La princesse Astrid a-t-elle » les moyens » de se passer d’une dotation ? Les revenus de son mari semblent indiquer que oui. Reste à savoir si ce serait une bonne idée de l’en priver.
Fabiola, ou la moderne Pandore. En créant une fondation privée pour soutenir ses neveux dans le besoin, avant de faire marche arrière, la veuve du roi Baudouin a relancé le sempiternel débat sur les dotations royales. A commencer par la sienne, mais aussi, peut-être, celles de Laurent et Astrid (lire en page 26). Au point que cette dernière a éprouvé le besoin d’en parler à un journaliste flamand. Si le gouvernement ou le Parlement veut changer les règles du jeu, elle s’y pliera, aurait dit la princesse en substance.
Le propos se voulait-il confidentiel ? Reste qu’une fois étalé dans la presse, il a piqué au vif le prince Laurent. » Si ma soeur peut se le permettre, je suis ravi pour elle, a répliqué le cadet d’Astrid à une journaliste de Sud Presse. Vous savez, moi, je ne suis pas de ces personnes qui jalousent ceux qui ont les moyens. » Et tous les regards de se tourner vers le mari d’Astrid, supposé fort riche. Mais le discret Lorenz est-il vraiment le prince » le mieux payé de Belgique « , comme l’affirme Frédéric Deborsu dans son livre Question(s) royale(s) ? Nos informations nuancent celles de notre confrère. Mais avant toute chose, plantons le décor.
Le Parlement chamboule la donne
Le 22 septembre 1984. Devant la fine fleur du gotha européen, la princesse Astrid de Belgique, fille du prince de Liège Albert et nièce du roi Baudouin, épouse à Bruxelles l’archiduc Lorenz de Habsbourg-Lothringen, petit-fils du dernier empereur d’Autriche-Hongrie. La jeune femme a 22 ans, le jeune marié 28. Les tourtereaux s’étaient rencontrés quelques années plus tôt lors d’un bal. A l’époque, Albert n’avait guère d’espoir d’accéder un jour au trône, tandis que la loi salique interdisait aux femmes d’y prétendre. Aussi, après la noce, Astrid et son mari purent-ils s’envoler librement vers Bâle, en Suisse, où Lorenz travaillait depuis un an dans la banque de son père. Un an et demi plus tard, le 21 février 1986, le couple donnait naissance à un garçon, Amedeo, l’ainé d’une future fratrie de cinq.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, ou du moins se cantonner aux seuls magazines spécialisés en têtes couronnées. Mais le 21 juin 1991, le Parlement chamboule la donne. Avec l’abrogation de la loi salique, Astrid prend place tout à coup dans l’ordre de succession au trône, juste derrière son frère aîné Philippe. Conséquence – ou objectif, disent les mauvaises langues – son cadet Laurent perd du coup tout espoir de ceindre un jour la couronne.
A la demande du roi Baudouin, qui souhaitait voir sa nièce participer aux activités de la famille royale, Astrid, Lorenz et leurs trois enfants d’alors quittent la Suisse pour s’installer à Bruxelles. La Donation royale met à leur disposition une maison à l’arrière du palais, rue Bréderode. C’était en juin 1993. Un mois plus tard, le 31 juillet, Baudouin décède inopinément en Espagne. Albert lui succède début août.
A l’époque, Astrid ne bénéficiait pas encore de sa dotation, qui ne lui sera octroyée qu’en 2000. La famille princière vivait donc des ressources de Lorenz. Qui n’étaient sans doute pas maigres. L’archiduc, devenu prince de Belgique en 1995, avait pris du galon depuis son mariage. En 1990, il avait racheté les parts que son père, Robert d’Autriche-Este, détenait dans la banque privée suisse E. Gutzwiller & Cie. C’est là que le jeune diplômé en sciences économiques et sociales avait fait ses armes, d’abord comme fondé de pouvoir, puis directeur. Avec deux descendants du fondateur, il était ainsi devenu associé-gérant d’une petite institution centenaire, spécialisée dans la gestion des fortunes privées.
Pourtant, les revenus de cette activité ne semblaient guère lui suffire. L’année même de son installation en Belgique, Lorenz éprouve le besoin d’un complément. Grâce à l’appui de Bessel Kok (1), alors administrateur délégué de Belgacom, il décroche un job de conseiller à mi-temps au sein de Swift, une société de La Hulpe active dans les messageries financières. Il n’y restera qu’un an. Selon le journaliste et écrivain flamand Thierry Debels, auteur de plusieurs livres sur les dessous de la famille royale, les compétences de Lorenz auraient laissé un souvenir mitigé aux employés de la firme.
