Un voilier monumental a pris l’ancre au coeur du Bois de Boulogne, à Paris. Son créateur : Frank Gehry. Sa vocation : devenir le nouveau lieu d’échange entre l’art contemporain et le grand public. Bienvenue à Fondation Louis Vuitton !
Le rêve est devenu réalité pour Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH qui, en 2006, a initié la Fondation Louis Vuitton, initiative culturelle privée, qui » a pour ambition de promouvoir et soutenir la création artistique contemporaine auprès d’un large public français et international « . De loin, » l’objet » architectural impose tout à la fois son étrangeté et sa monumentalité, sa blancheur et ses translucidités. Extérieurement, ce sont moins des murs qu’une suite de voiles de verre que l’on aperçoit. Tout en concavités, ils s’élancent vers les nuages tout en se refermant sur le coeur du bâtiment. Encore quelques mètres. Se révèle alors une forêt de structures porteuses dont les obliques retiennent comme par miracle ces grandes verrières (3 600 panneaux moulés) tout en s’enfonçant dans les vides et les sous-sols en des espaces fragmentés.
Le ton est donné. Fidèle à elle-même, l’architecture de l’Américano-canadien Frank Gehry (né en 1929), à qui on doit aussi le célèbre musée Guggenheim de Bilbao, ne se livre que par surprises, morceaux par morceaux au fil de la marche. Les murs blancs, en béton ductal (NDLR : béton fibré malléable et moulé) se courbent et se plissent entre ces enveloppes et ces vides. Entrons. Tout est blanc, haut, majestueux et inattendu. A la manière d’un patio, l’espace s’ouvre vers des échappées, couloirs ou vues vers l’extérieur. A ce niveau d’accueil se trouvent la librairie, tapie et toute en largeur, le restaurant et ses larges baies et un auditorium qu’on rejoint, comme le vestiaire, en contournant le grand vide central. A chaque endroit où l’oeil se pose, le raffinement est de mise. Même les gaines techniques qui traversent les espaces sont recouvertes d’un tissu blanc alors que de gros projecteurs noirs évoquent le tournage d’une scène de film.
Cinéma, cinéma
Le scénario Gehry se poursuit sur plusieurs niveaux selon un parcours libre de longs espaces-couloirs (on parle entre spécialistes d’espaces interstitiels) aussi divers en courbures qu’en élévations. Ces volumes étirés, courbes à leur tour, inattendus toujours, ménagent des vues toutes aussi surprenantes sur le bois de Boulogne, le Jardin d’acclimatation ou encore les horizons parisiens alors que, sous certaines lumières naturelles, les voiles de verre arrimées aux structures de bois lamellé ou de poutrelles d’acier peint, font office de miroirs réfléchissants. A chaque niveau ont été distribuées des salles d’exposition aussi sobres que généreuses dont la programmation a été confiée à l’ancienne conservatrice du musée d’art moderne de la Ville de Paris, Suzanne Pagé. Y sont présentés des ensembles monographiques (Gerhard Richter) ou des pièces uniques (Christian Boltansky, Thomas Schütte, Bertrand Lavier…) et des oeuvres de commande en lien direct avec l’aventure de cette construction (le film de Sarah Morris, l’installation de Taryn Simon…).
Enfin, il y a les terrasses. On y accède par divers détours et escaliers. Elles entourent le bâtiment et nous font presque toucher du doigt l’incroyable imbroglio de directions et de vues, de transparences et de reflets dont l’architecte a fait ici une de ses priorités en associant son sens de l’esthétique sculpturale et une technologie expérimentale de pointe. Sur l’une d’elles, Frank Gehry n’a pas hésité, évoquant la mémoire des serres du Jardin d’acclimatation, à planter quelques fougères arborescentes. On le devine, pas question ici ni d’économie, ni d’écologie mais d’émerveillement, de faste et presque d’une sacralité évocatrice du XVIIe siècle maniériste du Bernin.
Redescendons. Depuis le hall d’accueil, on peut rejoindre les sous-sols. Là où s’ancre l’auditorium riche d’un ensemble d’oeuvres spécialement imaginées par le coloriste américain Ellsworth Kelly. Ou encore, cerise sur le gâteau, le cheminement qui longe le projet kaléidoscopique d’Olafur Eliasson (sorte de palais des glaces). Sa succession de stèles nous mène au dehors vers un spectacle de vaguelettes dévalant un large escalier de pierre pharaonique au-delà duquel a été aménagé un vaste plan d’eau, lisse et parfait miroir du ciel parisien et de l’architecture de la Fondation Louis Vuitton. Au-delà, demeure un vieux kiosque et des sentiers de promenade, des arbres et des jeux d’enfant.
Deux questions
Gehry, sculpteur ou architecte ?
On le dit avant tout sculpteur davantage préoccupé par la forme que par la fonction.
Faux. Parce qu’en parcourant l’exposition qui lui est consacrée à la fois à la Fondation Louis Vuitton (avec l’ensemble des maquettes et des dessins) et au Centre Pompidou (une rétrospective), force est de constater un va-et-vient constant entre les dessins libres et les maquettes de travail. Au début, ces dernières envisagent d’abord le rapport au site et l’articulation des diverses fonctions incarnée dans des » cubes » de différentes tailles. Peu à peu, la forme sculpturale apparaît et avec elle, les courbures, les obliques et les voilures. Ces maquettes sont alors soumises à différents tests confiés à des logiciels informatiques (certains venus en droite ligne des laboratoires de l’aéronautique).
Vrai. Parce que, contrairement à des architectes ingénieurs comme Norman Foster ou Renzo Piano, ce n’est jamais la technique qui génère la forme mais la technique qui se met au service de la forme. Et donc de l’émotion. On voit ainsi comment Frank Gehry corrige certains détails des maquettes pour le seul plaisir de l’oeil. Le choix des épaisseurs de certains piliers par exemple n’obéissent pas au calcul des ingénieurs mais au désir du plasticien qui, en les rendant plus massifs, accentue le côté sculptural des structures.
Gehry, un urbaniste préoccupé par le » rapport au lieu » ?
Faux. Il dépose un objet architectural monumental sur une surface plane, créant ainsi une rupture d’échelle manifeste par rapport au site.
Vrai. Il s’inspire de l’historique du lieu, le Jardin d’acclimatation, ses serres et ses tracés qu’il réactive dans les parcours. Par le verre (à la fois miroir et transparence en fonction de la lumière) ainsi que par les trouées ménagées, il ouvre sur la nature environnante et l’invite au coeur du bâtiment.
Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma Gandhi, Bois de Boulogne, 75116 Paris. Ouverture : le 27 octobre.
Lire aussi Le Vif Weekend, en pages 52 à 55.
Par Guy Gilsoul