Le véhicule électrique a du mal à convaincre. Il serait trop polluant, trop cher, trop gourmand. Ce qui n’empêche pas les gouvernements régionaux de maintenir leur soutien à cette technologie.
Malgré le fiasco de la dernière législature – le soutien financier des communes dans l’achat de véhicules électriques, aujourd’hui en rade (lire Le Vif/L’Express du 21 juin) -, et le manque cruel d’infrastructures (à peine 20 bornes de recharge), la Région wallonne n’a pas renoncé. Pour preuve, sa dernière déclaration de politique régionale, dans laquelle elle exprime son souhait de favoriser cette technologie, en particulier pour les transports en commun et l’administration. On peut lire la même volonté dans la feuille de route de la Région de Bruxelles-Capitale.
De prime abord, la voiture électrique a tout pour plaire. Selon Jean-Charles Jacquemin, professeur à l’Université de Namur, membre notamment du groupe de recherche interdisciplinaire en développement durable, au moment où l’électricité risque à manquer, elle pourrait même s’improviser source d’énergie pour la maison. C’est le principe du » vehicle-to-home » (V2H). Laissée dans le garage, elle peut restituer à ses habitants du courant en puisant dans la batterie. De plus, avec l’Internet à haut débit, un immeuble de bureaux peut imaginer s’alimenter en électricité en pompant dans les batteries des véhicules stationnés sur son parking. A charge pour le réseau de faire l’opération inverse, plus tard, pour recharger la batterie. » Un véhicule est garé 95 % du temps au domicile du propriétaire ou sur son lieu de travail. Pendant ce temps, la voiture est raccordée au réseau et peut ainsi interagir avec lui en se rechargeant ou en lui fournissant des services. L’énergie stockée dans les batteries constitue une réserve intéressante : souple et délocalisée du réseau « , explique Jean-Charles Jacquemin. Les voitures électriques constitueraient ainsi des » réserves tournantes « .
L’énergie grise
Un rêve ? Pas sûr, car la voiture électrique souffrirait de trop de handicaps pour pouvoir se substituer à terme au moteur thermique. Si l’on se place du seul point de vue des coûts, le retour sur investissement est long. L’économie de ce type de voiture, annoncée comme reine des villes avec laquelle on effectue de courts trajets, reste difficile à chiffrer. A travers ses travaux, Jean-Charles Jacquemin a ainsi comparé les coûts d’un véhicule électrique et de son homologue thermique. Compte tenu du prix d’achat actuel d’un modèle électrique (deux fois plus cher qu’un thermique), des prix de l’électricité (1,50 euro les 150 kilomètres) et du carburant (qui n’augmentent plus depuis deux ans), le bilan est favorable à l’électrique à partir de 20 000 kilomètres par an. Pour rentabiliser l’achat, les fonctionnaires de la Région wallonne et de la Région bruxelloise ont donc intérêt à rouler beaucoup…
Au-delà de son coût, la technologie a du mal à convaincre, entre autres les associations écologiques, pour qui » rouler à l’électrique ne signifie pas rouler propre « . » L’impact d’une voiture ne se limite pas à son utilisation, explique Noé Lecocq, coordinateur Mobilité et Energie à Inter-Environnement Wallonie. La pollution issue de sa fabrication, par exemple, n’est jamais prise en compte. » Rien sur cette » énergie grise » mise en avant par l’association écologiste, tant la voiture électrique jouit d’une aura verte. Or, ce concept d’énergie grise pourrait être estimé grâce à ce que les spécialistes appellent une » analyse de cycle de vie « . Réaliser une telle étude équivaut à autopsier toutes les étapes de la vie d’une voiture. » On aboutit à un bilan sur la base de quatre facteurs : fabrication, production du » carburant « , fonctionnement et fin de vie « , poursuit Noé Lecocq.
Ni gaz ni pollution sonore
A sa sortie d’usine, le bilan CO2 d’une voiture électrique n’est, en effet, pas positif : son impact écologique est nettement supérieur à celui de la fabrication d’un véhicule thermique. En cause : l’extraction des métaux qui composent la batterie. Son bilan carbone dépend aussi de la manière dont on fabrique l’électricité : le fameux mix énergétique. En Belgique, l’électricité est générée majoritairement par les centrales nucléaires, et aussi par les centrales au gaz, les sources renouvelables, et dans une moindre mesure, par le pétrole et les centrales à charbon. Dans les faits, il est difficile d’avoir une vision claire du mix énergétique qui est utilisé par les voitures électriques en Belgique. En d’autres termes (et c’est une image !), en se basant sur la provenance de notre mix énergétique, pour faire rouler une telle voiture, on pourrait recourir à 50 % au » nucléaire « , 33 % au » gaz « , 7 % au charbon et au pétrole et… 10 % à l’énergie renouvelable, puisque l’on ignore la source énergétique utilisée pour recharger son véhicule. Pis : si vous rechargez votre véhicule avec de l’électricité qui provient d’une centrale au gaz ou à charbon, il perd tout son intérêt. L’équation écologique se renverse même au profit du véhicule diesel ou essence. En revanche, la voiture électrique a un net avantage en matière de pollution locale. Elle ne rejette aucun gaz pendant son utilisation, ni ne produit de pollution sonore. Enfin, la seconde vie des batteries au lithium soulève également des questions. Bien que celles-ci puissent être recyclées, ce n’est pas le cas en raison du coût et de la complexité de l’opération.
Faut-il, dès lors, réserver le véhicule électrique aux transports en commun, comme les bus et les taxis ? Sans aucun doute, selon les Régions, qui auraient posé leur choix. Mais, là encore, d’aucuns émettent des réserves. Selon l’analyse de Michel Wautelet, professeur à l’UMons, » il semble qu’aujourd’hui la durée de vie des batteries soit insuffisante pour un usage intensif requis dans les transports « . La viabilité limitée à 4 ou 5 ans dépend du mode d’utilisation du véhicule. En tout cas, dans le cas des transports en commun, il faudrait régulièrement investir dans de nouvelles batteries. Or, une telle mesure coûte cher, et le surcoût à l’achat risque donc de ne jamais être compensé…
Par Soraya Ghali
La technologie a du mal à convaincre, entre autres les associations écologiques, pour qui » rouler à l’électrique ne signifie pas rouler propre »