Avec son nouvel album, l’icône montre ce que signifie un come-back à l’ère d’Internet.
Maintenant que la musique n’est plus un business, sans être complètement redevenue un art désintéressé, les » grands maîtres » se font rares. Perdus dans un entre-deux. Certains acceptent la déchéance d’être moins connus que ceux-là mêmes qui les remixent, d’autres improvisent un mode de vie » riche retraité » version rockeur, d’autres tournent de salle en salle, grommelant dans leur barbe que leur moins bon disque vendait plus, » de leur temps « , que les meilleures ventes d’albums en 2012.
Tous ont pourtant une conscience commune : il y eut le rock, la disco, le hip-hop, la musique électronique et puis… plus rien. Ou plutôt si : Internet et la démonétisation de la musique. Une musique devenue vintage, rééditée, mâchonnée indéfiniment. Ils étaient dans l’Histoire telle qu’elle s’inventait, et non dans le revival, le » coup « , l’événement. Alors, d’où faire de la musique ? Et pourquoi ? Ils le savent, Mick Jagger, Paul McCartney, Eminem, Moby ou… David Bowie.
Car, à 66 ans pile, Bowie revient, après dix ans de silence, dans un champ de ruines musical. Sans prendre l’allure du vieux cheval tirant son passé comme une charrue, plutôt comme un artiste que rien ne forçait à réapparaître et qui n’aurait pas dit son dernier mot. C’est sans doute l’une des meilleures nouvelles musicales de ces dernières années : ce que nous avons entendu est bon, très bon. La réputation du Bowie des vingt-cinq dernières années est celle d’un génie inégal, sorte de machine à come-back, tous dans l’ombre de Ziggy Stardust et d’Aladdin Sane, ses sommets. » Inégal » : on dit cela de tous ceux dont la liberté embarrasse : Michel Houellebecq, Stanley Kubrick, Gérard Depardieu, Jean-Pierre Mocky et même Alfred Hitchcock. C’est ignorer que le génie est inégal et s’écoute pour ce qu’il est : du doute, de l’expérimentation, de la mise en danger.
Avec Where Are We Now ?, le seul morceau » fuité » de son prochain album, The Next Day (sortie en mars), David Bowie nous trouble : c’est bien lui, la voix volontairement empoussiérée, mais c’est surtout cet artiste complet, allergique à tout embourgeoisement, hautement exigeant, qui a marqué de son empreinte le rock, l’art, la sexualité, et même le débat social. Sur la pochette, Bowie place un carré blanc sur son passé, représenté par sa photo de Heroes. David Bowie, c’est une élégance reptilienne. Iconique, mais à la fois irreproductible et terre à terre, pensif et accessible, il est un être qui a mis de la force dans la fragilité, de la virilité dans l’ambiguïté, des lettres dans le rock et du Kafka dans le pop art. Un alien plutôt qu’un dandy, qui a cherché l’anonymat et l’ascétisme à Berlin, dont on n’a aucune histoire trivialement people à raconter. Quelqu’un vers qui l’on peut tendre, sans jamais pouvoir l’imiter, qui semble avoir réussi sa conquête de lui-même et jouit désormais de s’explorer.
Il est probable que The Next Day, son 30e album, soit la voix du réveil dans la nuit de la pop. La preuve de la nouveauté radicale de Where Are We Now ? a été apportée brillamment par Momus. L’énigmatique génie a offert au monde une reprise du morceau à peine quelques heures après l’avoir découvert sur Internet…