Habituel théâtre du sprint final de la saison, le bout du printemps s’est finalement animé en coulisses. Dans l’ombre des négociations, les luttes d’influence ont dominé le jeu, devenu plus politique que sportif. Bienvenue dans les salons du Royaume des Sept Couronnes.
Étouffé par le vacarme incessant des allées et venues ailées, à quelques encablures de Brussels Airport, on pourrait penser que c’est une carrière prometteuse qui décolle. Dans les salles de réunion du Parker, première perle du chapelet d’hôtels qui sillonnent les routes entre la capitale et son aéroport, Peter Croonen est élu président de la Pro League le 22 mai 2019, alors que les effluves de champagne du titre de son Racing Genk s’évaporent à peine. Proche de Bruno Venanzi, apprécié par la majorité de ses autres collègues, le Limbourgeois est élu à l’unanimité pour prendre la succession de Marc Coucke. Faute de combattants, peut-être ? Croonen est le seul à se porter candidat pour prendre les rênes du football professionnel belge, à l’aube d’une saison qui s’annonce décisive, vu la renégociation des droits télévisés prévue en fin d’exercice.
En Flandre, c’est clair qu’une grande partie des journalistes influents sont dans la poche de Vincent Mannaert et de Michel Louwagie. » Un dirigeant du nord du pays
La promotion, aux allures de cadeau empoisonné, finit carrément par ressembler à une bombe cachée sous un ruban quand la crise sanitaire emmène le championnat belge vers un arrêt prématuré, et le chaos qui s’ensuit. Waasland-Beveren passe de la relégation au sauvetage au bout d’un long vaudeville politique et judiciaire, pour une élite nationale finalement élargie à 18 pensionnaires, après avoir présenté un calendrier pour une reprise à seize. Au milieu de tout ça, Peter Croonen semble souvent noyé. Impuissant. » C’est quelqu’un de très agréable, que beaucoup apprécient, mais c’est un président faible et influençable « , raconte-t-on dans les coulisses du pouvoir belge, là où les confessions se font rarement à visage découvert.
» C’est impossible pour Croonen d’avoir du pouvoir. Et ce n’est pas de sa faute, c’est lié au fonctionnement de son club « , explique un autre ténor des joutes verbales de la Pro League. Genk est, contrairement à la plupart des autres grands clubs de l’élite, une ASBL. Pour ses présidents, le siège éjectable n’est jamais bien loin. Au sein même du géant du Limbourg, la figure présidentielle serait de plus en plus contestée. Son siège vacillant à la Pro League serait pour l’instant sa bouée de sauvetage pour rester à la barre du navire bleu. Et sa trajectoire commence à ressembler à celle d’une étoile filante, à la lumière éteinte par les luttes d’influence dans les salons du pouvoir.
LE JEU POLITIQUE
» La première impression avec laquelle on sort de là, c’est que c’est très politique « , décrit Gauthier Ganaye, nouveau CEO d’Ostende plongé dans le grand bain des négociations à la Pro League dès son intronisation à la Côte. » Mais c’est aussi très politique en France, ou en Angleterre. Ce n’est pas très différent d’ailleurs, finalement. Ce sont juste les personnages qui changent. » Peu importent les frontières, les coups se distribuent toujours de la même manière. Souvent dans les médias influents, généralement off the record, en distillant ses théories à l’adresse de l’un ou l’autre relais de poids. » En Flandre, c’est clair qu’une grande partie des journalistes influents sont dans la poche de Vincent Mannaert et de Michel Louwagie « , pointe un dirigeant du nord du pays. Le champion et son dauphin de la défunte saison comptent clairement parmi les bastions majeurs du pouvoir national.
