Le vieil homme et la mère

Peintre des émotions, John Burnside aime saisir les illusions. L’auteur écossais écorce celles de Liv, une adolescente solitaire, à la recherche de sa propre vérité. Un enchantement onirique et lyrique.

John Burnside ressemble à un bon bougre, bourré d’anecdotes rigolotes, mais lorsqu’il prend la plume, il se transforme en esthète. Un amoureux des mots qui soigne chaque phrase comme s’il s’agissait d’un talisman en dentelle. On peut y voir un prolongement de sa verve poétique, largement récompensée. Né en 1955, en Ecosse, l’auteur grandit en Angleterre et vit aujourd’hui à Berlin. Sa passion littéraire lui permet d’échapper à un milieu prolétaire et un père alcoolique, qui lui inspire un récit autobiographique. Ni thérapie ni pardon, celui-ci sert d’expiation à ses démons. Burnside ne signifie-t-il pas  » côté brûlé  » ? Ses romans, comme La Maison muette ou Scintillation, soufflent d’ailleurs sur les braises identitaires, tout en ajoutant une touche de lumière. L’été des noyés ne fait pas exception.  » Comment appartenir à un lieu, une famille ou un idéal, tels sont les thèmes qui me hantent, avoue l’écrivain. Il faut parfois créer son propre monde, surtout si l’on se sent exclu ou différent.  » Un sentiment que partage allégrement son héroïne Liv, qui dérive au fil de ses illusions et de ses interrogations.

Métamorphose métaphorique

Le roman s’ouvre sur des paysages à la Whistler, ce peintre impressionniste américain, situés dans une île au nord de la Norvège. Un décor idyllique et énigmatique, propice à la rêverie…  » Vitale, la rêverie donne un autre sens à nos vies. Mes livres se déroulent toujours sur la ligne de crête entre le jour et la nuit, la terre et la mer, là où rien n’est défini.  » Liv vit en harmonie avec ce coin particulier, dans lequel sa mère a choisi de s’isoler. Cette artiste adulée s’est coupée du monde pour créer, s’entourant toutefois d’une petite cour d’hommes, fascinés. Parmi eux, Kyrre, un vieux monsieur, réceptacle de contes et de légendes. Il nous renvoie à Burnside,  » gardien d’histoires traditionnelles. Le pouvoir du roman étant de les prolonger, tant elles parlent aux forces profondes de notre psyché.  » Celle de Liv est très attentive au mythe de la huldra, une femme indéfinissable et redoutable, qui attire les jeunes hommes dans ses filets. Une légende d’autant plus vive que l’île connaît de mystérieuses noyades et disparitions. Contemplative, l’héroïne en est le témoin privilégié. Rêve ou réalité, peu importe, puisque cela l’amène à questionner son identité.

 » Alors que sa mère semble si bien maîtriser son existence, Liv redoute de devenir une femme « , estime le romancier. Aussi la huldra est-elle peut-être une version sexualisée, voire diabolisée, d’elle-même. Liv doit trouver son univers singulier.  » Sa métamorphose progressive entre en symbiose avec celle de la nature environnante. Le roman se lit aussi comme un conte écologique, une cause que défend ardemment John Burnside.  » Que fait l’homme de la nature ? Je suis sûr que sa part sauvage réside en nous. Ne séparons pas nature, culture et civilisation. L’humain ne parvient-il pas à supprimer ses pulsions naturelles pour parvenir au vivre-ensemble ? Une île déserte déteint forcément sur ses habitants, ne serait-ce qu’au niveau des couleurs et des lueurs. Plus il y a de lumière, plus il y a d’ombres.  »

Le talent de l’écrivain réside dans sa palette nuancée, explorant les émotions, l’amour, la haine, les doutes et l’imagination. Lui, qui s’est longuement attardé sur la vie intérieure de ses personnages, promet de se tourner vers l’extérieur.  » A savoir la façon dont l’Histoire et la politique nous affectent. Tous mes romans nous encouragent à prendre notre vie en main. J’aimerais que les gens apprennent à s’autogérer, au lieu de laisser les autres gouverner leur existence ou leur pays. Etre libre, c’est comprendre le besoin de liberté des autres. « 

L’été des noyés,par John Burnside, éd. Métailié, 321p.

Kerenn Elkaïm

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