismes d’apparition des tumeurs ouvre la porte à des techniques de prévention et à de nouvelles formes de traitements révolutionnaires qui ne manqueront pas d’accroître la proportion de guérisons complètes. Grâce aux travaux pionniers en biologie moléculaire, l’oncologie vit une période riche en théories nouvelles et en découvertes majeures. La recherche est néanmoins un long processus, dont on perçoit rarement les résultats à court terme. Les trois options thérapeutiques les plus utilisées restent la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie.
Une prise en charge devenue multidisciplinaire
Technique la plus ancienne utilisée dans le traitement des cancers, la chirurgie garde tout son intérêt, surtout associée avec la radiothérapie et la chimiothérapie, la prise en charge du cancer étant désormais multidisciplinaire. La chirurgie consiste à opérer le patient pour éliminer le tissu cancéreux et, par précaution, une partie des tissus sains avoisinants. » Cette »résection » est possible parce que certains organes, comme la thyroïde ou les surrénales, ne sont pas indispensables ou peuvent être remplacés par la prise de médicaments, indique le Pr Filip Lardon. D’autres organes, comme les intestins, le foie, les poumons et les reins, peuvent être retirés en partie. Des os et vaisseaux, eux, peuvent être remplacés par des prothèses artificielles. »
Combinée aux autres traitements, la chirurgie est, aujourd’hui, nettement moins mutilante. » Ainsi, une proportion plus élevée de femmes atteintes d’un cancer du sein peuvent conserver leur sein, signale le Dr Vander Steichel. De même, en cas de cancer de l’os long chez l’adolescent, l’amputation n’est plus systématique. Par ailleurs, les nouvelles techniques de chirurgie reconstructrice, suite à un cancer du sein ou de la vessie, apportent au malade une meilleure qualité de vie. Les progrès de la chirurgie robotique, par exemple en cas de tumeurs cérébrales, sont à relever. Ou encore les avancées des techniques d’anesthésie : elles atténuent le choc opératoire et permettent d’opérer des patients plus âgés ou fragiles sur le plan cardiaque. »
L’imagerie médicale en renfort
Autre traitement classique en oncologie, la radiothérapie connaît, elle aussi, des avancées spectaculaires, auxquelles contribuent des équipes de chercheurs belges. Développée dès le début du XXe siècle, surtout grâce au travail innovateur de Marie Curie, elle concerne actuellement environ 60 % des patients. Le traitement consiste à concentrer un faisceau de rayons de très haute énergie sur l’endroit où se trouve la tumeur. » Les rayons endommagent ou détruisent l’ADN, donc le matériel génétique des cellules, ce qui les empêche de se diviser, explique le Pr Lardon. Pour obtenir un maximum d’efficacité avec un minimum d’effets secondaires, il est important de toucher le moins possible de cellules saines. Le traitement doit donc être mis au point et administré avec une extrême précision. »
Les cellules saines les plus affectées par les rayons sont celles qui se divisent rapidement : celles de la peau, celles qui tapissent la bouche et le tube digestif. Les technologies actuelles, liées aux progrès de l’imagerie médicale, visent à concentrer l’irradiation au plus près de la tumeur. De plus en plus répandue en Belgique, l’Intensity-Modulated Radiation Therapy, ou radiothérapie avec modulation d’intensité (IMRT), permet de cibler plus précisément l’irradiation sur la zone à traiter, en évitant de surexposer les tissus et organes sains avoisinants. Les bénéfices pour les patients sont indéniables, les effets secondaires étant réduits.
Chimio et hormonothérapie pour certains cancers
La chimiothérapie, traitement à base de médicaments qui freinent ou interrompent la division cellulaire, augmente les chances de guérison dans certains types de cancers particuliers. Le traitement s’attaque aux cellules qui se multiplient rapidement. C’est, en général, le cas des cellules cancéreuses, mais notre organisme comporte aussi des cellules saines qui se multiplient, comme celles de la moelle osseuse, du tube digestif ou celles qui font pousser poils et cheveux. Les dégâts causés par la chimiothérapie à ces cellules saines expliquent les effets secondaires du traitement : anémie, risque d’infections, fatigue, nausées, perte des cheveux…
» La chimio permet notamment la guérison de leucémies, de lymphomes, ou encore des cancers du testicule, comme l’a montré le cas d’un patient mondialement connu, le champion cycliste Lance Armstrong, rappelle le Dr Vander Steichel. De même, grâce aux progrès de la chimiothérapie, on ampute moins que par le passé en cas de tumeur osseuse. Une combinaison de médicaments qui attaquent la cellule cancéreuse sous différents angles augmente l’efficacité du traitement et peut conduire à une guérison ou à une longue période de rémission. Un cancer était autrefois le plus souvent synonyme de décès à court terme, voire à très court terme. Aujourd’hui, la majorité des maladies sont curables ou chroniques, avec une qualité de vie mieux préservée. »
Autre thérapie systémique (qui s’applique à tout l’organisme), les traitements hormonaux ont démontré leur efficacité dans certaines formes de cancer. On sait que la croissance de certaines cellules cancéreuses est stimulée par des hormones : les oestrogènes pour le sein, la testostérone pour la prostate. L’hormonothérapie, proposée seule ou en combinaison avec d’autres traitements, vise à créer un milieu hormonal défavorable au cancer. Elle est de plus en plus souvent utilisée pour la prise en charge du cancer du sein, surtout chez les femmes ménopausées.
De nouvelles thérapies encore expérimentales
A côté des traitements classiques, il existe des thérapies encore largement expérimentales, mais qui prennent une place de plus en plus grande dans l’arsenal thérapeutique des oncologues. Plus sélectives et individualisées, ces thérapies visent à lutter de façon très ciblée contre les cellules cancéreuses et les métastases, tout en provoquant moins d’effets secondaires pour le patient.
