L’Eglise catholique a-t-elle perdu sa jeunesse ?

Les églises se vident et les évêques s’inquiètent : où sont passés les jeunes cathos ? De plus en plus, on les retrouve dans de grands rassemblements plutôt que dans les assemblées dominicales. Un changement qui n’a rien d’anodin : la vieille institution ecclésiale parviendra-t-elle à s’adapter à cette nouvelle manière de vivre la foi ?

Je suis vraiment impatient d’y être.  » David a 28 ans. Son métier ? Comédien. Mais son prochain objectif est tout autre : les Rencontres européennes de Taizé. Du 28 décembre au 1er janvier, il retrouvera 30 000 jeunes à Rotterdam pour y expérimenter le brassage des cultures et le partage de la foi.  » J’y vais pour retrouver mes amis. Mais aussi pour vivre ma foi avec eux. C’est surtout dans la rencontre à l’autre que je découvre la présence de Dieu.  » Claire, 17 ans, se prépare aussi à aller outre-Moerdijk.  » En août, j’ai découvert la communauté de Taizé. J’ai été très émue par ce que j’y ai vécu. Ma foi est encore fragile mais je sais que Dieu est présent en moi. C’est une force qui me tire vers le haut…  » David et Claire font partie des quelques centaines de Belges qui passeront les fêtes de fin d’année dans l’esprit de Taizé. Au vicariat du Brabant wallon, Maïté Degryse, employée à la Pastorale des jeunes, est responsable des inscriptions.  » Aujourd’hui, il n’est pas facile d’être jeune et chrétien. A Rotterdam, les jeunes se rendront compte qu’ils ne sont pas seuls, ça leur fera du bien.  » L’occasion de s’offrir une vision quelque peu différente de celle qui prévaut dans la plupart des paroisses du pays. D’année en année, les rangs s’y dégarnissent : de plus en plus, ce sont des visages ridés et des têtes chauves que l’on y trouve.  » Je ne suis plus allée à la messe depuis septembre, avoue Claire, sans la moindre gêne. Ce n’est pas là que je me sens le plus proche de Dieu.  » Un point de vue partagé par de nombreux jeunes. Et un constat qui pose question : comment expliquer le succès rencontré par les grands rassemblements alors même que les messes paroissiales ne font plus recette ?

 » Les jeunes attirent les jeunes « 

Premier constat : il y a quelques (rares) exceptions. Dans la ville estudiantine de Louvain-la-Neuve, plus de cent jeunes participent tous les mercredis à la messe des étudiants de la paroisse Saint- François. Mais c’est tout au long de l’année que de nombreux projets à dimension chrétienne sont organisés par les étudiants : conférences, temps d’adoration, débats théologiques, fêtes… La recette d’un tel dynamisme ?  » Il n’y en a pas ! répond Pierre Hannosset, le curé. Mais il est certain que les jeunes attirent les jeunes. A cet âge, on ressent le besoin de se retrouver en groupe.  » Reste que la situation de Saint-François est quelque peu particulière. Et si les jeunes y trouvent leur place, ils restent aussi très cloisonnés par rapport au  » monde des adultes « .  » Dans certaines paroisses, il y a une chouette dynamique intergénérationnelle, explique Maïté Degryse. Mais ailleurs, l’accueil est parfois franchement mauvais : certains prêtres ont peur des jeunes. En fait, ils ont peur du changement.  » Car tel est bien l’enjeu : s’ouvrir aux nouvelles générations, c’est accepter la possibilité de se laisser bousculer. Et la nécessité de s’adapter. Un fameux défi pour une institution pluri-séculaire.

Des efforts de com’

 » Ce que nous proposons aujourd’hui est souvent inadapté.  » L’abbé Olivier Fröhlich est coordinateur des pastorales des jeunes francophones. Comme beaucoup d’autres, il observe la défection des paroisses :  » De nos jours, c’est le one-shot qui a le plus de succès. Il y a une vingtaine d’années, c’était l’inverse. C’est lié à l’évolution de la société : les jeunes s’engagent moins facilement dans la durée. Et puis, nos liturgies sont lentes, alors que les jeunes vivent à l’ère du zapping !  » Il semble que, dans les hautes sphères de l’institution ecclésiale, la question préoccupe. Interrogés sur le sujet, c’est avec les sourcils froncés et la voix grave que les évêques abordent la question des jeunes. Une question parfois évoquée en Conférence épiscopale, nous dit-on. Au-delà des discussions, quelques gestes sont aussi posés. De part et d’autre de la frontière linguistique, il existe ainsi un évêque référent pour les jeunes. Chaque diocèse abrite aussi un service de pastorale des jeunes. Leur mission : soutenir les initiatives locales et organiser de grands rassemblements. De plus en plus nettement, l’Eglise veille également à soigner son image. Consciente de l’importance des médias et de leur impact sur les jeunes, elle développe de véritables stratégies de communication. En septembre 2009, à l’occasion de l’ordination de trois séminaristes, un clip vidéo avait été réalisé et diffusé sur le Net (tapez  » Priestbook  » sur YouTube). Par ailleurs, un grand nombre de paroisses disposent de leur site Internet et pas mal de prêtres envoient des SMS ou se retrouvent sur Facebook. Un réseau social qui est également de plus en plus utilisé pour faire la promotion des événements chrétiens et garder le contact avec les jeunes.  » N’oublions pas que les médias ne sont que des moyens, précise toutefois Olivier Fröhlich. L’Eglise ne peut se permettre de rester à l’ère de la diapositive. Mais, fondamentalement, un power-point n’a jamais converti personne !  »

