» Le tax-shift fédéral aura un impact négatif pour les Régions ! « 

Le secrétaire général de la FGTB wallonne tire la sonnette d’alarme : avec la nouvelle loi de financement, les Régions paieraient un lourd tribut budgétaire à une baisse des charges sur le travail.  » La Wallonie et Bruxelles doivent être associées à la négociation fiscale « , dit-il.

Une  » bonne nouvelle  » pour la Wallonie et une  » bourde monumentale  » de la part du gouvernement fédéral : voilà, schématiquement, comment le ministre-président Paul Magnette (PS) a présenté la révision des chiffres concernant les recettes fiscales redistribuées aux Régions, annoncée ce 8 juillet par le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt. La baisse de revenus pour la Flandre, la Wallonie et Bruxelles ne s’élève finalement qu’à 157 millions d’euros, au lieu des 750 millions annoncés au printemps.  » Il ne s’agit toutefois là que d’une analyse au premier degré « , relève Thierry Bodson, secrétaire général de la FGTB wallonne. Car cet incident rappelle surtout les effets pervers potentiels de la nouvelle loi de financement et l’absolue nécessité d’une concertation plus étroite entre niveaux de pouvoir. La prochaine démonstration arrive cet été déjà, avec la discussion sur un tax-shift, ce glissement fiscal attendu au fédéral. Qui pourrait coûter cher à la Wallonie.

Le Vif/L’Express : La révision budgétaire annoncée au début de l’été par le fédéral était quand même une bonne nouvelle pour la Wallonie, non ?

Thierry Bodson : Oui, bien sûr, c’est une bonne nouvelle pour 2015, ne boudons pas notre plaisir. Mais il convient de la relativiser car le gouvernement wallon avait anticipé cette annonce, tant il était persuadé d’avoir raison dans ce litige. Il n’avait repris à son compte que 100 millions d’efforts supplémentaires dans le cadre du contrôle budgétaire sur les 250 millions exigés par le fédéral après ses premiers calculs. Il apparaît désormais que la Wallonie ne devra combler qu’un manque à gagner de 50 millions. Le  » bonus « , si l’on peut dire, est donc de 50 millions.

Cet imbroglio était-il le résultat d’une forme d’amateurisme du gouvernement fédéral ?

De l’amateurisme programmé, à mon sens. Politiquement, Charles Michel voulait sans doute frapper un grand coup pour se positionner en homme responsable face à des Régions wallonne et bruxelloise qualifiées d' » irresponsables « . Si j’avais été lui, je l’aurais davantage joué profil bas. Car on savait que de nouvelles évaluations allaient arriver et que les premiers chiffres transmis par le fédéral étaient sous-évalués : ils étaient basés sur les premiers avertissements-extraits de rôle enregistrés cette année, majoritairement ceux composés par l’administration de façon automatique pour les pensionnés notamment, et les revenus les plus élevés en étaient exclus. Le Premier ministre a finalement reçu en retour la monnaie de sa pièce. Quand on joue le matamore, il y a souvent un retour de flamme.

Cet incident en dit long sur l’évolution de notre fédéralisme, non ?

Ce conflit ponctuel illustre, à nouveau, la nécessité absolue d’une concertation renforcée si l’on veut arriver à un fédéralisme adulte et responsable. Sur le plan budgétaire, le fédéral et les Régions doivent absolument mettre en place une méthode de calcul plus scientifique pour l’avenir et convenir d’un lieu où le dialogue est réel, une sorte de comité de concertation permanent. Il faut éviter qu’un niveau de pouvoir impose sa méthode et que l’on ne se retrouve in fine dans un débat absurde consistant à savoir qui porte le bonnet d’âne. Voilà aussi pourquoi la Wallonie doit absolument exiger d’être associée aux discussions de ces semaines-ci sur la réforme fiscale au niveau fédéral.

Pourquoi cette exigence ? Il s’agit là d’une compétence clairement fédérale !

Toute décision fédérale affectant les mécanismes de la loi de financement est susceptible d’avoir un impact plus ou moins important sur le budget des Régions. Si demain, on diminuait l’impôt sur le travail, ce qui est fortement souhaitable, la compensation se ferait par une augmentation de la TVA, que l’on désapprouve absolument, ou par une augmentation de l’impôt sur les revenus mobiliers, que l’on désire à la FGTB. Mais dans un cas comme dans l’autre, l’assiette fiscale qui sert de base à la dotation régionale serait revue à la baisse, avec une perte de revenus considérable pour les Régions dans les années à venir. Il apparaît aujourd’hui que la montagne fiscale fédérale pourrait accoucher d’une souris en raison des tensions au sein de la majorité. Mais si cette réforme fiscale était ambitieuse, l’impact potentiel serait tout autre que ce que l’on a vu jusqu’ici.

C’est-à-dire ?

A titre d’exemple, le gouvernement se félicite d’avoir augmenté la déductibilité fiscale des frais forfaitaires en 2015, ce qui a permis, c’est vrai, une revalorisation de quelque 20 euros pour les salaires poche des travailleurs en Belgique. Ce n’est pas grand-chose et pourtant, cette seule décision aura comme conséquence un manque à gagner de 70 millions d’euros pour la seule Wallonie dès 2016. Il serait impensable de ne pas associer les Régions à cette discussion fiscale stratégique, autrement plus importante.

Le gouvernement wallon est-il suffisamment conscient de cet enjeu ?

Techniquement, tant le ministre-président Paul Magnette que le ministre du Budget Christophe Lacroix en sont effectivement conscients. Mais ce qu’il manque au niveau wallon, c’est la capacité de construire la revendication et de l’exiger. Et de s’y préparer de manière plus professionnelle. On pourrait notamment donner, au niveau régional, une place plus grande au travail du Conseil supérieur des finances. Il ne sert aujourd’hui qu’à donner des avis dans des cas bien précis, la taxe kilométrique par exemple : on pourrait facilement élargir son rôle. La Wallonie doit être d’autant plus vindicative que, dans la configuration politique actuelle, avec une symétrie des majorités du côté flamand, on ne m’enlèvera pas l’idée que les informations circulent plus facilement au nord du pays. N-VA, CD&V et Open VLD sont présents à tous les niveaux de pouvoir et peuvent se parler à tout moment, même le samedi…

Cette nouvelle loi de financement : une  » usine à gaz  » qui laisse planer un flou budgétaire permanent pour les Régions ?

C’est une mécanique lourde et complexe, oui, avec des variables importantes. Mais ce sera un peu plus facile de faire des projections précises en 2017, quand nous aurons la pleine connaissance de son fonctionnement. De toute façon, en guise d’alternative, il n’y a pas trente-six solutions. Soit on modifie la loi de financement, mais vous avez vu à quel point une telle réforme de l’Etat prend du temps et ouvre d’autres débats. Soit on décide d’une globalisation des revenus au niveau fiscal, c’est-à-dire l’intégration de tous les revenus dans une seule déclaration fiscale, mais cette formule que nous appelons de nos voeux me semble être un monstre du Loch Ness dans la politique belge. En l’état, améliorer la concertation me semble la seule formule possible.

Entretien : Olivier Mouton

 » Ce qu’il manque au niveau wallon, c’est la capacité de construire la revendication et de l’exiger  »

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