L’école à la carte

Qu’attend-on pour sauver l’école ? Au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles comme dans le privé, des projets innovants et concrets ouvrent la voie. L’enquête du Vif/L’Express.

Un mouvement hétérogène – des hypercathos aux tenants de la pédagogie Steiner, en passant par l’école autogérée – et encore minoritaire, mais qui s’agrandit : l’éducation innove et renouvelle les pratiques pédagogiques. Sur le terrain, des expériences passionnantes se multiplient, à l’échelle d’une classe, d’un établissement, ou même d’une ville. Qu’ils relèvent de la Fédération Wallonie-Bruxelles ou non, qu’ils soient gratuits ou payants, ces enseignements ont chacun un projet particulier : écologique, comme au collège Robert Schuman, à Eupen ; ou linguistique, comme dans le réseau d’écoles bilingues Montessori ou à l’école bilingue français-latin Schola Nova, à Incourt.

 » Il me semble que l’on ne peut plus faire autrement aujourd’hui, tellement les classes, les niveaux et les environnements culturels sont hétérogènes « , estime Marylène Mathias, directrice à l’Institut d’enseignement des arts techniques et de l’artisanat (Iata), à Namur. L’établissement secondaire a ouvert, il y a deux ans, une  » filière  » d’inspiration Steiner-Waldorf, où on développe à la fois les facultés intellectuelles, artistiques et manuelles.  » Les élèves ont des profils d’apprentissage différents « , insiste-t-elle. Derrière sa réflexion pointe un constat, récurrent : pour transmettre et évaluer des savoirs, l’école s’appuie sur deux intelligences,  » logico-mathématique  » et  » verbale-linguistique « , et passe à côté d’autres. Le point de vue est également partagé par l’équipe du collège Da Vinci, à Perwez. Le tout jeune établissement enseigne sur la base théorique des intelligences multiples. L’idée consiste à rendre le savoir accessible aux élèves selon leurs atouts, en stimulant les différents circuits cognitifs : par exemple, le latin à l’aide de chansons, de récits, de bandes dessinées ou le français grâce à des cartes mentales, sortes de graphiques arborescents utilisés dans le management, de vidéos, de jeux… Deux exemples parmi d’autres, qui séduisent les parents, de plus en plus nombreux à souhaiter un paysage éducatif plus varié.

C’est dès la maternelle que des modèles atypiques tentent de capter leurs demandes. Ces écoles se bâtissent sur les lacunes du système scolaire. Vu qu’il n’existe aucune école bilingue à Bruxelles, l’école Pistache, située à Schaerbeek, propose un enseignement en français et en néerlandais, dispensé alternativement par une institutrice francophone et une institutrice néerlandophone. L’établissement, qui ouvrira dès la rentrée un niveau primaire, veut répondre à une demande parentale de plus en plus importante : le bilinguisme dès la maternelle. Il va plus loin que l’immersion, puisque  » l’école n’est ni francophone ni néerlandophone, l’enseignement est complètement bilingue : 50 % en français, 50 % en néerlandais « . Coût : 360 euros mensuels, auxquels il faut ajouter 250 euros de frais d’inscription. Pour l’instant, l’école accueille une dizaine d’enfants. D’autres établissements proposent une immersion totale en anglais, à l’exemple de l’école Victoria, à Woluwe-Saint-Lambert. A partir de la rentrée, dès l’âge de 3 ans, les élèves s’immergeront dans la langue anglaise, avec des institutrices britanniques. La scolarité coûte de 700 à 865 euros par mois, plus les frais d’inscription de 350 euros.

Mais le plus gros atout de ces écoles est qu’elles affirment assurer un suivi personnalisé de l’enfant grâce à de petites classes. A The Little Academy, école maternelle privée au coeur de Mons, pas plus de 14 écoliers par classe.  » Ce serait impossible d’avoir un si petit nombre d’élèves dans le public. C’est la seule vraie plus-value par rapport aux écoles traditionnelles « , estime le professeur de l’UMons, Marc Demeuse. Les contributions des familles s’élèvent à 290 euros mensuels.