En décalage avec la société

Adapter son langage et adopter un look branché, c’est nécessaire. Mais ça ne suffit pas. Communication ne peut dès lors que s’accompagner d’une certaine acculturation.  » Le christianisme a toujours dû répondre aux défis liés à l’évolution des sociétés, constate Olivier Fröhlich. Le modèle paroissial, qui a si bien marché pendant très longtemps, est aujourd’hui dépassé. Mais l’Eglise est un vieux paquebot, souvent lent à changer de cap.  » Le problème ne serait-il pas dès lors plus profond : après avoir fait les beaux jours d’une société pilarisée, l’Eglise catholique ne serait-elle pas tout simplement dépassée ?  » Comme toutes les institutions, l’Eglise subit une crise de légitimité, observe Olivier Servais, anthropologue des religions à l’UCL. Mais je pense que c’est surtout son mode de fonctionnement qui est en décalage avec la société. Beaucoup de personnes sont choquées en apprenant par exemple que la nomination de Mgr Léonard est un choix personnel de Benoît XVI.  » Parmi les sujets qui fâchent, revient aussi cette prétention à imposer une vérité universelle et à dicter les conduites. Olivier Servais nuance toutefois :  » Dans notre société dérégulée, de nombreux jeunes ressentent le besoin d’entendre certains principes, de recevoir certaines balises. Quitte à se les réapproprier par la suite… « 

Chacun sa foi

Identité complexe : il est devenu bien difficile de cerner le  » jeune chrétien  » d’aujourd’hui. Et impossible d’en dresser un seul portrait-robot. Le chrétien d’autrefois découvrait la foi au catéchisme, l’approfondissait à l’école et recevait les sacrements à l’église du village. Modèle révolu. Aujourd’hui, les jeunes chrétiens fréquentent les communautés nouvelles, participent aux Journées mondiales de la jeunesse, s’engagent dans des groupes de partage…  » On observe un effritement du paysage, en même temps qu’une diversification des lieux, constate Olivier Servais. En fait, il y a un réel bouillonnement.  » Une vitalité qui n’empêche pas certaines rivalités.  » A l’intérieur de l’Eglise, chacun a un petit peu sa chasse gardée « , entend-on à la base. Autre phénomène ressenti sur le terrain : celui d’une dualisation entre deux tendances. D’un côté, ceux qui boivent les paroles papales comme du petit lait et connaissent leur catéchisme sur le bout des doigts. De l’autre côté, des jeunes plus progressistes, qui se distancient de la structure sans pour autant délaisser leur foi. Marie Peltier peut en témoigner. Chanteuse dans le groupe de rock chrétien bruxellois Cx-Flood, elle n’a pas le profil de la  » parfaite petite catholique « .  » Dans nos chansons, on n’hésite pas à exprimer des critiques vis-à-vis de l’institution ecclésiale, raconte-t-elle. On est plus au service de l’Eglise des croyants qu’à celui de l’Eglise-institution. On tente de toucher les gens avec des mots qui leur parlent. « 

L’aube d’un printemps nouveau ?

Le pilier s’est éclaté. Finira-t-il par complètement se vider de ses membres ? L’Eglise a-t-elle touché le fond ou doit-elle encore tomber plus bas ?  » Il est extrêmement difficile de le dire. Mais le renouvellement des projets peut inciter à un certain optimisme « , répond Olivier Servais. A l’intérieur de l’Eglise, si l’on prend la situation au sérieux, on ne s’inquiète pas de manière excessive.  » Ne confondons pas efficacité et fécondité, précise Olivier Fröhlich. L’Eglise n’a pas pour but de conquérir un maximum de jeunes ; elle perd son âme dans des rêves de puissance.  » Même réflexe chez Pierre Hannosset :  » Les jeunes chrétiens sont moins nombreux qu’avant mais je les trouve plus vivants. On n’a jamais vu un océan d’eau tiède cuire un £uf. Par contre, un petit poêlon d’eau bouillante…  » Parmi les sources d’espérance, il faut sans doute pointer le grand nombre de projets organisés pour des jeunes, par des jeunes. C’est le cas du festival Choose Life (www.festivalchooselife.be). Depuis dix ans, cet événement accueille annuellement une centaine d’adolescents. Marie Tempels, l’une des organisatrices, a 23 ans.  » Je me sens utile quand je peux transmettre des valeurs à des plus jeunes. A travers notre projet, on montre que Dieu peut toucher les ados.  » Parmi les activités proposées, concerts, sketchs, partages et témoignages. Mais aussi une messe.  » L’eucharistie peut être belle si elle est adaptée aux jeunes. Le rituel et le sacré peuvent les toucher. A travers ce sacrement, ils ressentent alors la force d’un amour qui les dépasse. Et cela n’a rien de désuet ! « 

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VINCENT DELCORPS

 » NOS LITURGIES SONT LENTES ALORS QUE NOS JEUNES VIVENT À L’ÈRE DU ZAPPING « 

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