La menace terroriste a gelé artificiellement le débat politique pendant quelque temps. A présent que les répercussions des attentats de Paris sont passées au second plan de l’actualité et que la politique se normalise, les esprits s’échauffent. Comme si toute la hargne politique accumulée, contenue durant quelques semaines par la solidarité imposée, remontait d’un seul coup à la surface. La rue de la Loi contribue elle-même à créer un climat antipolitique détestable.
La manière dont la menace a été abordée fait l’objet d’une discussion continue au sein du gouvernement fédéral. Tout le monde ne se trouve pas sur la même ligne dure. On attend à présent les travaux de la commission spéciale de lutte contre le terrorisme, chargée surtout de prouver rapidement la détermination de l’équipe Michel. Les principes fondamentaux de notre Etat de droit, tels que la séparation des pouvoirs, risquent de s’en trouver malmenés. En outre, les premières décisions relèvent de la gestion de crise, sans plus. Sur l’approche plus fondamentale de la menace – les mesures à prendre et les investissements à faire en matière de travail, d’enseignement, d’urbanisme, de l’instauration d’un islam européen, etc. – bien des débats internes se profilent. Une telle approche requerra une grande collaboration non seulement au sein des gouvernements, mais aussi entre eux. Or, l’ambiance n’y est pas propice et le gouvernement fédéral a encore d’autres chats à fouetter.
Ainsi, force est de constater qu’en dépit de ses efforts, Theo Francken n’arrive pas à contrôler l’accueil des réfugiés. Tous ne bénéficient pas d’un toit. Sous la législature précédente, Maggie De Block a vu comment la justice avait obligé le gouvernement Di Rupo à réserver des chambres d’hôtel pour des réfugiés. Comme Francken ne veut pas risquer un tel scénario, les demandeurs d’asile ne reçoivent plus aucun papier qui leur permettrait de s’adresser au tribunal. Cela rend le problème moins visible, sans plus.
Plus criants sont les soucis budgétaires de l’exécutif Michel. La Cour des comptes, le Bureau du Plan et la Banque nationale reconnaissent que le tax-shift créera des emplois mais ils s’inquiètent, comme la Commission européenne, de ses conséquences budgétaires. Les chiffres divergent, mais toutes ces instances prévoient un déficit de plusieurs milliards. Même sans ce tax-shift, ce gouvernement est en retard sur les objectifs convenus avec l’Europe. Même avec une croissance économique plus vigoureuse, il devra encore prendre des mesures d’austérité. Cette perspective envenime les relations au sein de l’équipe gouvernementale. Or, elles sont déjà très tendues comme en témoigne la guerre ouverte entre le président de la commission des finances, Eric Van Rompuy (CD&V), qui a souligné le déficit budgétaire créé par le tax-shift, et les chefs de groupe Patrick Dewael (Open VLD) et Hendrik Vuye (N-VA). Ce dernier a même dit, à propos de Van Rompuy : » On ne devient pas président de commission après un test d’intelligence… »
Ensuite, il y a la décision de prolonger deux réacteurs nucléaires, qui témoigne d’une étroitesse de vue inédite. Il se pourrait qu’après 2017, la sécurité énergétique ne soit » peut-être » pas assurée. Le monopole de fait accordé à prix d’ami à Electrabel ralentira encore davantage le passage à l’énergie durable. Si la politique énergétique était déjà lamentable en Belgique, elle prend des allures de catastrophe avec Charles Michel. Ce n’est pas tout : il y a le vaudeville climatique. L’accord a été conclu beaucoup trop tard à cause d’un fédéralisme d’hostilité, soit l’inverse du fédéralisme de coopération. Michel a rejeté la faute sur le gouvernement wallon, Magnette a traité Michel de menteur. On a rarement vu des chefs de gouvernements fédéral et régional s’invectiver avec une telle virulence. Le débat politique offre là un bien triste spectacle.
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par Carl Devos Politologue à l’Université de Gand.