La thérapie génique tente ainsi d’agir sur les cellules cancéreuses à l’échelon génétique ou à corriger des défauts du matériel héréditaire. » Il s’agit d’introduire le gène normal dans la cellule maligne, précise le Pr Lardon. Mais cette thérapie est soumise à un grand nombre de conditions et de limitations : d’une part, il faut arriver à repérer très précisément le gène anormal ; d’autre part, son remplacement est une opération extrêmement complexe. » Le risque d’erreur n’est pas négligeable. Il faudra donc encore attendre de nombreuses années avant que ce traitement offre une alternative aux thérapies conventionnelles. » Tout est plus complexe qu’on ne l’avait imaginé au départ, confirme le Dr Vander Steichel. Un cancer n’a pas pour origine un seul gène. Il résulte d’une série de dysfonctionnements au niveau de différents gènes. »
L’immunothérapie, un nouvel espoir
Le domaine expérimental le plus prometteur, mis sur les rails par des chercheurs belges, est sans nul doute l’immunothérapie. Le Pr Thierry Boon, directeur de l’unité bruxelloise de l’Institut Ludwig (aujourd’hui Institut De Duve), est un pionnier dans le domaine. Il a exploré la réaction du système immunitaire contre les cellules tumorales, réaction mise en oeuvre par des lymphocytes T cytotoxiques et capable de reconnaître et de rejeter une tumeur. Surtout, il a démontré l’existence d’antigènes tumoraux à la surface des cellules cancéreuses. Ce résultat, d’abord obtenu sur la souris, a ouvert la voie à des vaccins thérapeutiques. De nombreux autres chercheurs, belges et étrangers, se sont engouffrés dans la brèche. Des résultats prometteurs sont attendus pour le traitement du cancer du rein, des mélanomes…
Le dernier congrès de l’Association américaine d’oncologie clinique, grand-messe de la cancérologie qui s’est tenue fin mai-début juin à Chicago, a permis de mesurer les progrès récents de cette stratégie thérapeutique. Alors que les traitements classiques cherchent à détruire les cellules malignes, l’immunothérapie consiste à mobiliser nos propres cellules de défense pour accomplir ce travail. Plusieurs essais de médicaments (interféron…) et vaccins thérapeutiques se sont révélés décevants. Mais la donne a changé depuis 2010, avec des stratégies plus modernes : anticorps d’action ciblée, thérapies cellulaires, nouveaux vaccins destinés à booster nos défenses et à les munir de têtes chercheuses qui ciblent les cellules cancéreuses…
Comment rendre l' » armée » plus efficace
» Ces cellules sont vicieuses, s’exclame Didier Vander Steichel : dans certains cas, elles se camouflent pour ne pas être reconnues par nos défenses immunitaires. Pour atteindre le but visé, il faut que l’ennemi se dévoile. Il convient dès lors d’empêcher les cellules cancéreuses de brouiller la communication entre les cellules immunitaires, armée formée de nombreux soldats qui doivent collaborer entre eux pour être efficaces. Faut-il fournir des armes plus efficaces à ces soldats ou étoffer les effectifs de l’armée ? C’est ce que doit déterminer la recherche, qui s’efforce de comprendre pourquoi un même traitement donné à deux patients aux profils apparemment similaires produit un effet spectaculaire chez l’un, et n’en a pas chez l’autre. »
La thérapie anti-angiogénique est une autre stratégie novatrice et prometteuse. Les travaux de Peter Carmeliet, chercheur en biologie moléculaire de la KULeuven, marquent une percée déterminante dans ce domaine. La méthode consiste à entraver, à l’aide de nouveaux médicaments, le développement de vaisseaux sanguins. Les scientifiques se sont en effet rendu compte que les cellules cancéreuses, pour pouvoir se développer, détournent à leur profit le fonctionnement des cellules normales du corps. Pour ce faire, elles relâchent par exemple des substances chimiques qui ordonnent aux cellules normales de créer des vaisseaux sanguins appelés à irriguer la tumeur. Les médicaments anti-angiogenèse ont pour but de perturber la communication entre les cellules cancéreuses et celles de la paroi des vaisseaux sanguins. La tumeur se retrouve ainsi privée de l’oxygène et des nutriments véhiculés par le sang.
Très malignes, les cellules cancéreuses
Les thérapies moléculaires ciblées sont, elles aussi, l’une des pistes privilégiées par la recherche actuelle. Les progrès réalisés ces dernières années en oncologie ont livré une grande quantité d’informations sur les mécanismes intimes du fonctionnement des cellules cancéreuses, en particulier à l’échelle moléculaire. Des nouvelles cibles pour des médicaments novateurs ont ainsi été identifiées. » Grâce à ces progrès, chercheurs, médecins et firmes pharmaceutiques mettent régulièrement au point de nouveaux traitements capables d’agresser et de détruire des cellules malignes bien précises « , remarque le Pr Lardon. On en est aujourd’hui à la troisième génération de traitements ciblés.
Mais les cellules cancéreuses sont malignes dans tous les sens du terme. » Face à un traitement, elles trouvent une voie de contournement et reprennent leur développement anarchique, enchaîne le Dr Vander Steichel. Les recherches en cours visent à bloquer définitivement la cellule. Ou alors à trouver une combinaison entre la thérapie moléculaire ciblée avec d’autres traitements. » Il n’y a ni panacée ni remède miracle contre le cancer, reconnaissent tous nos interlocuteurs. Le grand défi de demain sera de réussir à associer plusieurs stades de traitement pour arriver à l’efficacité maximale.
Par Olivier Rogeau
Les découvertes suscitent beaucoup d’espoir, mais offrent rarement des débouchés immédiats