Dans les deux capitales des Flandres, le pouvoir est bicéphale. Il y a le président et son bras droit, formant depuis plusieurs années des tandems indissociables. La Venise du Nord est gouvernée par Bart Verhaeghe, président des puissants Blauw en Zwart, et souvent présenté par ses concurrents comme un bulldozer, toujours porté vers le progrès, mais plutôt avare en sentiments. » Peut-être aurait-il dû consacrer un peu plus de temps et un minimum d’énergie à se vendre aux gens « , pointait ainsi à son sujet Mehdi Bayat, son ancien acolyte à la Fédération, dans les colonnes de Sudpresse en septembre 2019.
Avide de faire progresser son club, pour ne pas se retrouver largué par la concurrence internationale, l’homme fort des Brugeois regarde au-delà des frontières, et affirme ouvertement ses rêves de BeNeLeague, notamment à travers une sortie médiatique dans les prestigieuses pages du journal Le Monde à l’automne dernier. Stratégique, selon certains dirigeants, à un moment où le Club devait placer ses pions dans le débat de la répartition des droits télévisés, pour dévorer une plus grande part du gâteau.
BRUGES, LE PUISSANT QUI S’ISOLE
De par le statut acquis par son club, incontestablement le plus puissant du pays, Verhaeghe devrait être l’homme le plus influent du jeu national. C’est sans compter sur ce caractère qui multiplie un peu trop visiblement le nombre de ses ennemis. En coulisses, on raconte que son départ de la Fédération à l’été 2019, où il occupait le poste de vice-président, a surtout été dicté par l’incertitude d’une réélection. Quelques mois plus tard, c’est pourtant lui que le public des Diables pointait du doigt sur une banderole déployée lors de la rencontre face à Chypre au stade Roi Baudouin : » Numéro 1 mondial, mais pas de stade. Merci Bart Verhaeghe. »
Il se dit que le dossier du stade national est, au-delà des querelles politiques, une conséquence du conflit ouvert entre Verhaeghe et Paul Gheysens, le président de l’Antwerp. Ce dernier aurait fait de la chute du patron brugeois une affaire presque personnelle, et utiliserait le football pour le faire tomber de son piédestal. En attendant, s’il n’est plus officiellement aux manettes, l’homme fort du Club a assuré ses arrières en veillant personnellement à ce que le rôle de CEO de la Fédération soit confié à Peter Bossaert, ancien de Medialaan appelé par Verhaeghe pour dépoussiérer la Fédération en compagnie de Mehdi Bayat, élu à la tête de l’Union belge dans la foulée du départ du président de Bruges.
Mehdi, c’est un malin. Il vote une fois avec les grands clubs, puis une fois avec le k11. » Un dirigeant d’un petit club
À la Pro League aussi, Bruges a quitté sa position privilégiée, quand Vincent Mannaert a décidé de ne pas postuler pour prolonger son siège au conseil d’administration, présenté par tous les initiés comme le véritable lieu de pouvoir du foot pro belge, bien plus que l’assemblée générale où » nous, les petits clubs, on n’a rien à dire, parce que les grands clubs sont trop puissants « , lâche un dirigeant. Dégoûtés par les coups politiques, qui ont menacé de mettre leur titre dans la balance en l’absence de compensation financière pour les clubs lésés par l’arrêt prématuré du championnat, et par une ambiance de querelles de clochers, les Blauw en Zwart ont déserté les postes théoriques du pouvoir, tout en restant le club le plus puissant du pays.
LE RECUL MAUVE ET ROUCHE
Rivaux historiques des Brugeois, à une époque pas si lointaine où le football belge se dirigeait à trois – période que Mehdi Bayat a appelée » l’ancien régime » sur le plateau de LN24 – Anderlecht et le Standard ont perdu leur poids majeur au sein des débats ces dernières années. Dans la capitale, les nombreux remous de la succession de Roger Vanden Stock, figure marquante des années 2000 au sein des instances, n’ont pas facilité la transition au pouvoir national. Empêtré dans les dossiers internes, contesté par ses propres supporters, Marc Coucke a surtout dû se charger de la direction de son club, dont il a finalement confié la présidence à un Wouter Vandenhaute longtemps hésitant, qui espérait pouvoir garder les rênes de sa boîte de management Let’s Play tout en dirigeant un club, au grand étonnement de certains de ses concurrents.