Les parents plébiscitent également les pédagogies différentes. Inspirées de Maria Montessori, Célestin Freinet ou Rudolf Steiner, elles ont le vent en poupe. Un engouement dont ne peut que se féliciter Amandine Tuerlinckx, directrice de l’école secondaire Freinet, De l’Autre Côté de l’Ecole, à Auderghem.  » L’école n’est pas simplement un lieu où l’on dépose ses enfants. Il doit être vivant.  » Si chacune de ces démarches a ses spécificités, elles partagent toutes un point commun fort : l’enfant est mis au centre du projet. Tous ces établissements font autrement l’école, mais chacun à sa manière. Ainsi, plutôt que de noter l’élève, on lui apprend à évaluer son travail. De même, l’élève avance à son rythme, décide des apprentissages sur lesquels il veut mettre l’accent. Ses rapports avec les adultes sont individualisés. Enfin, quelques projets attirent des parents à la recherche d’un encadrement philosophique ou spirituel différent. Il s’agit par exemple d’écoles évangéliques ou musulmanes.

Ces établissements représentent sans aucun doute un capital d’expériences, dont d’autres pourraient s’inspirer. Mais comme le montre notre enquête, ces projets novateurs demandent en général plus de place, de temps, et l’énergie d’équipes très engagées. Illustration par l’exemple.

La classe inversée

Cette pédagogie fait l’objet d’un véritable engouement. Le principe date déjà de 2004, quand deux enseignants américains dénichent un logiciel capable d’enregistrer un document PowerPoint, de plaquer dessus une voix off, des annotations et de transformer le tout en un produit vidéo. Résultat : les enseignants mettent les leçons à la disposition des élèves sur des ENT (espaces numériques de travail) : des textes, des images, des vidéos… Avant le cours, chez eux, les élèves visionnent le contenu des documents et intègrent la théorie. L’intérêt du dispositif réside dans le temps d’échange ainsi libéré, avec un enseignant disponible, pour les travaux et les exercices.

Au fil du temps, témoignent des enseignants, leurs classes changent parce qu’une vraie interaction s’installe entre les profs et les élèves.  » L’enseignant devient le coach d’une communauté d’apprenants. Il ne débite plus son cours à un bloc d’élèves, mais s’intéresse de près aux besoins individuels de chacun « , explique John Rizzo, ex-enseignant, auteur de Sauver l’école ? (Ker éditions).A l’exemple de ces deux établissements namurois, l’institut de la Providence et l’institut Saint-Joseph. Depuis septembre 2014, de la 1re à la 3e secondaire, les notions de maths sont étudiées à la maison (ou à l’école si l’élève ne dispose pas d’accès Internet). Sur la plate-forme, on y trouve de courtes vidéos (une à deux minutes) du professeur, des animations importées et des quizz à remplir.

Les élèves travaillent chacun à leur rythme, regardent les vidéos autant de fois que nécessaire et notent les questions auxquelles l’enseignant répondra ensuite en cours, puisque les heures de classes sont entièrement consacrées aux exercices et travaux pratiques.  » Quand ils sont avec moi, je les mets par petits groupes, avec des exercices d’application adaptés à leurs besoins « , détaille Valérie Beguin, professeur à l’institut de la Providence. Mais ce n’est pas tout. L’état d’esprit qui règne en classe change. Ils ne viennent plus en cours pour prendre des notes et écouter de manière passive, mais pour progresser dans le maniement d’un savoir nouveau. Avec des résultats, puisque le taux d’échec en maths a diminué. Sans être un remède miracle : l’élève qui ne fait pas ses devoirs chez lui n’aura pas plus envie de visionner un cours sur Internet. Et en classe, il ne profitera pas de la disponibilité de son enseignant puisqu’il devra d’abord regarder le cours.

Peu à peu, des établissements se lancent dans la pédagogie inversée. Ainsi, les cours de biologie et de français sont basés sur ce principe à l’athénée royal d’Ans. Ou encore, dès cette rentrée, le CECS La Garenne, à Charleroi, expérimentera la classe inversée en sciences.

