Le Kâma-Sûtra n’est pas qu’un catalogue de positions sexuelles. Au-delà du cliché, cette exposition parisienne pose un regard nuancé sur le grand livre qui parle finalement plus de spiritualité que de sexualité.
Dans l’inconscient collectif, le Kâma-Sûtra est généralement résumé à un grand livre d’images pornographiques pour public averti et couples à l’imagination affaiblie. Et pour cause : les plaisirs charnels – ô combien intemporels – y sont figurés sans pudeur ni hypocrisie. Alors que certains rougissent ou s’amusent du mélange d’audace, d’humour et de libération sexuelle, d’autres fustigent au contraire son caractère explicitement intime. Ces réactions, y compris les plus excessives, peuvent être comprises dès que l’on remet les deux cultures – orientale et occidentale – en perspective. Bien ancré dans son héritage judéo-chrétien, l’Européen est en droit de se demander comment un livre religieux peut faire autant de place à l’érotisme.
En réalité, ce répertoire de postures sensationnelles ne représente que la partie visible de l’iceberg. L’art de la » gaudriole » constitue seulement un fragment d’un texte majeur et mythique de l’hindouisme médiéval, que l’on attribue à un brahmane du IVe siècle (Vâtsyâyana). Le Kâma-Sûtra est composé de sept livres – répartis en 36 chapitres – sur » l’art de vivre une grande vie « , selon les termes d’Alka Pande, commissaire de l’exposition. Un ouvrage de référence qui servait de guide à l’homme et à la femme au cours de leur vie afin d’atteindre le salut. Dès lors, de nombreux thèmes sont abordés : les parfums, la nourriture, les maquillages, la musique, la danse…
Un voyage spirituel et sensuel
L’exposition réunit plus de 300 oeuvres (bas-reliefs de bois et de pierre, miniatures, objets dévotionnels…) présentées dans de beaux espaces aux couleurs locales faisant la part belle aux rose, safran et vert » avocat « . La visite est fidèlement orchestrée selon le découpage original du Kâma-Sûtra, en commençant par la vie sociale. L’érotisme est abordé dans le deuxième livre avec des préceptes aussi élémentaires que la compatibilité sexuelle… Sans cela, pas de mariage ! A mille lieues de nos traditions chrétiennes prônant le mariage avant tout rapprochement charnel. Et on ne peut s’empêcher d’imaginer combien d’unions auraient été sauvées en appliquant cette façon, quand même très logique, de penser. Ainsi, après un chapitre consacré aux étreintes (de la morsure et des griffures au baiser tout simple), la troisième partie concerne l’art de faire la cour et de se marier ! La suite aborde la conduite de l’épouse quant à la gestion du foyer, du harem… puis les relations extra-maritales avec des chapitres aussi savoureux que » séduire les femmes des autres » pour les hommes, » la recherche d’un amant fixe » ou encore » les façons d’obtenir de l’argent d’un amant fortuné » pour les dames. Le septième et dernier livre insiste sur les liens étroits que peuvent entretenir l’érotisme et la magie (avec tout ce qu’il faut d’aphrodisiaques et autres filtres d’amour).
Voici donc une exposition qui parvient à piquer notre curiosité… et dont on ressort sidéré par la modernité de ce texte séculaire qui préfère accepter (plutôt que de juger) des pratiques comme l’adultère ou les relations homosexuelles. Un livre de raison à l’usage de tous ceux qui rêvent d’une vie plus épanouie.
Kâma-Sûtra : spiritualité et érotisme dans l’art indien, à la Pinacothèque de Paris. Jusqu’au 11 janvier 2015. www.pinacotheque.com
Gwennaëlle Gribaumont