Homme de médias et de négociations, le nouveau patron des Mauves a envoyé Karel Van Eetvelt occuper le siège mauve au conseil d’administration de la Pro League, laissé vacant par Marc Coucke, mais le nouveau CEO anderlechtois s’est déjà mis quelques dirigeants à dos quand il a jeté à la poubelle la formule de D1A à 18 clubs qu’il avait pourtant défendue dans le groupe de travail, après un avis négatif alors rendu par Coucke. Une volte-face qui déplaît, et qui n’arrange pas la situation des Mauves, où » on se demande toujours qui est vraiment le patron « , glisse-t-on chez un concurrent. Pas évident, dans ces circonstances, de se faire respecter en dehors de ses propres murs. Les nouveaux hommes forts suscitent déjà néanmoins plus de respect que Michael Verschueren, décrit par un dirigeant majeur du football belge comme » juste bon à organiser des réunions sur WhatsApp « .
À Liège, le pouvoir national semble avoir quitté les mains rouches en même temps que Lucien D’Onofrio, désormais à l’Antwerp (en attendant un retour prochain en Principauté ? ). Ni le trop clivant Roland Duchâtelet, ni son successeur n’ont réussi à atteindre l’aura du Don. En coulisses, certains se sont étonnés de voir Bruno Venanzi se réjouir de la décision d’une D1A à seize qui envoyait Waasland-Beveren en D1B au mois de mai dernier, décrivant un président rouche qui » dansait presque devant son écran « . Était-ce parce que le verdict suivait à la lettre le courrier adressé par Venanzi aux autres dirigeants quelques jours avant le vote, réclamant un relégué s’il devait y avoir un champion ? Une forme de pouvoir retrouvé, pour un président dont la plupart des semblables s’étonnent de le voir si souvent emboîter le pas de Mehdi Bayat sur les dossiers chauds ?
LES NOUVELLES PUISSANCES
Dans la lutte pour le haut du panier belge, on retrouve désormais d’autres rivaux prêts à faire vaciller le géant brugeois. À Gand, les indéboulonnables Ivan De Witte et Michel Louwagie continuent d’appliquer leurs vieilles recettes. Si le président incarne le côté bienveillant et rassembleur, son bras droit est un redoutable squale dans l’océan politique des grandes décisions du football belge. » C’est quelqu’un qui pense toujours à l’intérêt de son club, et qui ne dévie jamais de sa trajectoire « , raconte un dirigeant. » Il dit ce qu’il pense, et il se bat pour son club avec beaucoup de fermeté et d’expérience. »
Paul Gheysens, le président de l’Antwerp, aurait fait de la chute de Bart Verhaeghe une affaire presque personnelle.
Membre du groupe de travail pour repenser la formule du championnat suite à l’arrêt des compétitions, le manager de Gand avait immédiatement marqué son désaccord pour une formule à dix-huit clubs, devançant le verdict du CA dont il est l’un des membres les plus influents. Parfois craint par ses semblables, il a été l’un de ceux qui ont intelligemment agité le spectre de trois relégués au bout d’une année jouée à dix-huit au mois de mai, rappelant aux clubs de milieu de tableau que le Beerschot et OHL ne monteraient pas pour être des candidats au maintien, et que leur siège au sein de l’élite pourrait être fragilisé. Pari alors gagné, faisant pencher le vote pour un championnat à seize avant que la justice et son timing tardif ne contraignent la Pro League à réintégrer Waasland-Beveren. Malgré des méthodes que certains de ses semblables jugent démodées, Louwagie reste un négociateur redoutable, que tous préfèrent avoir dans leur camp.