Option chinois

Depuis deux ans, l’apprentissage du chinois se multiplie dans les écoles secondaires. Le mandarin est ainsi au programme d’une trentaine d’établissements, dans le cadre du plan d’ouverture aux langues et aux cultures (OLC). Pour l’instant, il est dispensé par des enseignants chinois (envoyés par leur ambassade), principalement en dehors du temps scolaire : par exemple, le mercredi après-midi, comme à l’athénée royal de Nivelles, ou sur le temps de midi, comme au lycée Saint-Jacques de Liège. Mais le miniphénomène devrait s’amplifier, puisqu’une circulaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles autorise, depuis la rentrée de septembre 2014, l’apprentissage du chinois en LM2 (deuxième langue moderne) ou en LM3 (troisième langue moderne), en plus de l’anglais ou du néerlandais, et ce dès la 3e secondaire, à raison de quatre heures par semaine. Du coup, face à l’intérêt des élèves et des parents, l’institut de la Providence, à Champion (Namur), propose, depuis un an, aux élèves de 5e et 6e secondaire, deux heures d’enseignement du mandarin par semaine. Chaque année, l’école organise un voyage de quinze jours en Chine. A Liège, l’athénée Maurice Destenay a également introduit le chinois dès la 5e secondaire. Le mandarin s’ajoute alors à la grille horaire, à raison de quatre heures par semaine.

Signe des temps : on s’initie au chinois de plus en plus jeune. Des écoles primaires offrent une initiation au mandarin. C’est le cas de l’athénée royal Robert Campin, à Tournai, qui, en plus d’une immersion précoce en anglais, organise des cours de chinois dès la 3e maternelle. Ou de l’école fondamentale Martin V, à Louvain-la-Neuve, où les écoliers peuvent suivre une heure et demie par semaine, le mercredi après-midi, et ce dès la 3e maternelle.

L’école gréco-latine

Alors que le latin décline – moins de 20 % des élèves choisissent l’option et à peine 5 % le grec ancien -, il existe un établissement privé laïque délivrant un programme sans pareil à une soixantaine d’élèves de 7 à 18 ans. Schola Nova, installée dans une fermette rénovée à Incourt, dans le Brabant wallon, propose un enseignement poussé du latin et du grec. En 1re secondaire, les élèves ont neuf heures de latin hebdomadaires, dont quatre consacrées à la grammaire pure, et cinq au  » latin vivant « , c’est-à-dire le latin parlé. Car dans cette école, on ne fait pas qu’apprendre le latin : on le parle. Au fil des années, le nombre d’heures de latin vivant diminue au profit de la lecture d’auteurs en latin. Dès la 2e secondaire, cinq heures de grec, puis quatre, à partir de la 4e. Auxquelles il faut ajouter le cours d’histoire dispensé en latin en 3e secondaire, ainsi que les cours de géographie et d’histoire de l’art dispensés en néerlandais, en plus de trois heures hebdomadaires de néerlandais. On y fait aussi du français, des maths, de l’anglais et de la chimie comme partout ailleurs.

A la fin du cursus (cinq années de secondaire, pas six comme ailleurs), coûtant près de 4 000 euros annuels, l’école ne délivre aucun diplôme. Il faut passer le jury central ou réussir l’examen d’admission à l’université pour rejoindre l’enseignement supérieur. Selon Schola Nova, les élèves y sont préparés et, toujours selon l’établissement, nombre d’entre eux le font donc dès la 5e secondaire. Petits effectifs, professeurs motivés, classes d’âge mélangées : tout serait fait pour stimuler les élèves. A côté de Schola Nova, l’école a ouvert Schola Prima, une classe unique de primaire, regroupant les élèves de la 2e à la 6e. Evidemment, le latin y est enseigné une heure par semaine, en préparation aux humanités gréco-latines, ainsi que le néerlandais, à raison de six heures par semaine.

L’école autogérée

C’est une espèce de  » microécole  » : cet établissement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, située à Clavier, dans la province de Liège, n’abrite qu’un peu plus de cinquante élèves, de la 3e à la 6e secondaire, et une dizaine de professeurs. A l’Alter Ecole, élèves et enseignants se tutoient, décident conjointement et administrent ensemble la vie en communauté. Ainsi, chaque matin, une partie des élèves s’astreignent à la cuisine, aux tâches ménagères et administratives, pendant que les autres sont en atelier.

Dans cette école, tous les élèves sont inscrits à l’option sciences sociales, à laquelle ils peuvent ajouter l’option art, histoire ou nature, dès la 5e secondaire. Le programme traditionnel est suivi. En revanche, la scolarité comporte deux piliers essentiels : l’atelier et le projet. Trois matinées par semaine sont consacrées aux ateliers et les sujets, définis pour trois semaines et autour d’un thème, abordés de façon pluridisciplinaire  » en lien avec les savoirs « . Ils s’achèvent par une  » production  » publique devant l' » agora « , réunissant élèves et enseignants. Les après-midis, les élèves retrouvent un enseignement plus  » classique  » avec des cours obligatoires – français, maths, langues… – par année et en petits groupes. Enfin, tous les lundis après-midi, les élèves travaillent en groupe sur des projets communs, épaulés par un professeur. Les activités concernent les arts et la découverte : monter un groupe de musique, publier un recueil d’écriture, organiser un atelier de cuisine…

Les équipes pédagogiques sont recrutées sur la base du volontariat et l’école accueille des élèves en rupture avec le système éducatif traditionnel. Pour l’instant, ce type d’enseignement demeure expérimental.

