Les nouveaux journalistes

Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Faut-il, oui ou non, investir massivement sur Internet ? Pendant que les grands groupes de presse tergiversent sur la question, des citoyens ont décidé de sauter à pieds joints dans le journalisme conversationnel

Tout le monde peut devenir une source d’information. Grâce à la démocratisation des nouvelles technologies, tout citoyen est un  » capteur d’information  » qui peut devenir potentiellement un reporter capable d’identifier et de proposer des informations à haute valeur ajoutée. Munis d’un ordinateur et d’un appareil photo, des milliers d’internautes peuvent réaliser un travail de proximité incroyable qu’aucun média, aucune agence de presse, aucune association ne pourrait mener.  » Quand AgoraVox, le  » media citoyen  » (www.agoravox.fr), se présente à ses futurs lecteurs/utilisateurs, il ne lésine pas sur l’emphase. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir bougrement raison sur le fond : avec l’avènement d’Internet, chacun a la possibilité de diffuser de l’information vers le plus grand nombre. Encore faut-il que cette information soit lue : ce n’est pas parce que la plume est excellente que le contenu est bon, et vice versa. De même, comment accorder du crédit à un article dont on ne connaît pas la source ? En devenant tous des journalistes sur Internet, n’augmentons-nous pas les risques de désinformation, de déstabilisation, de manipulation ou de propagation de rumeurs ? Pour éviter ces nombreux écueils, les fondateurs d’AgoraVox – parmi lesquels on retrouve l’un des gourous de l’Internet français, Joël de Rosnay – ont mis en place un comité de rédaction chargé d’agir comme un premier filtre. Afin d’éviter toute dérive politique ou idéologique, chaque article subit une première lecture avant d’être placé sur le site. Plus efficace encore, les lecteurs jouent, eux-mêmes, le rôle de second filtre.  » Au-delà des vérifications effectuées par les rédacteurs, AgoraVox prône un processus d’intelligence collective pour fiabiliser les informations mises en ligne, peut-on lire dans la charte rédactionnelle du site. Ce processus se fonde sur les commentaires des lecteurs. Dès qu’un article est publié, tout lecteur peut intervenir librement pour le commenter, le critiquer, le compléter, l’enrichir ou le dénoncer. L’auteur et la rédaction peuvent interagir ainsi avec les lecteurs afin de compléter et d’améliorer l’article. Parfois, le comité de rédaction décide de supprimer un article après certains commentaires des lecteurs, notamment dans le cas de plagiat avéré.  »

Vox populi

Plus cruel, chaque lecteur peut voter pour ou contre un article. Un verdict populaire qui manque parfois de pertinence. Fin connaisseur des nouvelles technologies, le journaliste Francis Pisani – longtemps correspondant du quotidien Libération à San Francisco – voit ainsi un de ses articles portant sur  » l’impact de Web 2.0 sur les médias  » être jugé inintéressant par les utilisateurs d’AgoraVox. A l’inverse, un article relatant la disparition d’un marchand de journaux dans le XVe arrondissement de Paris est plébiscité par plus de 85 % des lecteurs. Pourtant, ce dernier article ne fait que reprendre des informations déjà parues dans Le Monde. L’article de Pisani apporte, lui, une véritable analyse et des éléments susceptibles d’enrichir la réflexion du lecteur. Avec son étiquette  » inintéressant « , il risque pourtant d’être ignoré par une majorité d’utilisateurs. A l’analyse, on se rend compte qu’un auteur capable de mobiliser suffisamment d’amis et de connaissances, peut ainsi peser bigrement sur le vote pour gonfler tout à fait artificiellement la visibilité de son article.  » Certains articles sont d’une richesse remarquable. Mais, contrairement à ce que nous envisagions lors du lancement, reconnaissent les initiateurs du projet, on ne trouve pas beaucoup d’éléments inédits et factuels, ni d’enquêtes approfondies sur AgoraVox.  » Pour tenter de remédier à cette lacune, le site propose, depuis peu, une plate-forme de wiki (système de gestion de contenus utilisé pour l’écriture collaborative) censée faciliter la réalisation d’enquêtes en faisant collaborer plusieurs rédacteurs entre eux.

En attendant les premiers scoops, avec ses 7 000 rédacteurs inscrits, AgoraVox peut déjà se flatter d’attirer un million de lecteurs tous les mois. Une jolie réussite pour un site ouvert au public depuis mai 2005 seulement.

Vincent Genot

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