Dans la métropole anversoise, siège du matricule numéro un, le Great Old se prépare à (re)devenir un géant. Pour la progression sportive, son président Paul Gheysens a misé sur les réseaux et l’expérience de Lucien D’Onofrio, et les deux hommes mènent leur barque de concert, même si le ton monte très souvent en privé. » Ils sont tous les deux trop intelligents pour que ça finisse autrement que par un divorce à l’amiable « , raconte-t-on au sujet de la relation parfois houleuse entre les deux hommes, qui pourrait bientôt atteindre son terme si le Don décide de rejoindre son ami François Fornieri dans le navire rouche. Au sein des instances, où la personnalité clivante du Liégeois fait grincer certaines dents, l’Antwerp mise plutôt sur Sven Jaecques, son manager général, récemment élu au sein du Conseil d’administration de la Pro League après plusieurs tentatives infructueuses pour D’Onofrio. » Jaecques est beaucoup mieux accepté, même s’il suit plus souvent l’avis des grands clubs « , glisse un dirigeant du k11. Quand il faut sortir le sniper, c’est toutefois Lucien qui est envoyé au front. La cible : Mehdi Bayat. » Il vous parle d’un cheval blanc et quand vous allez voir dans l’écurie, vous trouvez un âne noir « , dégaine devant un parterre de journalistes triés sur le volet le Don, à l’adresse du patron des Zèbres. Par rancoeur personnelle dans une lutte de pouvoir qui tourne à son désavantage, ou pour soutenir son président, patron de Ghelamco, qui ne décrochera vraisemblablement pas le chantier du futur stade carolo ?
LES CASQUETTES DE MEHDI
Au petit jeu de l’homme le plus puissant du football belge, beaucoup désignent le cadet des frères Bayat. » L’homme le plus fort, c’est Mehdi, sans aucun doute « , lâche Vincent Goemaere, le président du Cercle, l’un des rares à oser une phrase à visage découvert sur l’homme qui empile les casquettes d’administrateur délégué de Charleroi, de membre du conseil d’administration de la Pro League et de président de la Fédération. Les autres préfèrent évoquer le pouvoir du multi-président off the record.
» Mehdi, c’est un malin. Il vote une fois avec les grands clubs, puis une fois avec le k11 « , glisse le dirigeant d’un petit club au sujet de celui qui affirme toujours suivre l’intérêt général, même s’il n’est pas le sien. » Un malin, dans le bon sens du terme « , confie un ténor de la Pro League. » Si un dossier lui tient à coeur, il fait du lobby pour le soutenir, et il est très fort pour ça, pour parvenir à pousser ses idées. Par contre, quand il est opposé à un dossier, il ne vient pas se mettre debout devant le train en marche. Il se contente de ne rien faire et d’observer. » Une bonne façon d’éviter de se faire des ennemis. » Les critiques et les attaques à mon encontre, elles n’émanent que d’une seule personne « , se défend d’ailleurs récemment le Franco-Iranien sur le plateau de Super Sunday ( LN24), pointant du doigt Lucien D’Onofrio et son offensive par presse interposée. Malgré les reproches sur son omnipotence, Mehdi Bayat conserve en effet plus d’alliés que d’ennemis au sein des instances. Sa récente réélection au CA de la Pro League, alors qu’on disait son statut écorné, l’a encore démontré.
» Dans les débats à la Pro League, j’ai rapidement constaté que Mehdi Bayat, Vincent Mannaert et Michel Louwagie étaient au-dessus de la mêlée « , raconte encore un dirigeant. » Ils sont deux ou trois fois plus intelligents que les autres, et savent qui placer à leurs côtés. Certains sont déjà contents d’être là, mais ils n’ont aucune vision, et ils se font dévorer par ceux qui maîtrisent mieux le jeu politique et l’orientent dans leur sens. » Diriger un club de football est aussi un travail de politicien, et certains semblent plus adaptés que d’autres à l’exercice de la fonction publique. Ne dit-on pas qu’à Charleroi, Paul Magnette plaisante souvent sur son soulagement de ne pas voir Mehdi Bayat lui contester le costume de bourgmestre ?