Les beaux vélos des Wallons
Les Wallons commencent enfin à (re)goûter aux joies du vélo. Mais, pour les convaincre d’enfourcher plus régulièrement leur bécane, il faudra une révolution des mentalités. Elle arrive…
Ils tremblent, ils trépignent, ils trémulent avant de bondir. Emportés par le succès du RAVeL, les vélos des Wallons n’attendent qu’une chose : s’élancer sur les 1 000 kilomètres de ce vaste réseau de voies lentes – chemins de halage, anciennes voies de chemin de fer… – qui s’étendent à travers les campagnes du sud du pays – et, demain, conquérir toujours plus de villes et de villages. Des chiffres ? Introuvables. Mais, comme à Bruxelles, les petits signes démontrant le succès croissant de la petite reine ne trompent pas. » Il y a cinq ans, lorsque je croisais un cycliste à Liège, je le connaissais forcément, se souvient ce pédaleur de la première heure. Aujourd’hui, je croise des familles sur le chemin de l’école, des adolescents en balade, des toxicos sur leur bécane à 20 euros, etc. Le public s’est considérablement diversifié. On est en train de tourner la page de quarante années de déclin du vélo. «
Excès d’optimisme ? A voir. Entre Liège et Esneux, le RAVeL de l’Ourthe devient presque un lieu dangereux pour ses utilisateurs, le dimanche, tant la fréquentation est grande. A Ottignies comme à Jodoigne, les listes d’attente pour bénéficier des conteneurs sécurisés à destination des vélos, mis à la disposition des cyclistes à la sortie de la gare de la SNCB par le TEC, ne cessent de s’allonger. Bientôt, d’autres petites villes devraient en disposer également : Perwez, Marche, Gembloux, Enghien, Mouscron… Autre évolution significative : 106 communes plutôt rurales se sont portées candidates, cette année, à la restauration de leurs chemins vicinaux, servitudes et petits sentiers oubliés de tous, envahis par les herbes folles ; piétons et cyclistes en seront les premiers bénéficiaires. Il faut dire que les subsides régionaux ont réveillé les ardeurs des édiles locaux. Enfin, plus personne ne s’étonne, aujourd’hui, dans les trains qui rallient la capitale, de voir d’étranges navetteurs, fluorescents et casqués, monter à bord des voitures de la SNCB et ranger leur vélo pliable entre les banquettes.
Le RAVeL : une attraction sous-utilisée
En termes de fréquentation, le vélo n’est pourtant pas près de grignoter des parts de marché significatives à la voiture ou au transport en commun. Malgré son succès, le RAVeL, par exemple, ne constitue pas une véritable alternative à la route, restant principalement un réseau touristique fréquenté le week-end. Il manque, en fait, en Wallonie, une véritable politique concertée en faveur du vélo. Acteur clé du développement des pistes cyclables le long des voiries régionales, le ministère de l’Equipement et des Transports (MET) est souvent paralysé par son manque de communication interne – voire ses guéguerres intestines. Dans certaines régions, les discussions avec les communes s’avèrent difficiles. De telles pesanteurs se traduisent souvent, pour les cyclistes, par des situations de terrain kafkaïennes, comme ces pistes cyclables impeccables (oui, il en existe !) qui se terminent brutalement en culs de sac, non renseignés sur les cartes, ou qui, faute d’entretien à la » frontière » entre deux districts administratifs, se transforment soudain en pièges à cyclistes. Autre incongruité, bien connue des Liégeois : pour rejoindre les itinéraires communaux à partir des voies RAVeL (régionales), il faut rouler sur les trottoirs ou emprunter des sens interdits. Bonjour la sécurité…
Mais l’inertie et le manque de volontarisme ne sont pas le seul fait de l’administration. Lors de sa formation, l’actuel gouvernement wallon disposait d’un » plan vélo « , riche de 150 propositions concrètes, mis au point par l’ancienne majorité et concerté jusqu’au sein de l’Union wallonne des entre-prises et de la Ligue des familles. Mais les excellences de l' » Elysette « , à Namur, ont préféré attendre près de trois ans pour présenter, en avril dernier, leur propre opus sur l’avenir des deux-roues : le » schéma directeur cyclable « . Ce n’est qu’à la fin 2008, si tout va bien, qu’on connaîtra la véritable teneur de celui-ci. On saura, alors, comment les différentes autorités (trois ministres, une méga-administration, 262 communes !) comptent s’y prendre pour connecter les itinéraires cyclistes communaux au RAVeL (l’armature centrale du futur réseau), pour aménager les chaînons manquants, pour harmoniser la signalisation, etc. Vaste tâche !
Ce schéma semble prometteur. Mais sera-t-il crédible ? Créer et inaugurer des pistes cyclables en grande pompe, c’est bien. Les entretenir, c’est encore mieux. » Il manque, en Wallonie, un véritable » Monsieur Vélo « , glisse un habitué des cabinets et cycliste invétéré. Sa tâche consisterait à glisser une goutte d’huile dans les innombrables points de blocage potentiels. Il suffit, par exemple, de la traversée d’un zoning ou d’une zone classée Natura 2000 pour que l’ensemble d’un tracé cycliste soit bloqué pendant de longs mois. » Décision politique significative, pourtant : 40 millions d’euros seront dépensés par le gouvernement wallon, d’ici à la fin 2009, pour terminer le RAVeL. Il s’étendra, alors, sur 1 535 kilomètres. Les associations cyclistes ont accueilli à bras ouverts l’annonce de cette manne céleste, épargnée sur le salage des routes de l’hiver dernier. Il est vrai qu’elles avaient longtemps entretenu une sorte de relation amour/haine avec le RAVeL ; n’était-il pas considéré comme l’alibi tout trouvé par les autorités pour rester bras croisés à l’égard du vélo ailleurs, c’est-à-dire sur les voiries habituelles ? Depuis deux ou trois ans, la Wallonie encourage également les ramassages scolaires à vélo et la formation des enfants à la circulation sur la route. L’année prochaine, 200 classes de cinquième primaire bénéficieront à nouveau de cette formation.
Alors ? La petite reine enfin prête à décoller ? » Multiplier les nouvelles infrastructures, c’est un pas réellement positif, reconnaît un représentant du Groupe de recherche et d’action des cyclistes quotidiens (www.gracq.be). Encore faut-il encourager, chez chacun, le déclic décisif : (ré)enfourcher son vélo. Or nos décideurs politiques sont à 95 % des automobilistes. Dès lors, leurs arbitrages entre la voiture et le vélo se font toujours en faveur de l’automobile. » Et de citer, a contrario, l’anecdote de ce maïeur de la province de Liège qui, persuadé que le premier ramassage des écoliers de sa commune à vélo allait être un fiasco, avait discrètement suivi le groupe en voiture, rongé par l’angoisse. Avant de se transformer, une fois le succès avéré, en ardent défenseur de la petite reine dans son entité. Pédalé ? C’est gagné !
Philippe Lamotte
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici