Le Gantois Peter Buggenhout retrace, à Louvain, quinze ans d’un travail récemment honoré par le MoMA PS1 de New York. Dans ce parcours labyrinthique, surtout, ne vous fiez pas aux apparences !
Une des sculptures de Peter Buggenhout (né en 1963) présentées au M-Museum Leuven est une sorte de gueule noire ouverte et menaçante accrochée à un haut mur blanc. D’autres, aux allures d’embarcations posées au sol serrent de presque trop près le volume de la salle. On ne peut que les contourner sans prendre la distance qui nous donnerait le pouvoir sur elles. Certaines s’étirent, en largeur ou en hauteur, baveuses, dégoulinantes, abjectes et toujours impressionnantes. Elles se soulèvent du sol alors que d’autres encore, enserrées dans des vitrines, frôlent le verre qui ne les protège que de façon illusoire.
Les oeuvres sont noires, patinées de manière uniforme par une texture de poussière mélangée à du sang animal. Ailleurs, elles sont pâles, faites de viscères de porc et de crin de cheval. Que voit-on ? Impossible de le décrire. Sous un certain angle, on croit deviner la présence d’un corps inerte sous les draps. Mais en se déplaçant à peine, tout change. Voilà une grotte, un couloir, une poutrelle, une ruine. Un passage nous attire dans le ventre de » l’objet » et nous y engloutit. Des obliques tranchantes, des surfaces ondulantes coupent notre élan. Un cadre paraît y mettre un peu d’ordre. Peine perdue. Au fur et à mesure que le regard se déplace, s’ouvrent de nouvelles et chimériques perspectives.
L’une des salles a été structurée par l’artiste à la manière d’un labyrinthe. On passe cette fois d’une vitrine à l’autre mais on ne se souviendra de rien, sinon d’une impression ; celle d’un organisme vivant dont la peau et les os, les muscles et les fluides seraient faits de poutrelles d’acier, de plastiques, de matelas, de mousse et de planches de bois. Ces matériaux de récupération pourraient réveiller en nous la nostalgie, voire l’annonce d’une catastrophe. Il n’en est rien. Ce sont plutôt des fragments, des » choses » (comme le dit Buggenhout) situées hors du temps et de l’espace, des bribes d’informations que l’oeil réunit de manière passagère.
Le titre Mont Ventoux de l’une des trois séries présentées dans cet ensemble d’une trentaine de pièces, offre un indice à qui chercherait le sens de ce travail. Il fait référence à l’un des textes de Pétrarque dans lequel l’auteur italien évoque son ascension, en 1335, de la montagne et son désir, une fois arrivé au sommet d’embrasser le monde entier. Or, pour Buggenhout, l’homme immergé dans le réel ne peut jamais le dominer. Parce que la complexité du monde et ses transformations inattendues, comme dans la nature (on songe aux virus), empêchent toute forme de maîtrise et de simplification.
Les oeuvres de Buggenhout ne racontent donc rien mais suggèrent les plus diverses associations. Ici, on songe à Jérôme Bosch, là à Rubens ou encore au Caravage, au minimalisme, à la Junk Culture… En vain ! On peut alors mieux saisir la portée de cette autre déclaration de l’artiste évoquant son travail (d’une complexité et d’une précision diabolique) : » J’abandonne quand la pièce n’est plus lisible. »
Peter Buggenhout, au M-Museum Leuven, à Louvain. Jusqu’au 31 mai. www.mleuven.be
Guy Gilsoul