LES ALLOCATIONS DE CHÔMAGE en ballottage

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Un gouffre à milliards, les allocations de chômage ? Oui. Est-ce à fonds perdus pour autant ? Les négociateurs politiques se déchirent sur le sujet : les uns demandent plus de sévérité pour les chômeurs, d’autres, plus de mesures pour relancer le marché de l’emploi. Et si on remettait tout à plat ? Analyse.

Le bon, la brute et le truand. Dans le film que les négociateurs politiques tournent actuellement sur la réforme de l’assurance chômage, il semble n’y avoir que ces trois rôles. Joués, alternativement et selon les points de vue, par les uns, un peu plus à gauche, les autres, un peu plus à droite, et les demandeurs d’emploi. Voilà pour le cliché de plateau, sans les nuances. Les positions de chacun s’étalent dans les médias depuis des semaines (lire interviews page 26). Au centre, la proposition du formateur Elio Di Rupo, qui suggère d’augmenter les allocations de 16,4 %, durant les 4 premiers mois de chômage, puis de les réduire fortement jusqu’à un seuil d’allocation minimale et forfaitaire.

Face à lui, certains, dont le l’Open VLD en pointe, réclament une solide réforme de l’assurance chômage, à la fois pour réaliser des économies – les allocations de chômage, y compris pour les chômeurs âgés et les prépensionnés, ont coûté 6,9 milliards d’euros en 2010 – et pour inciter les demandeurs d’emploi à chercher plus et plus vite du travail. Cette politique du bâton reposerait sur une diminution progressive des allocations de chômage, voire une limitation de leur octroi dans le temps.  » Nous voulons un système plus actif, avec un vrai suivi et un réel accompagnement. Le cas le plus extrême, ce serait de limiter dans le temps les allocations de chômage. Mais il y a beaucoup de variables sur lesquelles on peut jouer « , indique la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) .

Selon un récent sondage, 78 % des Belges seraient favorables à une telle limitation de durée. Dans le même ordre d’idée, les allocations d’attente, dont bénéficient les jeunes avant de décrocher leur premier poste de travail, pourraient également être supprimées. En Belgique, au départ d’un revenu de remplacement (par rapport au dernier salaire) de quelque 60 % en moyenne, les allocations se réduisent déjà au fil des mois, avec des variantes en fonction de la situation de chaque demandeur d’emploi. Réputées plutôt faibles (voir infographie en page 24), elles sont, en revanche, attribuées sans limite dans le temps. Au sein de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques), la Belgique est le seul pays à pratiquer de la sorte.

Dans le camp d’en face, qui intègre entre autres les organisations syndicales, on refuse catégoriquement de toucher au système d’assurance chômage, craignant que nombre de demandeurs d’emploi ne glissent dans une précarité plus grande encore. Privés d’allocations, une partie d’entre eux n’auraient d’autre choix, à moins de retrouver un emploi, que de se tourner vers l’assistance que fournissent les CPAS. Mais les allocations qui leur seraient versées y sont plus faibles.  » Il n’y a pas d’emplois pour tout le monde dans ce pays, accusent les syndicats. Il serait injuste et socialement inacceptable que l’on fasse la chasse à des chômeurs qui ne choisissent pas de l’être. « 

Les deux camps s’accordent toutefois à reconnaître que certains, parmi les demandeurs d’emploi, abusent du système. Combien ? Impossible à déterminer. Mais les sanctions infligées par l’Onem – suspension temporaire ou définitive des allocations -, se multiplient au fil des ans. Alors qu’on en comptait 34 000 en 2000, on en recensait 108 000 l’an dernier. Notamment parce que les informations concernant les démarches de recherche active d’emploi, récoltées par les organismes régionaux que sont le VDAB en Flandre, Actiris à Bruxelles et le Forem en Wallonie, remontent plus aisément à l’Onem.

Selon une étude de l’Onem, 20 % des personnes sanctionnées retrouvent de l’emploi dans l’année qui suit.  » La réduction des allocations est la mesure qui amène le plus souvent les demandeurs d’emploi à retrouver du travail « , détaillait la ministre de tutelle, Joëlle Milquet, en commission de la Chambre, au début de cette année.

Dommage…

Idéalement, la réforme de l’assurance chômage n’aurait pas dû s’envisager dans le contexte que l’on connaît aujourd’hui. Il aurait fallu du temps et, surtout, la participation active des interlocuteurs sociaux, patronat et syndicats, concernés au premier chef.  » On devrait résoudre ce genre de problème en dehors des périodes de crise « , résume Sergio Perelman, professeur d’économie du travail à l’ULg. Raté. Les négociateurs donnent aujourd’hui l’impression de ne se pencher sur le sujet que pour des raisons budgétaires.

C’est qu’il s’agit d’une réforme majeure, qui ne concernera pas que le bataillon des 660 000 chômeurs indemnisés recensés en août dernier. Il touchera aussi les membres de leur famille, bénéficiaires indirects de ce revenu de remplacement. Et, plus globalement encore, le niveau de bien-être des habitants de ce pays, y compris en termes d’intégration sociale et d’insertion socio-économique.

Bref, les enjeux sont cruciaux. Raison pour laquelle il faudrait à tous crins éviter une solution tiédasse, qui tente de concilier l’inconciliable en saupoudrant, de-ci de-là, des demi-mesures censées contenter tous les partis à la table des négociations. Une réforme qui ne tiendrait pas compte non plus de la situation de l’ensemble du marché du travail se révélerait vite imparfaite à l’usage.

