Après les déboires du surpuissant EPR, le nucléaire est appelé à évoluer vers des formes plus simples, plus compactes et surtout moins chères. Une opportunité pour les SMR (small modular reactors) sur un marché dont l’Europe est absente.
On croyait le secteur électronucléaire orienté définitivement vers le » toujours plus gros « . Mais les mésaventures de l’EPR (european pressurized reactor) du français Areva ont visiblement modifié cette évolution. Les petits réacteurs nucléaires ont donc à nouveau la cote. Développés à l’origine pour la recherche scientifique, la production de radioéléments à usage médical ou la propulsion de sous- marins, de porte-avions ou de brise-glaces, ils commencent à être conçus désormais pour produire de l’électricité à destination du réseau.
Les deux premiers EPR (réacteur le plus puissant du monde avec une capacité de 1 650 mégawatts électriques, MWe) mis en chantier en 2005 à Okiluoto, en Finlande, et en 2007 sur le site normand de Flamanville, ont accumulé retards et contretemps. Ils ne pourront être terminés au mieux qu’en 2018. Les deux autres EPR, en cours de construction à Taishan, en Chine, depuis 2008, seront donc, selon toute vraisemblance, les premiers à être opérationnels. Or, le prix de ces réacteurs sophistiqués de 3e génération, a pratiquement triplé en 10 ans. Si le retour sur investissement paraît garanti, tout le monde ne peut pas s’offrir un bijou de technologie à 10 milliards d’euros. Les solutions plus modestes proposées par les petits et moyens réacteurs ont donc de quoi séduire de nombreuses compagnies électriques, notamment dans les économies émergentes. Ce n’est pas un hasard si les pays les plus avancés en la matière sont la Russie, la Chine, l’Inde et l’Argentine.
D’autres applications
De quoi parle-t-on exactement ? Les petits et moyens réacteurs, désignés en anglais sous le sigle SMR, affichent une puissance électrique située entre 10 et 350 MWe. Une machine de 10 MWe peut alimenter en électricité quelque 7 000 habitations. Une grosse unité conventionnelle comme celle de Chooz B1 ou 2 (1 450 MWe chacune), peut couvrir les besoins d’un million de maisons. Les petits et moyens réacteurs devraient permettre de réduire le temps de construction des centrales. Le coeur et les accessoires essentiels du réacteur seront fabriqués, construits et assemblés en usine et transportés sur site par camion ou chemin de fer avant d’être mis en opération dans un délai parfois réduit à quelques mois, voire à quelques semaines. Leur puissance devrait les rendre propres à remplacer des centrales à combustibles fossiles à un coût acceptable et en prime, dans certains cas, avec le bénéfice d’une sûreté nucléaire intrinsèque (voir encadré).
Les SMR pourront aussi se prêter à la cogénération d’électricité et de chaleur ou être intégrés dans des systèmes hybrides combinant le nucléaire et des sources alternatives, notamment renouvelables, souligne l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui contribue à la promotion de cette gamme de réacteurs très flexibles. Une autre application possible, à côté de la production d’électricité est le dessalement de l’eau de mer. Ainsi, le premier exemplaire du réacteur sud-coréen Smart, commandé cette année par l’Arabie saoudite pour un milliard de dollars, pourra simultanément produire 90 MW d’électricité et 40 000 m3 d’eau potable par jour.
Pays émergents en pointe
L’AIEA observe que le concept SMR améliore considérablement le rapport qualité-prix de la production électrique et que les technologies nucléaires impliquées sont variées : réacteurs à eau bouillante ou pressurisée, réacteurs haute température ou à neutrons rapides refroidis au gaz, au sodium ou au métal liquide. Le concept dominant est la modularité : on peut ainsi construire des centrales évolutives, dont la puissance est augmentée au fur et à mesure des besoins, en ajoutant des modules supplémentaires.
De très nombreux réacteurs sont en projet dans cette gamme SMR. On en compte une grosse quarantaine. Les plus nombreux, une quinzaine, sont russes pour une dizaine d’américains. Mais des machines de faible et moyenne puissances sont aussi développées en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Inde, en Afrique du Sud, en Argentine, au Canada et en France. Le projet le plus avancé est chinois ; c’est le réacteur CEFR de 20 MWe à neutrons rapides refroidi au sodium, qui fonctionne depuis 2010. Une autre machine chinoise, dix fois plus puissante, est en construction. Deux SMR sont en construction en Russie, un en Argentine et un en Afrique du Sud.
L’Europe peu inspirée
L’Europe est quasi absente de ce paysage. Le seul projet qui semble porter quelque espoir de réalisation s’appelle Flexblue. De conceptionfrançaise, ce réacteur est destiné à être déposé sur le fond marin entre 60 et 100 m de profondeur, à plusieurs km des côtes et serait capable d’alimenter en électricité une région comptant jusqu’à 1 million d’habitants. Conçu par le groupe DCNS, spécialisé à la fois dans les navires de guerre et dans les énergies marines renouvelables, Flexblue afficherait une puissance variable de 50 à 250 MWe. La construction d’un prototype est envisagée à Cherbourg.
A coup sûr, les premières mini- centrales nucléaires couplées au réseau électrique ne le seront pas dans l’UE.
Par Jean-Luc Léonard