On sait peu de choses de ses activités en Belgique entre 1994 et 1999, si ce n’est qu’il a sans doute travaillé pour le holding Cobepa (Compagnie Luxembourg Participations), alors filiale belge de BNP Paribas. En 1999, Lorenz devient d’ailleurs conseiller de la direction générale de la banque française. Deux ans plus tard, il entre au conseil d’administration du géant pharmaceutique belge UCB, mandat auquel il renonce en avril 2010. Il obtient à la même époque un autre siège d’administrateur au sein de la société de traitement de déchets Sita, filiale de Suez Lyonnaise des eaux, laquelle deviendra en 2008 Suez Environnement. Lorenz récupère dans la foulée un mandat d’administrateur et de président du comité des nominations et rémunérations.
Au moins 6 700 euros bruts par mois d’ » extras »
A l’heure actuelle, l’époux de la princesse Astrid exerce donc au moins trois activités rémunérées. Les revenus de l’une d’entre elles sont parfaitement transparents. Chez Suez Environnement, société cotée en Bourse, les publications officielles 2011 indiquent que Lorenz a touché cette année-là 50 750 euros bruts en jetons de présence. En comptant 25 % de retenue à la source, comme c’est le cas en France, cela lui laisse environ 38 000 euros nets par an.
De même, les rapports financiers d’UCB mentionnaient noir sur blanc ses dernières rémunérations : 74 500 euros en 2009, année au cours de laquelle il a assisté à sept conseils d’administration sur huit, puis 35 750 euros du 1er janvier au 29 avril 2010, date de la fin de son troisième et dernier mandat. Une sinécure ? » Cela ne se résume pas à s’asseoir sept fois par an, insiste le bourgmestre d’Uccle Armand De Decker, lui-même ancien administrateur d’UCB. Les dossiers avant chaque conseil sont très complexes et très lourds, ce qui implique de continuer à s’informer sur ce qui se passe dans les autres sociétés pharmaceutiques mondiales. » Est-ce la raison pour laquelle Lorenz n’a pas souhaité rempiler ? Armand De Decker ne saurait le dire.
Les fonctions de Lorenz au sein de BNP Paribas, en revanche, sont beaucoup moins limpides. Nous avons sollicité à ce propos le service communication de la banque française, en vain. Selon un spécialiste belge du monde financier, qui souhaite s’exprimer en » off « , il semble toutefois peu probable que ses revenus excèdent 30 000 ou 40 000 euros par an. » C’est ce que gagne un bon apporteur d’affaires mais à condition d’amener effectivement des affaires. Dans tous les cas, je doute que sa rémunération dépasse celle d’un administrateur. » Or ce dernier montant est connu : au minimum 29 750 euros en 2011.
A peu près 30 000 euros ? Tiens, c’est justement le bénéfice de la SPRL Société d’études économiques, que le prince gère depuis le 30 novembre 2006. Très précisément : 37 496 euros de bénéfice avant impôt en 2011 et 26 292 euros après impôts, selon ses comptes publiés à la Banque nationale. L’adresse de la société correspond à celle d’un bureau d’experts-comptables à Ixelles. BNP Paribas verse-t-elle le salaire du prince à cette SPRL, ce qui permet d’éviter l’IPP au profit de l’impôt des sociétés, plus avantageux ? Thierry Debels le soupçonne, sans pouvoir en apporter la preuve. Un autre indice plaide en tout cas en ce sens. La Société d’Etudes économiques indique qu’elle emploie un cinquième temps féminin. Or le prince dispose justement, comme nous avons pu le vérifier, d’une » assistante administrative de second niveau » au sein de la Cobepa, dont BNP Paribas détient toujours un quart des actions. Au sein du holding, on répond que le prince n’a aucune relation avec la société, ni contractuelle ni comme indépendant, et qu’il disposerait de cette assistante pour » des raisons historiques « .
Résumons : en comptant quelque 30 000 euros chez BNP Paribas et 50 750 euros chez Suez Environnement, les rémunérations annexes du prince pourraient donc avoisiner les 6 700 euros bruts par mois. Et près de 13 000 euros entre 2001 et 2009, à l’époque d’UCB. Tout cela sans même compter sans son activité principale en Suisse.
Combien peut gagner l’associé-gérant d’une banque privée helvétique ? Mystère. Ces sociétés de personnes n’ont pas d’actionnaires et ne sont tenues de publier leurs comptes que si elles font appel à l’épargne publique. Ce qui n’est pas le genre de la discrète maison E. Gutzwiller & Cie : pour faire partie de ses clients, le ticket d’entrée s’élève à 250 000 francs suisses (environ 203 000 euros).
