Astérix et Michel Vaillant hier, Bob et Bobette ou Chlorophylle aujourd’hui, Ric Hochet, Corentin et Bob Morane demain… Les héros canoniques de la BD franco-belge s’offrent tous un nouveau départ. Une tendance aussi lourde et logique, que révolutionnaire et parfois schizophrénique.
Les stars de la bande dessinée franco-belge d’aujourd’hui sont d’abord celles d’hier. Astérix, Spirou, Thorgal,Blake et Mortimer… Les hit-parades des ventes des années 2010 ressemblent en effet furieusement, et un peu plus chaque jour, à ceux des années 60 ou 70 du siècle dernier. Preuve par l’exemple en deux sorties, récentes, de cette tendance lourde mais large : un nouveau Chlorophylle, créé par les auteurs de L’élève Ducobu, devrait enfin ravir les nostalgiques de Macherot, alors que le nouveau Bob et Bobette a pris, lui, le pli de volontairement les faire s’étrangler de rage, en conservant la marque, mais en changeant tout le reste (lire l’encadré en page 64).
Pendant longtemps, la BD dite franco-belge a monopolisé le marché francophone, de manière très standardisée : un auteur-un héros-une série, aussi longtemps que possible. Une manière de faire qui atteint aujourd’hui ses limites, avec le vieillissement et le décès des auteurs, conjuguée à un besoin vital pour les maisons d’édition de faire vivre leur catalogue. Et ce, dans un contexte de visibilité de plus en plus restreinte, entre surabondance de l’offre et fermeture des librairies. D’où ce recours à la » marque » qu’est le héros populaire, gérée cette fois directement par les maisons d’édition ou des gestionnaires de droit, et telle qu’elle se pratique depuis toujours dans les pays anglo-saxons, où les héros populaires ont pour nom Donald, Mickey, Superman ou Batman, tous nés il y a plus d’un demi-siècle, et dont le grand public ne connaît que ou prou les auteurs, tous employés et sous licences.
» Il n’y a, en réalité, pas de logique globale : chaque manière de faire est propre à chacune des reprises, explique Gauthier Van Meerbeek, le directeur éditorial des éditions Le Lombard qui, à l’aube de leurs 70 ans d’histoire, multiplient les projets du genre. D’une part, il y a la pure nostalgie, la madeleine de Proust, avec des séries disparues depuis longtemps, comme Blake et Mortimer, où il s’agit surtout de redonner aux lecteurs le goût de ce qu’ils ont aimé. A l’inverse, il y a des séries comme Ric Hochet ou Bob Morane qui n’ont jamais connu d’interruption, ou relativement récentes, et qui demandent, elles, une approche modernisée ou un peu décalée. » Et les enjeux ne sont pas que commerciaux : il est aussi question d’image. » Que Godi et Zidrou fassent des albums de Chlorophylle à la place d’un nouvel album de l’élève Ducobu, je peux vous assurer que l’enjeu est tout sauf commercial, confirme l’éditeur en chef du Lombard. La série de Macherot est mythique auprès des amateurs, mais n’a jamais connu un vrai succès. La démarche n’est pas commerciale, mais elle a du sens. »
Bernard Godi, dessinateur de Ducobu et désormais de ce nouveau Chlorophylle, confirme lui aussi que l’envie artistique a précédé, ici, et de loin, les chiffres de vente : » Je suis fan, hyper fan, de Macherot, depuis toujours. Et je voulais vraiment être le plus proche de sa technique, de ce que les lecteurs, comme moi, ont aimé ; j’ai pris les mêmes plumes, travaillé dans les mêmes formats… Mon intérêt n’est ici qu’artistique, ce sont des univers trop beaux à dessiner. »
Mais à qui s’adressent vraiment ces nouveautés qui rechignent à l’être vraiment ? Godi et Zidrou ont ainsi truffé, presque à chaque case, leur Chlorophylle de clins d’oeil et d’hommages, qui seront compris et appréciés des seuls (vieux) connaisseurs, tout en restant fidèle à une série tout public, orientée (très) jeunes lecteurs. Les BD de papa des enfants visent-elles les petits lecteurs d’aujourd’hui, ou les vieux lecteurs d’hier ? » Les deux, mon capitaine « , s’amuse le dessinateur. L’éditeur, lui, précise : » On n’en sait trop rien, le curseur varie en fonction des héros, des séries et de leur histoire. Avec Chlorophylle, on espère évidemment recruter un nouveau public, mais je suis à peu près certain de m’adresser principalement aux nostalgiques… Pour d’autres projets comme Bob Morane ou Ric Hochet, on espère évidemment un impact sur le fond, les intégrales, et installer des dynamiques. Il faut aussi se prémunir de la surexploitation qui peut être contre-productive ; on l’a frisée avec Thorgal. » Le viking-vedette de la maison, né en 1977, compte aujourd’hui une série principale toujours en cours, mais aussi trois séries dérivées.
Par Olivier Van Vaerenbergh