Chantre de l’identité wallonne, Jean Louvet est décédé le 29 août, à La Louvière, à l’âge de 80 ans. Marc Quaghebeur, directeur des Archives et Musée de la Littérature, lui rend hommage.
L’oeuvre comme le parcours de Jean Louvet sont tout d’abord ceux d’une conscience : celle de l’humanité. A rebours de l’individualisme et du consumérisme contemporains, la création théâtrale de ce fils d’un mineur de fond se situe tout autant aux antipodes des illusions collectives ou collectivistes. Elle plonge au coeur des contradictions sociales et personnelles. Elle le fait avec une tendresse discrète, aussi obstinée que la petite espérance chère à Charles Péguy.
Ainsi qu’il l’écrit dans Il y a des mots qui reviennent chaque nuit, Louvet s’est heurté, enfant, aux » murs de la maison vide » désertée par sa mère. Il plonge ensuite dans les affres de sa classe sociale, de son pays à l’heure de la Question royale puis de la Wallonie. A travers elle, il entre dans la dérive planétaire qui va miner les valeurs d’incarnation et de solidarité qui baignèrent sa jeunesse d’enfant pauvre. L’Histoire, il la rencontre décisivement à travers la Grande Grève de l’hiver 1960, chant du cygne de l’industrie lourde en Wallonie et déclencheur notoire de l’évolution fédérale de la Belgique. Il comprend alors que son oeuvre littéraire l’engendrera et enfantera un peuple.
Le Train du Bon Dieu (1976) donne des allures mythiques d’espérance fraternelle au peuple qui choisit de faire la grève générale. Du père mineur qui fit de son fils Jonathan un intellectuel, Conversation en Wallonie (1978) dessine une image étrangère à tout réalisme social – Grégoire apparaissant à son fils tel Hamlet mais dans une tendresse plus grande que dans la vie. Avec Un Faust (1986), l’intellectuel se retrouve confronté, dans un paysage proche de ceux de la Wallonie industrielle, à une sorte d’aire du vide. Entre-temps, dans L’Homme qui avait le soleil dans sapoche (1982), le député communiste Julien Lahaut, assassiné après la prestation de serment du roi Baudouin, et revenu des limbes, découvre une Wallonie qui ne ressemble plus à celle dont il fut une figure emblématique. Le militant a perdu ses repères.
La réhabitation d’un des mythes majeurs de l’Occident coïncide avec l’institutionnalisation des nouvelles structures de fonctionnement de l’Etat belge. Le défenseur de la culture wallonne s’y reconnaît tout aussi peu que ses amis hantés par la modernité théâtrale, Marc Liebens et Michèle Fabien notamment, à travers lesquels ses pièces atteignirent un autre public que celui de son Théâtre prolétarien à La Louvière. Louvet est l’un et l’autre à la fois. Il vit la fin des utopies qui portèrent la génération des années 1960-1980 mais ne rentre pas pour autant dans le rang. Chaleureuse et percutante, sa parole se situe aux antipodes du politiquement correct comme du consensus culturel.
A partir de Jacob seul (1990), le dramaturge accentue la descente au coeur des méandres individuels des hommes, des femmes et des couples immergés dans la déréliction contemporaine. » Je ne veux plus parler toute seule « , affirme ainsi l’héroïne de Comme un secret inavoué (2013). Il ne renonce pas pour autant à l’Histoire qu’il met en scène, par exemple, dans Simenon (1994). Sa relation des exactions rexistes du frère du romancier est dépourvue de toute concession mais reliée à certains comportements maternels.
Louvet sait que les fils de l’Histoire sont nombreux et le dit. Son oeuvre entend donner des mots aux voix des hommes et des femmes en quête de Sens et d’Existence. Des mots rares, à flanc de silence, dénués de blabla idéologique ou de mièvrerie littéraire.
Au pire des situations de vie relatées par ses pièces plongeant dans l’aujourd’hui, Louvet maintient la possibilité du don, de l’effraction et de l’amour. Ce reste, l’écrivain l’a mis au coeur de son théâtre comme de son action sociale, culturelle et politique.
Marc Quaghebeur