L’enjeu Bayrou

Alain Juppé a noué une alliance avec le leader centriste français. Jusqu’où ? Nicolas Sarkozy, tout à son grand rassemblement, n’a pas dit son dernier mot… et le maire de Pau ne lui ferme plus complètement les bras.

Ce n’est un secret pour personne : Alain Juppé est peu partageur de son intimité. C’est donc une attention toute particulière qu’il accorde à François Bayrou en le recevant, au début d’août, dans sa maison basque d’Hossegor. Ils n’en ont rien dit, mais ils se sont certainement tout dit de leur avenir qui prend forme commune. Après Bayrou le répudié, puis Bayrou le ressuscité, voici Bayrou le convoité. Par Alain Juppé, en premier lieu, qui a déjà inclus le président du Mouvement démocrate (MoDem) dans sa conquête élyséenne. Par Nicolas Sarkozy aussi, même s’il est encore trop tôt pour qu’il élargisse son appel au rassemblement à celui qui lui a toujours échappé.

A ce jour, le coeur du Béarnais ne balance pas :  » Je suis décidé à aider Juppé. Nous avons la même vision de l’avenir.  » Pour l’anecdote – or Bayrou n’aime rien moins que les signes du destin -, il souligne qu’il y a des  » Juppé  » dans son village natal de Bordères… L’élection présidentielle ne permet pas de ticket. Leur alliance en est cependant un équivalent empirique, car, pour la première fois, le centriste est prêt à s’effacer de l’affiche de 2017 si l’ex-Premier ministre est candidat. Ce n’est pas rien : le sacrifice d’un sacerdoce.

Des arguments en or massif pour attirer son voisin béarnais

Le maire de Bordeaux n’ignore pas ce qu’il lui en coûte… Moins de trois semaines après leur rencontre estivale, il annonce sa candidature à la primaire UMP. Parce qu’il partage le même péché d’orgueil, Bayrou se garde bien de le froisser en revendiquant une quelconque paternité dans ce calendrier. Mais quand lui, son ancien ministre de l’Education, voit ce sujet dans les priorités de son projet présidentiel, il ne peut réprimer un sourire immodeste et une remarque qui l’est tout autant :  » C’est le résultat de nos conversations.  »

Comme toutes les histoires politiques, la leur a connu des secousses, mais elle n’est jamais tombée dans un abîme définitif. Juppé a des arguments en or massif pour s’attirer les bonnes grâces de son voisin pyrénéen et, si tant est qu’il en ait besoin, il a l’embarras du choix. Tel ce dimanche de juin 1996 où un Chirac en maillot de rugby tonne, quelques heures seulement avant qu’elle ne soit présentée :  » Il n’y aura pas de réforme de l’université !  » Il sauve son ministre et sa loi.

Dans sa besace de souvenirs, il y a aussi le congrès de Toulouse du 17 novembre 2002. Le jour de la fondation de l’UMP, l’orphelin de l’UDF, le parti centriste, est à la tribune pour dire tout le mal qu’il en pense. De rares applaudissements, des tonnes de huées. Juppé brave l’auditoire, le rejoint, le salue ostensiblement et lui glisse :  » On se retrouvera.  »

Douze ans plus tard, la promesse s’accomplit et le Palois n’a rien oublié des coups de main de son aîné. Il lui rend aujourd’hui la pareille et joue même l’éclaireur :  » Le rêve, ce serait que Juppé et Fillon se parlent, qu’ils réfléchissent ensemble.  » François Fillon est, selon lui, hors jeu.  » C’est terminé, explique-t-il. Il y a eu des dérapages sur le Front national. Et puis, je l’ai connu séguiniste (NDLR : du nom de l’ancien ministre et président de l’Assemblée nationale Philippe Séguin), il s’est thatchérisé.  » La partie n’est cependant pas gagnée pour Juppé. Bayrou n’est pas aveuglé par l’amitié.  » Sa victoire n’est pas la plus probable « , confie-t-il. Trois tentatives vaines à la présidentielle l’ont convaincu que c’était  » une méchante élection « .  » C’est l’épreuve qui fait la preuve « , ajoute-t-il, jamais en rade d’une sentence. Le multicandidat applique sa théorie des partis se tenant  » par leur noyau dur « . Celui-là même qui devrait porter Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP et se retrouver en position de force pour 2017.  » Il est l’ADN de la droite comme je suis l’ADN du centre « , reconnaît l’héritier autodésigné de l’ancien président Valery Giscard d’Estaing.