L’école communautaire entrepreneuriale consciente

Son concept : apprendre différemment, en rendant les jeunes capables de s’engager, d’entreprendre et d’innover de façon consciente, responsable et autonome. Développé au Québec au début des années 1990, le dispositif a séduit le collège La Fraternité, un établissement secondaire multiculturel situé à Laeken (Bruxelles) et accueillant 350 élèves.  » Nous faisons face à un décrochage scolaire croissant. Nous étions à la recherche d’une méthode pédagogique pour impliquer tous les élèves dans l’école « , déclare Rose Romain, sous-directrice de l’établissement.

Au-delà du jargon psychopédagogique, l’idée est simple : les élèves sont au service de la communauté, c’est-à-dire de leurs camarades et de leur famille, de l’école, du quartier… Dès lors, à eux de devenir les initiateurs, les réalisateurs et les gestionnaires de leurs projets. Une condition : ces projets doivent répondre à de vrais besoins dans l’école ou dans la communauté. Des exemples ? Les élèves de menuiserie fabriquent les bancs, les tables de pique-nique, les cabanes d’oiseaux, etc., pour la commune (qui achète le matériel) où est situé leur établissement. Les projets varient évidemment d’une école à l’autre. Résultat : les jeunes développent l’autonomie, le goût d’entreprendre, la fierté, apprennent que l’effort est un préalable à la réussite et que le travail d’équipe est essentiel pour atteindre un but commun. Le système marche bien.  » L’élève apprend non seulement la théorie, mais il la met en pratique. Sa confiance et sa motivation à rester en salle de classe augmentent. Et puis, il y a des jeunes qui vont se trouver là-dedans et se découvrir des talents cachés « , signale Rose Romain.

Le dispositif, reconnu par l’Unesco en 1999, compte un réseau de 129 établissements à travers le monde, voués à la promotion de l’esprit d’entreprendre, dont une seule en Europe, le collège La Fraternité. A l’origine, il a été testé au Québec à l’école des Coeurs vaillants qui demeure le modèle à suivre pour le collège La Fraternité. Cet établissement nouveau genre est ouvert sept jours sur sept. Les membres de la communauté – entrepreneurs, employés, retraités, anciens élèves, parents… – y occupent une place importante. Certains supervisent, une fois par semaine, un projet mené par les élèves, tel un potager dont les récoltes sont destinées aux sans-abris. D’autres encadrent les activités parascolaires ou participent à l’aide aux devoirs.  » De cette façon, davantage de jeunes se sentiront bien ancrés dans leur coin de pays « , souligne le concepteur du réseau, Rino Lévesque.

Le collège La Fraternité n’est pas le seul à faire le pari de l’école communautaire. Le modèle commence à séduire d’autres établissements.

L’école Steiner

A Namur, depuis deux ans, l’Institut des arts techniques et de l’artisanat (Iata) propose une 1re et une 2e secondaire d’inspiration Steiner-Waldorf, du nom du philosophe autrichien Rudolf Steiner, né au XIXe siècle, et selon lequel l’éducation doit développer à la fois les facultés intellectuelles, artistiques et manuelles. Particulièrement nombreuses en Allemagne et aux Pays-Bas, ces classes sont uniques en Fédération Wallonie-Bruxelles. Jusqu’à la rentrée scolaire 2013, seules des écoles maternelles et primaires mettaient en oeuvre cette pédagogie. La section secondaire a vu le jour à l’initiative des parents de la libre école primaire Rudolf Steiner, à Court-Saint-Etienne, dans le Brabant wallon, qui souhaitaient depuis longtemps offrir un parcours complet à leurs enfants. Or, seuls, c’était très compliqué. L’alternative était alors de trouver une école secondaire existante qui accepterait ce type de projet et de bénéficier ainsi d’infrastructures et de financement public.