Peut-être faudrait-il, du coup, se repencher sur la définition même de l’assurance chômage, censée protéger chacun contre le risque de la perte d’emploi.  » Lier le montant de l’allocation à la situation de famille du chômeur revient à perdre cette notion d’assurance « , souligne l’économiste Philippe Defeyt. Une assurance est censée être inconditionnelle. Si votre maison est détruite par un incendie, votre assureur n’a pas le droit de ne pas vous dédommager sous prétexte que vous avez entre-temps gagné au Lotto.  » Du strict point de vue de l’assurance, la dégressivité des allocations ne se justifie pas, si le chômage est involontaire « , confirme Olivier Vanderborght, professeur en sciences politiques aux FUSL.

A contrario, accorder une assurance à des demandeurs d’emploi qui n’ont jamais contribué au financement du système – les jeunes en stage d’attente, en l’occurrence -, poserait aussi question. L’octroi d’allocations à ce public-là tend à prouver que l’assurance chômage fonctionne non plus comme une assurance mais comme un filet d’assistance sociale. Or l’assurance chômage, qui relève de la sécurité sociale, est financée pour l’essentiel par les cotisations prélevées sur le travail, tandis que l’assistance, l’est, elle, par l’impôt.  » Il faudrait réfléchir à un élargissement de l’assiette de prélèvement, par exemple via une cotisation sociale généralisée, si l’on veut assurer à long terme le financement de la sécurité sociale, avance Olivier Vanderborght. Sans cela, le système d’allocations de chômage n’est pas tenable pour le budget de la sécu. « 

Le dernier filet de secours

Dans les communes, qui financent leur CPAS, on craint le pire en cas de réduction des allocations de chômage et, plus encore, en cas de limitation dans le temps. En moyenne, après avoir été sanctionnés, quelque 10 % des demandeurs d’emploi concernés se tournent vers les CPAS pour avoir de l’aide. Ce surcroît de demandes risque fort d’étrangler financièrement les communes. A Saint-Josse-ten-Noode, commune bruxelloise peu favorisée, le budget du CPAS est alimenté à hauteur de 65 % par le pouvoir fédéral, le solde revenant à la commune, pauvre. En transférant vers les communes les chômeurs dont il ne s’occupe plus, le pouvoir fédéral entame largement la solidarité fédérale, fondée sur la mise en commun de recettes provenant de communes riches et de communes pauvres.  » Le fédéral pourrait financer les CPAS à hauteur de 95 %, suggère Etienne de Callataÿ, économiste en chef à la banque Degroof. Car il faut examiner cette question dans l’intérêt global et non pas en tirant, chacun, la couverture à soi.  » En tout cas, les négociateurs ne pourront faire l’économie d’une réflexion sur le financement des CPAS.

Ils ne pourront non plus passer sous silence la lourde question sociale : que fait-on avec les citoyens largués, dont ceux auxquels le marché du travail n’est structurellement plus accessible ? Après avoir été sanctionnés, si 10 % d’entre eux se tournent vers les CPAS, 25 % se retirent du marché de l’emploi et 20 % retrouvent un travail. Où sont, où vont les autres ? On ne les retrouve nulle part dans les statistiques et ils ne répondent à aucun statut connu dans les banques de données de la sécurité sociale. Se sont-ils rabattus sur leur famille ? Sont-ils actifs dans l’économie souterraine ? Nul ne le sait. Le même risque de  » sortie de radar  » pèse sur les jeunes demandeurs d’emploi, si l’on supprimait leurs allocations d’attente.

Au menu des négociateurs encore, des solutions à proposer pour combattre le racisme à l’embauche, la question de la formation initiale (faut-il imposer aux jeunes des filières d’études dont les débouchés sont certains ?) et en entreprise, défaillante, ainsi que d’éventuelles réductions de cotisations sociales pour les salaires les plus bas…  » Il faut faire mille choses pour augmenter l’envie des employeurs d’engager et l’envie du demandeur d’emploi de travailler, résume Etienne de Callataÿ. Il n’y a pas assez d’emplois pour les 600 000 qui en manquent. Il faut néanmoins changer l’assurance chômage, tout en sachant que certains y perdront, injustement. « 

Dans tous les cas, la réflexion des négociateurs ne devrait pas viser d’abord à faire des économies mais plutôt à mieux affecter les moyens disponibles. Une piste pourrait être de consacrer moins d’argent à l’indemnisation pure des demandeurs d’emploi, au profit d’un meilleur encadrement et d’efforts de formation accrus, notamment de la part des employeurs.

Au Danemark, les personnes qui perdent leur travail bénéficient d’allocations de chômage qui équivalent à 90 % de leur dernier salaire, pendant deux ans. On pourrait aussi imaginer que les indemnités de licenciement effectivement versées au salarié soient revues à la baisse, le solde payé par l’employeur permettant de verser ensuite des allocations de chômage plus élevées. Créer ici un système à la scandinave prendrait du temps, alors qu’il y a urgence. Mais la petite sirène de Copenhague pourrait utilement inspirer la négociation en cours…

LAURENCE VAN RUYMBEKE

Peut-être faudrait-il se pencher sur la définition de l’assurance chômage

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