Convaincu que son socle électoral n’a toujours pas digéré son vote François Hollande, Nicolas Sarkozy maudit toujours le choix de Bayrou en 2012. Dans sa tête en tout cas, moins dans les mots. A Lambersart, pour son meeting de retour, il accuse publiquement Marine Le Pen d’avoir permis l’élection du socialiste. Pas Bayrou. Devant son staff de campagne, il incite à  » aimer tout le monde « . Même pas une réserve pour le patron du MoDem.  » Il est capable de mettre son pouce dans sa main au nom d’un grand rassemblement pour la France « , estime le député sarkozyste du Nord, Sébastien Huyghe.  » S’il y a quelqu’un dont il peut se rapprocher, c’est bien lui « , abonde un proche collaborateur de l’ex-retraité de la politique, qui ponctue :  » Il l’a bien fait avec Villepin !  » La marge est, en effet, grande : le centriste n’a pas été promis à un croc de boucher.

Le bannissement pourrait donc avoir une fin. Et une main tendue rencontrer celle de Bayrou. Réticente aujourd’hui, rien ne dit qu’elle se dérobera demain. Car c’est aussi de sa postérité politique qu’il s’agit. L’ancien député des Pyrénées-Atlantiques rêve toujours de reconstruire un grand groupe parlementaire.

A la tête de l’UMP ou de ce qu’elle deviendra dans quelques mois, l’ex-président aura de quoi troquer des circonscriptions. Autre circonstance favorable aux retrouvailles : Bayrou a tourné la page Hollande. Il n’a plus de contacts depuis décembre dernier avec le chef de l’Etat.  » J’ai créé une situation inédite, tempête-t-il, sans précédent depuis soixante ans, et ils ont décidé qu’ils feraient de la politique à la papa. Business as usual. Tant pis pour eux. Au revoir.  » Autant de griefs qui pourraient arranger Sarkozy.  » Bayrou ne rêve plus de l’Elysée. Tout devient possible « , ajoute un authentique sarkozyste.

Pour rester libre, Bayrou refuse de participer à une primaire

Un rapprochement entre les deux hommes prendra du temps, car le Béarnais ne s’y résoudra que si Sarkozy remporte la primaire et le premier tour de la présidentielle. Faute de Juppé, Bayrou a, en effet, bien l’intention de concourir à nouveau. D’où son refus de participer à une primaire pour ne pas se lier les mains.

Ce n’est donc pas encore le temps des amabilités.  » Sarkozy, aller vers le centre ? Ça me fait bidonner, lâche Bayrou. Ce que vous êtes crie toujours plus fort que ce que vous dites. Par nature, je ne crois pas qu’il soit un homme du centre et lui ne le croit pas non plus.  » Les griffes sont cependant moins acérées. Il refuse dorénavant d’être dans  » les a priori personnels  » et de  » se spécialiser dans l’anti-sarkozysme « . Bayrou ne trouvera jamais à Sarkozy les mêmes qualités qu’à Juppé mais il n’en dénie pas – ou plus – quelques-unes à son rival. Par franchise, par vanité certainement parce qu’il s’en pare aussi. Et d’abord : la ténacité.  » C’est un métal « , juge-t-il, surtout quand il le compare aux quadragénaires ambitieux qui le mordent à la cheville.  » Sarkozy est plus dense que tout cela.  » S’il ouvre aujourd’hui bien grand les bras à Juppé, Bayrou ne les ferme pas à Sarkozy. Et réciproquement.

Par Benjamin Sportouch

 » Le rêve, ce serait que Juppé et Fillon se parlent, qu’ils réfléchissent ensemble  »

François Bayrou

 » Il ne veut pas laisser un centre indépendant mais sans élus, donc je pense qu’il est prêt à négocier avec Sarkozy  »

Un proche de Bayrou

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