En apparence, la section Steiner a tout d’une classe ordinaire. Mais, chaque semaine, les professeurs se rassemblent pour parler de leurs élèves. Pour rentrer en classe, les enfants ne se mettent pas en rang, mais s’engouffrent au fur et à mesure dans le bâtiment, en n’oubliant pas de serrer la main au professeur qui les attend.  » Cela fait partie de la pédagogie Steiner. Ce salut permet d’établir un contact avec l’élève, de voir s’il va bien, s’il est fatigué… « , précise Amandine Dupret, enseignante. Ici, en plus du programme officiel, les élèves travaillent la terre, le bois, le métal et la pierre. Le dessin est utilisé dans tous les cours, ainsi que l’histoire de l’art, la danse, la musique…  » Cette pédagogie convient, selon moi, à tous les élèves. On met en avant le côté artistique, mais il ne faut pas être un artiste dans l’âme. Chaque élève a du talent en lui « , poursuit l’enseignante. Les deux premières heures du matin sont consacrées à l’étude d’un seul thème, qui change toutes les trois semaines. Durant l’avant-midi, les élèves suivent les cours classiques (des maths, du néerlandais…), tandis que les après-midis sont voués aux ateliers manuels et artistiques. Deux enseignants – huit enseignants sont formés à la pédagogie Steiner – prennent en charge douze heures de cours. Enfin, il n’y a pas de redoublement, pas non plus d’examens à Noël et en juin, mais les élèves sont évalués tout au long de l’année, à la fin des gros chapitres. Et en fin de 2e secondaire, ils passent évidemment l’évaluation externe de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le CE1D.  » On constate que la structure actuelle du premier degré est trop rigide : trop d’élèves y restent bloqués alors qu’ils ont d’autres aptitudes, qu’elles soient artistiques, artisanales ou manuelles. Dans la pédagogie Steiner, certains élèves expriment plus aisément leurs compétences « , énonce Marylène Mathias, directrice pédagogique à l’Iata. A la rentrée, l’établissement ouvrira une 3e secondaire Steiner.

La méthode compte, en Wallonie, quatre établissements primaires – dont deux subventionnés – et trois jardins d’enfants, regroupant quelque trois cents élèves. Elle semble séduire et la demande est bien là. Ainsi, à la rentrée 2014, une nouvelle école maternelle et primaire a vu le jour à Bruxelles (Etterbeek). L’établissement privé, EOS, ne propose encore que la maternelle mais, dès septembre prochain, devrait ouvrir une classe de primaire (1re et 2e). Le mobilier, les jouets, le matériel pédagogique sont en matériaux naturels. Pas de plastique, pas de feutres, mais des crayons de cire dans les classes. Le sucre y est banni et la cantine est bio. Dont coût : 350 euros mensuels par enfant.

L’école Montessori

La pédagogie Montessori continue à faire des petits. Après une classe maternelle, la modeste école Montessori Ici ouvrira à la rentrée prochaine une classe primaire unique, accueillant des élèves de la 1re à la 3e. Située à Tilff (Liège), elle s’ajoute à la quinzaine d’écoles Montessori, maternelles et primaire, dont un seul institut scolarise jusqu’à la fin du secondaire. Nichés dans des quartiers cossus du Brabant wallon et de Bruxelles, ces établissements sont tous des petites structures entièrement privées, proposant très souvent un enseignement bilingue (français/anglais) et impayable pour la très grande majorité des parents. L’année scolaire coûte de 6 000 à 23 000 euros l’an – l’exception étant Montessori Ici, où les frais, calculés selon les revenus parentaux varient de 450 à 600 euros mensuels.

Née sous l’aile de Maria Montessori, médecin italien du tout début du XXe siècle, la méthode n’est plus toute jeune. Ses préceptes ? Profiter des phases où l’enfant est réceptif à certains apprentissages et lui offrir un cadre adapté pour qu’il puisse apprendre par lui-même au gré de ses envies et de sa curiosité du moment. Il va à son propre rythme en toute autonomie et, s’il le souhaite, peut même choisir de ne rien faire. Car rien ne lui est imposé. Pas de promesse de récompense ni de menace de punition. Les enseignants restent en retrait dans un rôle d’observateurs et de guides, quand la soif d’apprendre est le plus en éveil ou quand une difficulté se présente. Pas de devoirs, pas de leçons : l’école Montessori se veut aussi une réaction contre le  » gavage  » intellectuel qui consiste à surmener les jeunes intelligences, en vue d’examens périodiques.

