Depuis plusieurs semaines, un groupe de chrétiens intégristes perturbe les représentations parisiennes d’une pièce de théâtre. Qui se cache derrière l’Institut Civitas ?
» Christianophobie » : le mot est lâché. Après l’Iran ou l’Egypte, la France souffrirait donc de christianophobie, à croire les boutefeux intégristes de l’Institut Civitas. Depuis le 20 octobre, cette organisation appelle à manifester tous les jours devant un théâtre parisien où se joue une pièce, Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci, à ses yeux blasphématoire. Soir après soir, quelques dizaines de personnes viennent prier et dénoncer un spectacle jugé » insultant pour tous les chrétiens « . Et ce n’est qu’un début, assure le Belge Alain Escada, 41 ans, président de Belgique et Chrétienté et secrétaire général de Civitas. A partir du 8 décembre, le théâtre du Rond-Point accueillera Golgota Picnic, une pièce délibérément anticléricale, qui avait d’ailleurs déjà entraîné des réactions durant ses représentations à Toulouse. Les lancers d’£ufs et d’huile de vidange effectués durant les manifestations précédentes – » Humour de potache « , dit-il, souriant – risquent de n’être qu’une aimable plaisanterie au regard de ce qui attend le théâtre du Rond-Point, abreuvé de 300 e-mails et lettres d’avertissement dénonçant un » spectacle blasphématoire « . Son directeur, Jean-Michel Ribes, craint d’ailleurs d’être » la prochaine cible » des intégristes en tout genre, après l’incendie des locaux de Charlie Hebdo en réponse à son numéro spécial » Charia Hebdo « . Mais quel est donc cet Institut Civitas, qui revendique un millier de membres et un réseau de » 100 000 personnes » sur le seul territoire français ? Fondé en 1998, il est issu de la Cité catholique, un mouvement créé après guerre par un certain Jean Ousset, disciple de Maurras et partisan de l’Algérie française. Composé de laïques, à la différence de la Fraternité Saint-Pie-X de feu Mgr Lefebvre, dont il est néanmoins très proche, Civitas est un mouvement » non violent « , assure son secrétaire général. Non violent, mais capable tout de même de vandaliser deux photographies d’une exposition organisée en mars dernier à Avignon. L’épiscopat français a condamné ces brebis égarées ; l’évêque de Vannes, lui, les soutient. » Alors que les chrétiens sont régulièrement agressés dans leur foi, la plupart des évêques sont des carpes, déplore le traditionaliste Emmanuel Delhoume. Civitas ne fait qu’illustrer le décalage grandissant entre l’élite et le peuple chrétien. «
» Nous menons une guerre culturelle «
Des » trotskistes de l’Eglise » : c’est pourtant ainsi que les dépeint le journaliste de La Croix Nicolas Senèze, auteur de La Crise intégriste (Bayard), pour qui ses membres sont » bien organisés, très malins « , et prennent pour modèles les petits partis ultras américains liés aux protestants évangéliques. Les » Civitas boys » pratiquent volontiers l' » amalgame au nom d’une persécution antichrétienne qui leur permet, notamment, de toucher des catholiques non traditionalistes « , ajoute le journaliste.
Usant d’une sémantique guerrière et d’une stratégie planifiée depuis plusieurs mois, pratiquant volontiers l’agressivité verbale, ce qui leur a offert une forme de reconnaissance médiatique nouvelle, ils poursuivent un objectif de reconquête politique qui constitue une spécificité de leur mouvement. » Paradoxalement, les risques de débordement émanent moins de la base que du sommet « , observe Guillaume de Prémare, animateur du blog Urgence com’ catho. Avec, en toile de fond, » une mythologie de la virilité catholique qui ne laisse pas de place pour les tièdes « , ajoute ce consultant chrétien. » Nous ne cherchons pas l’affrontement, même si nous considérons devoir mener une guerre culturelle « , se défend Alain Escada. C’est ce qui s’appelle jouer sur les mots.
VINCENT OLIVIER