Le triptyque amoureux de Monsieur Hou

Louis Danvers Journaliste cinéma

Hous Hsiao Hsien signe avec Three Times un hymne à l’amour decliné en trois époques et joué par le même duo d’acteurs. Sublime et bouleversant

Heureux cinéma taïwanais, qui peut aujourd’hui se targuer de posséder sur son sol deux des tout meilleurs réalisateurs mondiaux (Tsai Ming-liang et Hou Hsiao Hsien) et, aux Etats-Unis, un  » émigré  » dont les films fécondent de manière marquante le cinéma américain (Ang Lee) ! A l’heure où La Saveur de la pastèque du premier cité affiche ses audaces poétiques sur nos écrans, et peu avant que le troisième nous captive avec son Brokeback Mountain aux couleurs de passion charnelle entre deux cow-boys, Hou Hsiao Hsien nous présente une très belle et bouleversante déclinaison sur le thème de l’amour trois fois incarné à autant d’époques différentes, mais avec les mêmes acteurs.

Three Times est un triptyque sensuel et retenu, sobre et lyrique à la fois, que jouent idéalement Shu Qi et Chang Chen. Dans le premier épisode, situé en 1966, un jeune homme en partance pour le service militaire rencontre dans une salle de billard une jeune femme qui y est employée, et dont il cherchera plus tard à retrouver la trace. Dans le deuxième volet du film, qui nous ramène en 1911, désirs muets et idéaux révolutionnaires se côtoient intimement dans les rapports d’un grand bourgeois idéaliste et d’une courtisane. Et, dans l’épisode final, situé de nos jours à Taipei, une chanteuse malade et un employé de magasin de photo échappent à leurs partenaires respectifs dans une confusion pas très confucéenne…

Un souvenir personnel est à l’origine de Three Times, un film qui entendait au départ réunir trois réalisateurs signant chacun un  » sketch « , et que Hou Hsiao Hsien résolut de faire seul lorsque le projet ne put pas être financé dans la forme initialement prévue.  » J’avais 14 ou 15 ans et, en me promenant, raconte le cinéaste, j’ai vu par la porte d’une salle de billard deux joueurs, de jeunes hommes très virils, et une très jolie jeune femme qui notait sur un tableau les points de la partie. A la radio, on pouvait entendre la chanson Smoke Gets in Your Eyes. Ce moment s’est gravé dans ma mémoire et est revenu me hanter au point de me donner l’envie d’en faire le point de départ d’un film.  » Amour, mémoire, musique vont jouer un rôle capital dans le déroulement patient, nuancé, poétique d’un film  » habité par ces souvenirs qui furent nos meilleurs moments, non pas parce qu’on ne peut les oublier ni parce qu’ils sont définitivement perdus, mais parce qu’ils existent seulement dans nos mémoires…  »

Les meilleurs films de Monsieur Hou, d’Un été chez grand-père (1984) à Millenium Mambo (2001), en passant par Le Temps de vivre, le temps de mourir (1985), La Cité des douleurs (1989), Le Maître de marionnettes (1993), Good Men, Good Women (1995) et Les Fleurs de Shanghai (1998), ont toujours su entremêler sphères intime et sociale, les thèmes familiaux ou amoureux s’inscrivant volontiers dans l’histoire chinoise et taïwanaise. Si certains points historico-politiques en arrivent à paraître obscurs au spectateur occidental, celui-ci n’en ressent pas moins profondément les émotions et les sentiments inscrits dans chaque film, preuve aux yeux de leur auteur que  » la beauté, au cinéma comme dans les arts plastiques ou la musique, est un langage universel, qui touche par-delà les différences, les barrières de langue ou de culture « .

Three Times atteint de ce point de vue des sommets de tranquille intensité, en nous faisant successivement partager la quête d’un jeune appelé sillonnant le pays pour retrouver celle dont il est tombé amoureux, les élans interrompus d’une passion bridée par l’engagement politique, et la confusion, enfin, d’un monde moderne où la multiplication des moyens de communiquer rend paradoxalement le contact amoureux plus rare et difficile.

Traduction du mandarin : Chuti.

Louis Danvers

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