Le Web dont vous êtes le héros
Depuis leur apparition, en 1996, les blogs n’ont cessé de se multiplier. Une récente enquête menée par Yahoo ! en dénombrait plus de 53 millions fin 2005. Si la grande majorité (58 %) des blogueurs sont des ados, on assiste, ces derniers temps, à une large diversification du public
Un gros rhume ! Même avec le nez qui coule et les yeux qui larmoient, ce n’est pas un sujet facile à vendre. Pourtant, si la plume est alerte et si l’humour est présent, il est possible d’en faire le sujet principal de son blog. Pourvu que l’on mâtine sa prose de quelques phrases bien senties – du genre » Je suis une usine à morve. Des litres et des litres. Dans des couleurs que Spilliaert m’envierait. Du jaune au vert, toute la palette des éclairages de Seven est dans mon nez et dégouline le long de ma gorge (1) -, on arrive même à en faire un feuilleton qui captivera les foules, disons, une semaine durant. Si, comme Manu Larcenet, on est dessinateur, on ne manquera pas de retenir son auditoire en agrémentant ses billets d’humeur avec des crobards bien sentis (2). C’est particulièrement efficace lorsqu’il s’agit de décrire le public des séances de dédicace dans les festivals de BD. Pour d’autres, comme Christophe Géradon (3), le blog aura été – et est encore – un laboratoire permettant d’aiguiser son style avant de se lancer dans l’aventure du roman. En l’occurrence, L’Année rêvée pour disparaître, dans lequel le jeune écrivain raconte comment Thomas, son héros, décide de s’effacer de la vie. Bien entendu, comme Maude (4) qui vient de terminer ses études, la grande majorité des utilisateurs emploient leur blog pour se raconter. » Je cherchais depuis très longtemps et désespérément un moyen de m’exprimer gratuitement sur l’Internet, dans quelque chose de plus concret qu’un simple chat public. Publier des textes, des images, des états d’âme, c’est, bien entendu, laisser parler son ego, mais c’est également le moyen de parler de sujets variés de manière ouverte et constructive avec des personnes que l’on n’aurait probablement jamais eu la chance de rencontrer. »
Une liberté que certains ont parfois du mal à gérer. Ainsi, plusieurs potaches qui pensaient pouvoir utiliser leur blog pour ridiculiser certains de leur professeurs ont appris à leurs dépens que le Réseau n’était pas un lieu de non-droit. Si certains s’en sont tirés avec quelques jours de renvoi, d’autres ont goûté à l’exclusion définitive. Un citoyen français qui pensait pouvoir contester la politique des édiles communaux de la ville de Puteaux s’est retrouvé devant les tribunaux (5). Pour s’exprimer, le blog, c’est bien. Mais faut-il encore savoir ce que l’on peut y dire sans risquer de se retrouver en litige avec son voisin. Persuadés que leur blog leur appartient, certains oublient que, sur le Net, espace personnel ne signifie pas nécessairement espace privé.
Réagir et débattre
Tann (6) considère la blogosphère comme un véritable lieu d’échange d’informations. » Pour moi, explique-t-il sur son site, blogger c’est transmettre de l’information (ou simplement du contenu), sous quelque forme que ce soit, en direct, à chaud. En y apportant sa critique, son point de vue et parfois même des informations que les médias auraient pu omettre. Mais en bloguant on apporte aussi la possibilité à n’importe quel internaute – blogueur ou non – de réagir, débattre, partager, discuter… Il y a aussi un aspect vivant dans le blog qui traduit toute sa singularité et son intimité. Certes, cela peut paraître » exhibi-toire » comme procédé, mais c’est avant tout le besoin de l’internaute de sortir de son anonymat. Internet est désormais présent dans notre quotidien. Où que l’on soit, on est connecté. Il était donc nécessaire, ou plutôt évident, que l’internaute finisse par prendre la parole « . Il la prend parfois tellement bien qu’il en arrive à concurrencer les journalistes dans la diffusion d’informations. Si ce phénomène est surtout perceptible depuis les événements du 11 septembre 2001 – de nombreux quidams ont raconté leur 11-Septembre en illustrant leur blog avec leurs photos -, il a, quelque part, acquis ses lettres de noblesse lors des dernières élections américaines. Pour la première fois dans une campagne présidentielle, des blogueurs ont, en effet, reçu des accréditations de presse pour suivre les deux candidats. Ce » cinquième pouvoir » a même réussi à faire vaciller certains journalistes vedettes du petit écran. Allumé par plusieurs blogueurs, le journaliste Dan Rather a dû s’excuser publiquement sur CBS pour avoir présenté de faux documents contre George W. Bush…
Soldats américains perdus dans le bourbier irakien ou opposants chinois ont compris que le blog constituait un formidable outil à contourner la censure. Reporters sans frontières leur donne d’ailleurs raison en publiant en ligne un Guide pratique du blogger et du cyberdissident (7). Pour autant, il ne faut jamais perdre de vue que tout peut être inventé en ligne. Ainsi, pendant plusieurs mois, de nombreux Français ont cru que leur président avait succombé à la mode du blog (8). Ce n’est qu’en lisant que Vladimir Poutine » disséquait sa truite comme un biologiste et coupait sa viande comme on pratique une autopsie » qu’ils ont compris que Jacques Chirac n’était pour rien dans cette blague de potaches.
Des blogs, il en existe autant que d’individus qui les animent. Il paraît donc bien utopique de tirer de grandes conclusions sur le pourquoi du comment d’un tel phénomène. Une constante les rassemble pourtant : le blog est une démarche individuelle qui ne prend toute sa valeur qu’avec l’appui de la communauté. La majorité des blogs s’éteignent, en effet, par manque de lecteurs. C’est pourquoi il est indispensable de parler le plus possible des autres pour espérer que ceux-ci parlent un jour de vous. Comme dans la vie, le blog n’existe finalement que par les yeux qui le lisent. Sans quoi, il ressemble à une bouteille perdue dans l’immensité de l’océan.
Vincent Genot
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