Le Tintin interdit

Tintin et le lotus rose ne pourra pas être réimprimé. Antonio Altarriba, l’auteur de cet ouvrage qui imagine ce que devient Tintin après la mort d’Hergé, fustige la société Moulinsart,  » gardienne de l’orthodoxie tintinophile « .

C’est un livre curieux, objet d’une polémique dont la presse du monde entier s’est fait l’écho, mais que personne n’a lu. Un livre imprimé à 1000 exemplaires, et qui aurait dû rester confidentiel. Sauf que… Sauf que le livre s’intitule Tintin y el loto rosa (Tintin et le lotus rose, en espagnol). Et qu’un auteur s’expose aujourd’hui à bien plus de désagréments en écrivant sur Tintin que sur n’importe quel autre sujet. La société Moulinsart, qui gère l’héritage d’Hergé, a illico entamé des poursuites contre l’éditeur, dès la publication en Espagne de Tintin et le lotus rose, en décembre 2007. Après des mois de guérilla juridique, le verdict est tombé : le livre n’a pas été retiré de la vente, mais il ne pourra faire l’objet d’aucune réimpression. Résultat : il est aujourd’hui épuisé. On imagine la frustration de son auteur, Antonio Altarriba, professeur de littérature française à l’Université du Pays basque, romancier et scénariste de bandes dessinées. Singulière coïncidence : à Vitoria, la ville où il réside, sa maison se situe… rue Angoulême.

Le Vif/L’Express : Tintin et le lotus rose est-il un détournement pornographique de l’£uvre d’Hergé ?

Antonio Altarriba : Pas du tout. Il suffit de feuilleter trente secondes le livre pour s’en convaincre. Il ne contient même pas une seule image de sexe !

De quoi s’agit-il, alors ?

C’est un livre-objet, destiné aux tintinophiles, et publié l’an passé en hommage au centenaire d’Hergé. Il contient cinq essais qui analysent l’£uvre du dessinateur. J’ai aussi écrit un conte dont je situe l’intrigue en 1995, douze ans après la mort d’Hergé. Suite au décès de leur créateur, Tintin, Haddock, Tournesol ont dû intégrer le monde réel. Ils se sont brusquement retrouvés dans un univers matérialiste qui n’obéit pas aux valeurs de la fiction. Dans mon récit, Tintin suit une psychanalyse : il souffre du syndrome de Prométhée, c’est-à-dire du héros déchu. Il a perdu son innocence. D’ailleurs, il essaye à tout prix d’aplatir sa mèche de cheveux, pour en finir avec cette houppette ridicule. Obligé de trouver un travail, il revient à son premier métier : journaliste. Malheureusement pour lui, l’heure n’est plus aux grands reportages, et le voilà forcé de travailler dans la presse people. Il aura ainsi une relation sexuelle avec une star de cinéma. Mais, contrairement à certaines parodies de Tintin qui l’ont dépeint comme assoiffé de sexe, je l’ai plutôt imaginé comme un amant timide. Il est novice en la matière.

En imaginant la vie sexuelle de Tintin, vous vouliez provoquer ?

Je vous assure que non ! Je pensais sincèrement qu’il était permis de réinterpréter l’£uvre d’Hergé, de façon libre, certes, mais respectueuse des personnages. C’est un jeu qui m’amuse beaucoup. Vous savez que Félicien Rops est l’auteur de deux séries de gravures : Les Diaboliques et Les Sataniques. Lors d’un précédent exercice littéraire, j’avais imaginé qu’il existait une troisième série, Les Démoniaques. Eh bien, les responsables du musée Rops, à Namur, m’ont eux-mêmes contacté, car mon travail les intéressait. On voit bien toute la différence avec Moulinsart…

Admettez que Moulinsart ne peut laisser faire n’importe quoi avec l’£uvre d’Hergé ?

Je comprends que les propriétaires de l’£uvre d’Hergé combattent la piraterie. Mais, en réalité, ils ne veulent pas simplement exercer un contrôle commercial sur l’£uvre du dessinateur, mais un véritable contrôle idéologique. Ils se considèrent comme les gardiens de l’orthodoxie tintinophile ! Or, chacun a le droit d’avoir sa propre lecture, sa propre interprétation d’un livre. La force des grands classiques réside d’ailleurs là : ce sont des £uvres ouvertes, pouvant donner lieu à une multitude d’interprétations.

Paru aux Edicions de Ponent, Tintin y el loto rosa est épuisé. Toujours disponible, par contre : Amores locas, bande dessinée érotique d’Antonio Altarriba et Laura Perez Vernetti-Blina (www.edicionsdeponent.com).

Entretien : François Brabant

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