Donc, pas de compétition ni de classement : les critiques et les notes sont bannies. Pas de jouets et de poupées. Les étagères regorgent de matériel montessorien breveté et élaboré pour que les enfants puissent apprendre en manipulant des objets. Fondée sur l’expérience sensorielle et le toucher, les élèves manipulent des lettres rugueuses (des lettres en relief utilisées pour découvrir la lecture), des assemblages de perles pour commencer à compter…  » A une époque où les enfants sont cloués aux chaises et les chaises au sol, Maria Montessori met l’enfant en mouvement à l’école, convaincue que l’on n’apprend rien en restant fixé à un banc. Libérer le mouvement, c’est libérer le psychisme de l’enfant « , embraie une mère de famille. Les plus convaincues des mamans se découvrent aussi une nouvelle vocation : l’enseignement. Les formations, pourtant coûteuses – 700 euros – sont prises d’assaut. Portées par ces nouvelles converties, les écoles Montessori pourraient émerger.

L’école Freinet

Autre exemple qui continue de susciter un fort enthousiasme : la pédagogie de Célestin Freinet, qui place chaque élève au centre du processus d’apprentissage, avec ses besoins, ses envies, son caractère, sa créativité. Avec Gand, Liège est la ville qui compte le plus d’établissements primaires Freinet. Elle ouvrira une nouvelle école, Liberté, dès cette rentrée, en rive droite de la Meuse, qui sera la sixième école primaire de ce type sur le territoire liégeois.  » Ces écoles rencontrent un tel engouement que la Ville n’arrive plus à répondre à toutes les demandes des parents « , indique l’échevin Pierre Stassart, notant une augmentation de 30 % de celles-ci entre 2008 et 2015.

Mais, signe de l’intérêt pour la méthode, c’est surtout à l’échelon secondaire que de nouveaux établissements se sont ouverts (car très peu nombreux jusqu’ici). Ainsi, De l’Autre Côté de l’Ecole et l’Ecole Active – portées à bout de bras par des parents d’élèves – ont vu le jour lors de la rentrée 2014, dans le sud de Bruxelles. Les classes sont déjà complètes. A l’Ecole Active, le nombre d’élèves devrait doubler en septembre 2016, pour passer à près de 200. Un autre projet, toujours porté par une quinzaine de parents, pourrait voir le jour en Brabant wallon. Selon Frédéric Chomé, un père à l’origine de l’initiative, la future école aurait déjà près de 150 préinscrits à une première secondaire et 40 autres pour les niveaux supérieurs pour une hypothétique rentrée en 2017.  » Même s’il manque d’infrastructures secondaires dans le Brabant wallon, les familles viennent pour le projet pédagogique « , souligne-t-il.

De son côté, l’autorité publique s’inspire toujours de la pédagogie Freinet, à défaut de l’appliquer totalement. Le collège Da Vinci, établissement créé en septembre 2014 à Perwez, propose une pédagogie active et – fait unique en Belgique – en s’appuyant sur la théorie des intelligences multiples.  » Nous partons de ce que les jeunes savent faire de mieux pour les amener à progresser le plus haut possible. La plupart d’entre eux sont visuels. Il faut donc travailler sur ce plan « , préconise Anne-Marie Samson, directrice. Des ateliers sont ainsi mis en place par les enseignants, à côté des cours ex cathedra. C’est au cours de ces ateliers que les enseignants repèrent les particularités de chaque élève. L’école mise aussi sur la pédagogie inversée (lire plus haut) et sur la gestion mentale. Pour sa seconde rentrée, le collège affiche complet. Il y a deux ans, la Ville de Bruxelles a ouvert, elle aussi, un établissement qui développe la pédagogie active.