Depuis 1994, la banque compte quatre associés. Dans Question(s) royale(s), Frédéric Deborsu se hasarde à évaluer leurs revenus : au moins 2,5 millions d’euros, voire 4 millions » les bonnes années » ! Pour aboutir à ces montants faramineux, il se fie aux estimations d’un expert suisse resté anonyme. Notre spécialiste belge déjà cité, lui, est pour le moins sceptique : » 2,5 millions, c’est énorme en Europe, surtout pour une petite banque de rien du tout (NDLR : une soixantaine de salariés). Cela voudrait dire que les quatre associés se partagent au minimum 10 millions d’euros par an ! Un patron du Bel 20 en gagne de 500 000 à 600 000, malgré toutes les responsabilités qui sont les siennes. »
Dans ce genre de société de personnes, les associés rémunèrent non seulement leur travail, mais aussi le capital investi. Une bonne part des revenus que s’accorde le prince Lorenz devrait donc être liée aux bénéfices engrangés. Or ceux de plusieurs banques privées helvétiques ont fondu depuis la crise de 2008. » En ce moment, même des petites banques perdent de l’argent, affirme Michel Dérobert, secrétaire général de l’association qui regroupe les douze banquiers privés suisses. Les marges sont moins importantes, les gens sont plus prudents dans la manière dont ils investissent, les coûts de mise en conformité par rapport à toutes les règles ont augmenté… Cela dit, je serais très surpris que des banques aussi anciennes et aussi bien capitalisées que celle dont vous parlez perdent de l’argent. »
Précision importante : même si bénéfice il y a, les associés-gérants ne peuvent s’en partager la totalité. » Une partie de la rémunération du capital doit retourner dans l’entreprise pour respecter les exigences en matière de liquidités, de fonds propres et autres « , précise Michel Dérobert.
Impossible donc d’estimer la rémunération que s’accorde le prince Lorenz. En tout cas, rien ne permet d’affirmer que l’ensemble de ses revenus dépasse forcément ceux de sa femme : 320 000 euros de dotation annuelle, cela représente tout de même 26 666 euros nets par mois. Ce n’est sans doute pas pour rien que, malgré ses occupations professionnelles, Lorenz participe activement aux activités de la famille royale. On en comptait 28 en 2012 et 30 en 2011. C’est moitié moins qu’Astrid (63), mais presque autant que le prince Laurent (35) ou la princesse Claire (30).
Astrid pourrait-elle vivre sans sa dotation ? Sans doute. On l’a vu, les revenus de son mari semblent à tout le moins confortables. Le couple et sa dernière fille à domicile, la princesse Laetitia Maria, bénéficient d’un logement au domaine du Stuyvenberg, à proximité du château où vit la reine Fabiola. Une superbe » gentilhommière » baptisée » villa Schöneberg « , que la Donation royale a construite pour eux et mise à leur disposition gracieusement en 2002. Leur patrimoine immobilier connu semble se limiter à un terrain en Italie et à un chalet suisse à Bluche – qui pourrait valoir au moins deux ou trois millions d’euros, selon un promoteur du Valais que nous avons interrogé. Quant à leur train de vie, il n’a jamais défrayé la chronique. » Ce n’est pas une bonne cliente pour les gazettes à scandales ni pour les magazines people, simplement parce qu’elle ne l’est pas du tout « , commente le chroniqueur royal Patrick Weber.
Astrid devrait-elle en faire plus pour sauver sa dotation ? La princesse estime qu’elle se dévoue pour le pays depuis vingt ans. Ce qui pourrait expliquer les larmes qu’elle a versées lors du discours de Nouvel An de son père : » Après l’arrivée de Mathilde, le Palais lui a fait comprendre que cette dernière serait LA vitrine de la monarchie belge, raconte Kristine De Vriese, rédactrice en chef du magazine Royals. Conséquence de ce manque de visibilité médiatique : elle craint qu’on s’imagine qu’elle ne fait pas assez pour mériter sa dotation. C’est cela qui la heurte. » Aux yeux de Kristine De Vriese, l’Etat n’économiserait sans doute rien en payant Astrid à la prestation. Pour Laurent, cela paraît moins sûr…
(1) Voir La Belgacomedie de Philippe Berkenbaum, éditions Luc Pire, 1995.
ETTORE RIZZA ET OLIVIER ROGEAU
Lorenz a mené 28 activités princières en 2012. Laurent, 35