Les hallucinations de l’art totalitaire

Exaltation d’un dictateur quasi divinisé, promotion de la force, de la race ou d’un paradis social… Art et dictature au XXe siècle réunit les oeuvres que Mussolini, Hitler et Staline ont utilisées pour envoûter le peuple. Un album monstrueusement splendide.

 » On peut décomposer l’esthétique du totalitarisme de la façon suivante. Il y a d’abord l’instauration d’un dire fondateur formulé par une source unique énonciatrice et légifère. De cette énonciation naît une radicale négation-destruction de la différence. A toute différence se substitue alors une imagerie persuasive, qui illustre le dire fondateur. Cette nouvelle représentation occulte toute image antérieure, en particulier les images religieuses, en les falsifiant. Ainsi Hitler fait-il créer des autels à sa gloire et se représente en Jeanne d’Arc, tandis que Staline prend des postures christiques. A partir de cette imagerie falsifiée s’organise à son tour une prise en main de l’outil artistique synthétique avec un spectaculaire développement de la scénographie et de l’architecture qui se transforment en instruments de l’accomplissement totalitaire. L’art devient, au même titre que la terreur, le moyen privilégié du totalitarisme. Le débat étant impossible puisque le totalitarisme ne fonctionne pas à partir d’une pensée, mais d’une idéologie, et tous ceux que l’on ne peut séduire avec cet art persuasif sont éliminés physiquement.  »

Dans son époustouflante préface d’Art et dictature au XXe siècle, le philosophe et critique d’art Philippe Sers démontre comment le nazisme, le fascisme et le communisme ont fait  » un grand usage de l’imagerie, mais aussi de la synthèse des arts, architecture et scénographie, pour conforter par la séduction et l’intimidation l’exercice de leur pouvoir « . Avec l’ingénieure Maria Adriana Giusti et plus de deux cents représentations des oeuvres (picturales, sculpturales, graphiques et architecturales) réalisées ou utilisées à la gloire de Mussolini, Hitler et Staline, Sers rappelle que le  » caractère mensonger, cynique, du dire totalitaire installe une coupure entre l’homme et toute connaissance possible, une césure entre lui-même et toute morale. L’art a été un moyen de faire passer pour authentique cette parole totalitaire, ce dire mensonger, et de contribuer à son efficacité.  »

Ainsi, et entre autres caractéristiques,  » le totalitarisme est le triomphe absolu de l’apparence. Mais c’est simultanément la volonté d’immobiliser le temps. Ce temps destructeur doit être contrôlé, immobilisé, inclus dans la puissance fondatrice du dire. La fin du bâtiment ne marque pas alors sa destruction, sa disparition, mais l’apothéose de l’intention du bâtisseur, son témoignage ultime, puisque ce bâtisseur a commencé par le penser comme une ruine. Sa culture est une culture de la mort.  »

Art et dictature au XXe siècle, par Maria Adriana Giusti et Philippe Sers, éditions Place des Victoires, 256 p.

Th. F.

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