Les filles dela petite reine

Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Confrontées aux mêmes difficultés que leurs homologues masculins, les coureuses cyclistes n’arrivent pas à quitter l’ombre pour le devant de la scène. La route est longue et bien ingrate pour ces amazones modernes que les glissades sur le bitume n’effraient pas

Assise sur un muret contre lequel elle a appuyé son vélo, elle pleure. La tête entre les mains, les genoux appuyés sur son cuissard rouge, elle est perdue au milieu d’une foule qui ne la voit même pas, trop occupée à guetter l’arrivée des Valverde, Di Luca, Etxebarria et autres grands noms du circuit masculin.  » Chaque fois que je recollais au peloton, je tenais quelques secondes avant de décrocher, hoquette-t-elle. J’étais cuite.  »  » T’énerve pas, ça arrive… C’était simplement un jour sans « , la rassure une coéquipière. Que le contraste de cette fin de course est grand avec les mines réjouies du matin !

Elles étaient alors 146, Rimmel aux yeux pour certaines, mais sourire aux lèvres pour toutes, à blaguer sur la ligne du départ de la Flèche wallonne. Elles étaient prêtes à en découdre avec les 106 kilomètres d’un parcours dont le final allait se jouer, comme pour la course des hommes, dans l’impressionnant mur de Huy.  » Si ça se trouve, en plus de nombreux spectateurs, on aura même droit à un passage à la télévision « , ironisait l’une des coureuses de l’équipe française Vienne Futuroscope, visiblement peu habituée à voir autant d’effervescence au départ d’une course féminine. Il est vrai qu’à l’inverse de ce que pourraient laisser penser les maillots bariolés des 25 équipes engagées dans la course, le cyclisme féminin reste encore très confidentiel. Le manque de moyens saute aux yeux et l’unité des équipes ne passe, d’ailleurs, pas la barre de l’habillage des vélos. Sauf pour quelques équipes étrangères – principalement allemandes, néerlandaises et italiennes – chaque fille semble rouler sur une machine qu’elle a dû acheter elle-même. C’est à ce genre de petits détails que l’on mesure le fossé existant entre les cyclismes masculin et féminin. Les sponsors ne s’y trompent d’ailleurs pas. Beaucoup plus visibles que les annonceurs traditionnels du milieu vélocipédique, ce sont surtout des marques d’équipement pour bébés qui imposent, ici, leurs couleurs sur les maillots des coureuses. Il n’est, dès lors, pas étonnant que le montant total des prix attribués à l’occasion des épreuves féminines soit moindre que chez les hommes. Pour l’édition 2006 de la Flèche wallonne, le peloton des 249 coureurs s’est partagé une enveloppe de 42 250 euros. Les femmes, elles, ont dû se contenter de 4 450 euros. Là où le premier empoche la coquette somme de 16 000 euros, la première gagne 1 000 euros…

 » 1000 euros, c’est déjà très bien, sourit Ludivine Henrion ( voir portrait page 113), cinq fois championne de Belgique chez les jeunes, et dont le palmarès professionnel compte déjà deux victoires internationales : le Trophée d’or et le Holland Ladies Tour. Dans une course de kermesse, le gain pour la victoire dépasse rarement les 50 euros. Je ne sais pas pourquoi les sponsors ne soutiennent pas davantage le cyclisme féminin, ni pourquoi les médias ne couvrent pas plus nos compétitions. Nos courses sont tout aussi passionnantes que celles des hommes. Sur certains parcours, on tient des moyennes de 45 kilomètres-heure, sans compter qu’il y a rarement de longs rounds d’observation. Chez nous, on entre très rapidement dans le vif du sujet.  » De fait, quand elles sont sur leur vélo, ces jeunes femmes paraissent beaucoup plus spontanées que les hommes, plus généreuses dans l’effort. Les calculs et les stratégies semblent moins prégnants. Si certaines coureuses sont en liaison avec leur directeur sportif par oreillette interposée, cela n’empêche pas les échappées au panache. Des raids en solitaire, souvent stériles, mais qui font vibrer le public, comme ceux d’un Merckx au début de sa carrière. Dans les sprints massifs, l’explosivité et la bagarre sont également au rendez-vous.  » Trop anxieuse, je ne regarde jamais les sprints de ma fille, avoue Francine, la maman de Ludivine. Je croise les doigts : mis à part quelques brûlures à la suite de glissades, Ludivine n’a jamais connu de gros pépins.  »

A la recherche de visibilité

 » Pour avoir une meilleure médiatisation des courses féminines dans notre pays, il nous faut des championnes, explique Emile Carlier, journaliste sportif pendant plus de quarante ans et fin connaisseur du monde cycliste. C’est aussi simple que ça. Au niveau du spectacle, les courses féminines n’ont rien à envier à celle des hommes. S’il est vrai que les femmes pédalent, en moyenne, une bonne dizaine de kilomètres par heure moins vite que les hommes, cela n’enlève rien à leur mérite. Le pourcentage de la cote dans le mur de Huy est le même pour tout le monde.  » Journaliste sportif à la RTBF, Manuel Jous partage cette analyse.  » Il faut vraiment avoir un exploit significatif pour que l’on parle du cyclisme féminin, précise-t-il. Cette discipline a connu ses heures de gloire, en France, grâce à Jeannie Longo : plus de 900 victoires, dont 13 titres de championne du monde. Mais ce constat ne se limite pas au sport féminin. Chez nous, on parlerait probablement beaucoup moins de tennis de table si nous n’avions pas le pongiste Jean-Michel Saive.  » Pour Christophe Marchandier, attaché de presse d’Amaury Sport Organisation, société organisatrice du Tour de France, les choses évoluent.  » Une course de la Coupe du monde, comme la Flèche wallonne féminine, fait toujours le plein en matière de participantes et d’équipes. On note, par contre, une nette augmentation de la présence de la presse couvrant l’événement. Il y a trois ans, seuls 5 médias étaient accrédités. Cette année, ils étaient une vingtaine…  »

En attendant, dans un milieu encore dominé par les hommes, il faudra également penser à changer les mentalités. Ainsi, alors que les spectateurs massés le long du circuit montraient un réel engouement pour la course féminine, cela ne semblait pas être le cas du commentateur officiel. Flèche wallonne masculine oblige – les deux épreuves se couraient en même temps – celui-ci n’avait de voix que pour les péripéties de l’épreuve masculine. Tout au plus, après avoir annoncé le nom des trois premières, se fendra-t-il d’un condescendant  » Malgré les nombreuses difficultés, elles ont toutes rejoint la ligne d’arrivée. Bravo à elles !  » Ce jour-là, il y a eu pourtant 24 abandons dans la course des femmes. Preuve qu’il fallait un c£ur gros comme ça pour oser s’y lancer

Vincent Genot

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