L’école verte

 » Il ne suffit pas de trier sommairement ses déchets et d’éteindre la lumière en sortant pour verser son écot au développement durable « , martèle Jean-Michel Lex, coordinateur environnement et développement durable au sein de l’institut professionnel et technique Robert Schuman, à Eupen. Un établissement pas comme les autres : il est labellisé ISO 14001. La nourriture ? Bio et locale, tandis que les distributeurs ne servent que des fruits et des légumes. L’éclairage ? Economique. La peinture ? Ecologique. Le fonctionnement ? Durable. Ainsi, le tri des déchets est véritablement minutieux puisqu’il s’organise selon 48 collectes différentes.  » Et quand il a fallu remplacer le vitrage d’un local, les élèves en menuiserie s’en sont chargés, et ce qui a été économisé sur la main-d’oeuvre nous a permis de placer un vitrage très performant « , s’enthousiasme Jean-Michel Lex. L’école veut également former chacun de ses élèves – 850 répartis dans 14 filières d’enseignement comme cuisine, mécanique, menuiserie, coiffure… – à l’audit énergétique.  » Une compétence que ces futurs adultes concernés par l’environnement et la planète pourront mettre au service de leur entreprise future.  »

L’école religieuse

En septembre prochain, De Schatkist ( » le coffre aux trésors « ) verra le jour à Haren (Bruxelles). Elle délivrera un enseignement primaire néerlandophone  » basé sur une identité chrétienne claire avec la Bible comme norme « .  » Une école où les enfants découvrent qu’ils sont de valeur inestimable « , lit-on dans le dépliant. Et  » un environnement d’apprentissage passionnant où l’Evangile n’est pas déguisé « . A moyen terme, le nombre d’élèves devrait tourner autour de 30 en maternelle et 28 en 1re et 2e primaire – jusqu’ici, selon l’établissement, une vingtaine d’élèves sont fermement inscrits pour la rentrée. L’école veut recruter principalement au sein de familles chrétiennes protestantes.

Derrière De Schatkist, on trouve l’Ipco, pouvoir organisateur des  » Scholen met Bijbel  » ( » Ecoles avec la Bible « ), subventionnées par la Communauté flamande. Cette structure flamande protestante évangélique fédère actuellement sept écoles primaires et fait le pari de s’implanter à Bruxelles, qui  » compte plus de deux cents églises protestantes et évangéliques et, par conséquent, beaucoup de candidats potentiels pour l’enseignement protestant évangélique « .

Du côté francophone, l’offre protestante évangélique rencontre toujours plus de succès, puisque la proportion de familles, dont de nombreux parents d’origine africaine, mais aussi d’origines roumaine et brésilienne, souhaitant inscrire leurs enfants serait en augmentation constante. Ainsi Les Tournesols, à Anderlecht (Bruxelles), établissement subsidié dirigé par un pasteur, scolarise aujourd’hui 350 élèves (260 en 2012) et une centaine sont inscrits en liste d’attente. L’enseignement s’y arrête en 4e secondaire et regroupe 80 élèves (une vingtaine en 2008).

Dans leurs rangs, on compte cinq écoles primaires et deux établissements secondaires, éparpillés en Wallonie et regroupant près de 1 000 élèves. Les projets scolaires répondent aux obligations décrétales et se fondent sur des idées chères à la tradition de la Réforme – chaque enfant constitue un miracle et le travail est un appel de Dieu. Mais ils fonctionnent sur des bases confessionnelles très affirmées. Les parents sont invités à participer aux formations à l’éducation chrétienne organisées par les établissements. L’enseignement, par exemple, insiste sur la notion de Dieu créateur. L’objectif est de  » faire découvrir les perfections de Dieu au travers de toutes les matières scolaires « , parce que  » Dieu est la seule vérité « .

Les établissements musulmans se disent eux aussi confrontés à une forte demande de parents et se trouveraient en situation de saturation. Ainsi l’école Al-Ghazali, à Etterbeek, première école élémentaire de confession musulmane à avoir vu le jour, scolarise 225 élèves mais le directeur tient  » des listes d’attente kilométriques « . La veille des inscriptions, des parents n’hésitent pas à passer la nuit devant l’établissement pour espérer décrocher une place. A La Plume, à Molenbeek-Saint-Jean, école de quelque 280 élèves regroupés en trois classes de maternelle et huit classes de primaire jusqu’à la 4e, les inscriptions sont closes depuis longtemps. Enfin, la toute récente école La Vertu, ouverte à Schaerbeek en septembre 2013, accueille déjà 150 élèves en maternelle et en primaire. Après un avis positif du Conseil général de concertation, l’école secondaire du même nom, à Anderlecht, vient de décrocher sa fameuse homologation, à savoir l’autorisation de la ministre de l’Education, Joëlle Milquet (CDH). La Vertu sera le premier établissement musulman. Il ouvrira à la rentrée des classes de 1re et 2e secondaire, c’est-à-dire 120 places. Déjà, l’école a reçu plus de 90 demandes d’inscription et devrait très vite afficher complet. A terme, sa capacité d’accueil sera de 600 places.

