Avec près de 1,4 milliard d’habitants, soit plus du cinquième de la population mondiale, le sort démographique de la Chine nous concerne tous. Or, en annonçant, le 29 octobre, la fin de la politique de l’enfant unique, les autorités de Pékin ont pris une décision qui fait craindre, a priori, un accroissement démographique susceptible d’affoler la planète entière. Si l’on en croit le régime, quarante années de politique de l’enfant unique, décrétée par Deng Xiaoping en 1979, ont empêché 400 millions de naissances.
A y regarder de plus près, pourtant, passer subitement à deux enfants constitue le type même de mesure politique inhérente à une économie administrée – qui redoute de s’essouffler. Grâce à cette décision, ce seraient 2,5 millions de naissances supplémentaires par an auxquelles nous assisterions. En réalité, Pékin réagit à la baisse inquiétante de la population en âge de travailler, au vieillissement accéléré et à un contexte social dantesque. En 2014, on a compté près de 4 millions de Chinois de moins en âge de travailler ; et 212 millions de retraités, ce qui conduit à une prévision de 350 millions en 2030. A ce rythme, en 2050, 30 % des Chinois auront plus de 60 ans, pour une moyenne mondiale estimée à 20 %.
C’est évidemment un défi d’une ampleur inédite dans toute l’histoire. Si la politique de l’enfant unique fut principalement liée à l’objectif obsessionnel de croissance économique, elle a en fait subi de nombreux aménagements, d’autant plus qu’elle avait été présentée d’emblée comme provisoire. Dès 1979, les couples composés de deux enfants uniques furent autorisés à avoir deux enfants. Depuis 2013, si un couple comporte seulement un conjoint enfant unique, il est légalement fondé à mettre au monde un deuxième enfant. Le fond du problème réside dans le pourcentage des actifs rapporté au reste de la population. Durant les années 1980 et 1990, la Chine a profité d’un facteur démographique extrêmement favorable : jusqu’à 70 % de ses habitants sont alors en âge de travailler, qui font ainsi de leur pays l’atelier du monde. A partir de la fin des années 2000, cette proportion ne cesse de diminuer, tandis que les retraités vivent de plus en plus vieux et que la natalité est insuffisante pour renouveler les générations actives. En un mot, la Chine manque de jeunes. Malgré sa surpopulation, eh oui, elle ne procrée pas assez pour perpétuer son modèle. La question est de savoir si cela se décrète.
Car la fin de l’enfant unique cache une autre réalité, dont la dimension sociale, humaine pour tout dire, est également gigantesque. La politique de l’enfant unique s’est accompagnée d’une grande cruauté ; dès le départ, on a dû l’assouplir dans les campagnes, car elle aboutissait à une préférence marquée pour les naissances mâles au détriment des filles. En l’absence d’assurances sociales et par conformité aux traditions, une fille mariée se doit avant tout à ses beaux-parents, ce qui l’oblige la plupart du temps à abandonner ses propres géniteurs. Pour ce qui est du système social, ce qui reste à accomplir relève des travaux d’Hercule : avec une retraite à 60 ans pour les hommes et à 55 ans pour les femmes, le pays n’offre aujourd’hui que 25 places en maisons de retraite pour 1 000 seniors. Quant aux usages traditionnels, un couple qui songe à ses vieux jours choisira en priorité de mettre au monde un garçon, plutôt que de donner naissance à une fille qui lui échappera une fois mariée. Résultat, les avortements sélectifs et les infanticides atteignent des niveaux record. On déplore plus de 10 millions d’avortements par an, d’autant plus qu’il est interdit de se marier avant l’âge légal (20 ans pour les femmes, 22 ans pour les hommes). Il naît aujourd’hui 116 garçons pour 100 filles au sein d’une population globale où l’on dénombre 105 hommes pour 100 femmes. 30 millions de Chinois ne trouvent pas d’épouse, source de nombreuses frustrations, dont les femmes sont, là encore, victimes. Autant de malaises très profonds, que l’avènement d’un deuxième enfant ne réglera pas.
par Christian Makarian