Pour répondre à la demande, il existe d’autres projets. Par exemple, l’institut El Hikma-La Sagesse espère construire un établissement primaire et secondaire musulman, reconnu et subsidié par la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui pourrait accueillir à terme près de 500 élèves. Il a récolté plus de 750 000 euros, provenant de collectes ou de dons et vient, en juin dernier, d’acquérir un bâtiment de 9 000 mètres carrés à Forest. A Anderlecht, l’école secondaire Al Amal, à l’initiative de la mosquée Al Amal, demeure au stade de projet. Jusqu’ici, l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’y est opposée, notamment parce que le bâtiment ne répondait pas aux normes. Ses instigateurs ont beau multiplier les appels aux dons, ils ne disposent que de 90 000 euros.

Les porteurs de ces projets sont surtout motivés par les lacunes qu’ils constatent dans l’école traditionnelle :  » Aujourd’hui, beaucoup d’enfants de notre communauté se retrouvent dans des écoles ghettos avec une éducation qui n’est pas à la hauteur de ce que nous recherchons en tant que communauté « , expose le centre dans une vidéo postée sur Facebook.  » C’est une nécessité de bâtir nos écoles où nos enfants auront des études de bon niveau dans le respect de leurs convictions.  »

L’établissement espère commencer modestement avec une maternelle, si possible dès septembre prochain. Mais le programme se veut ambitieux. Il veut mettre l’accent sur l’enseignement des langues : l’apprentissage du français, du néerlandais, de l’anglais et l’arabe dès la 3e maternelle.  » L’arabe sera enseigné avec une pratique quotidienne afin que nos élèves soient capables de poursuivre leurs études, s’ils le souhaitent, dans un pays arabe « , se réjouit l’un des promoteurs. En fin de cycle, nos élèves seraient ainsi quadrilingues.

La seconde motivation des porteurs du projet est de forger chez les jeunes une identité musulmane positive et de permettre aux familles de trouver des cadres d’études en phase avec les valeurs fondamentales de l’islam. Dès lors, selon un membre de la communauté musulmane, après la focalisation sur la construction des mosquées, l’ère de l’école est venue.  » Des établissements dans lesquels les valeurs islamiques sont respectées et transmises et où les programmes officiels sont appliqués « , spécifie notre interlocuteur. Car  » des milliers d’enfants musulmans fréquentent des écoles où ces valeurs sont discréditées, pointées du doigt et diabolisées, où l’islamophobie et les discriminations avancent chaque jour un peu plus.  »

D’autres établissements mettent moins en avant leur caractère musulman. C’est le cas des Ecoles des Etoiles, qui regroupent trois écoles élémentaires et deux établissements secondaires, tous gérés par le centre d’enseignement Prisma, en lien étroit avec la fédération Betiad réunissant des chefs d’entreprise turcs, proches du mouvement turc nourjou de l’imam Fethullah Gülen, à l’initiative des collèges Lucerna, subsidiés par la Communauté flamande. Le dernier-né des établissements a ouvert ses portes l’an passé à Liège, encouragé par une communauté inquiète et soucieuse de donner le meilleur à ses enfants. A Charleroi, en deux ans, l’Ecole des Etoiles a doublé sa population scolaire.

Attentives à montrer leur ouverture, les Ecoles des Etoiles s’inscrivent dans le réseau libre non confessionnel subventionné. Elles proposent des cours de religion et de morale. Le cours de religion islamique est cependant suivi par la plupart des élèves. Plus de la moitié des élèves sont turcs et plus de 90 % sont musulmans. Le réseau vise surtout l’excellence scolaire, en misant sur l’encadrement et la maîtrise des langues ; l’apprentissage du français avec un programme didactique comme langue étrangère ; en 5e et 6e primaire, six heures hebdomadaires de néerlandais ; en secondaire, un quart d’heure d’ouverture à la littérature française obligatoire chaque matin. Au programme aussi, un suivi individualisé des élèves (et visite des enseignants au domicile des parents), un coaching scolaire sur mesure et un enseignement hebdomadaire de savoir-être et de vivre ensemble, dont le but est de  » mieux s’intégrer à la collectivité « .

Par Soraya Ghali – Illustrations : Jean Bernard Boulnois pour Le Vif/L’Express

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