Les gouvernements Michel Ier et Magnette Ier ouvrent une ère pleine de ruptures et d’incertitudes. Secrètement, chaque parti espère profiter de l’instabilité redoutée pour tirer les marrons du feu… en maintenant son président à sa tête. Le Vif/L’Express vous explique comment.
Un chaos inquiétant a accompagné les premiers pas du gouvernement Charles Michel Ier, cette suédoise (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) qui entend faire souffler un vent nouveau sur la Belgique. L’accord de gouvernement a tout d’abord fuité, sans contrôle du Premier ministre. Le MR a ensuite grincé des dents face à un casting ministériel qui lui est défavorable. Mais surtout, la N-VA a multiplié les provocations, dénoncées bruyamment par l’opposition francophone : le » V » de trois ministres lors de la prestation de serment au Palais, les ambiguïtés coupables du vice-Premier Jan Jambon au sujet de la collaboration, la participation des ministres Theo Francken et Ben Weyts à l’anniversaire du fondateur de la milice VMO… C’est peu dire que la nouvelle équipe n’a pas d’emblée rassuré une importante frange de la population francophone, qui se méfiait déjà de l’arrivée au pouvoir fédéral des nationalistes flamands. Le gros chahut de l’opposition à la Chambre lors de la déclaration gouvernementale de Michel Ier est un symbole : ce sera une législature de confrontations.
Une gigantesque partie de Stratego, ce jeu de stratégie militaire ultrapopulaire créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est ouverte le 7 octobre. Depuis, chacun place ses pions pour tenter de tirer les marrons du feu lors de cette législature historique, dont nul n’ose jurer qu’elle ira à son terme, en 2019. Tour d’horizon dans les coulisses pour comprendre le nouvel agenda des partis qui, pour la plupart, se dotent d’un nouveau président : le même…
MR : LE DÉMINEUR
A peine désigné Premier ministre, Charles Michel a essuyé une pluie de commentaires suspicieux venus de l’opposition francophone. » Michel Ier est le musée des horreurs dont le conservateur en chef sera Bart De Wever « , clame le ministre-président francophone Rudy Demotte (PS). » Charles Michel ne sera pas le Premier ministre de tous les Belges « , tonne le Premier ministre sortant Elio Di Rupo, en référence à l’abandon de la traditionnelle neutralité linguistique de l’hôte du 16, rue de la Loi. » Charles Michel confond courage et inconscience « , tempête Benoît Lutgen, président du CDH. » C’est un gouvernement flamand, davantage qu’un gouvernement belge « , ironise Olivier Maingain, président du FDF.
Lors de ses premières prises de parole, Charles Michel a balayé tout cela d’un revers de la main : » Le clapotis sur l’eau ne m’intéresse pas. » Avec un double motif en guise de slogan : » Nous avons pris nos responsabilités pour éviter le chaos » et » Je veux être un Premier ministre rassembleur. » » Etant le seul parti francophone au sein de la majorité fédérale, le MR est en position de force, insiste Corentin de Salle, membre du Centre d’études Jean Gol et conseiller de Charles Michel. C’est cela qui explique l’agressivité outrancière dans le camp d’en face. Laissons-les se décrédibiliser tout seuls… Après vingt-cinq années au pouvoir, les socialistes doivent, en outre, réapprendre ce qu’est être dans l’opposition. Il y a une longue tradition de l’insulte chez eux : Philippe Moureaux, Claude Eerdekens, André Flahaut, pour ne citer qu’eux, en sont coutumiers. Mais à un moment donné, le PS finira par comprendre qu’il doit être plus constructif. »
A l’instar du slogan de… François Mitterrand au début des années 1980, le MR entend se la jouer » force tranquille « , capitalisant aussi longtemps que possible sur cette rupture » historique « . Il y a au sein du parti un sentiment de revanche contre un » establishment pro-PS » fondamentalement conservateur, qui sera contraint de s’adapter à la nouvelle donne. » Le MR est la seule alternative valable au PS « , confirme Corentin de Salle. En arrivant à la tête du pays, face aux majorités emmenées par les socialistes en Wallonie et à Bruxelles, le MR veut bipolariser la vie politique et fédérer tout le centre-droit francophone, une frange estimée à quelque 30 % de l’électorat, avec une marge de progression importante. Objectif ? Rester au pouvoir fédéral au-delà de cette législature – avec un accord de principe déjà conclu en ce sens ? – et devenir suffisamment fort pour renverser le PS en Wallonie.
Au jeu de Stratego, le MR endossera pourtant au sein de la suédoise le rôle du » démineur « , celui qui doit intervenir pour éliminer les bombes. » Charles Michel sera l’arbitre et le conciliateur « , résume Willy Borsus, ministre des PME, des Classes moyennes et de l’Agriculture, très proche du Premier ministre, dont il était le vice-président. » Pour la première fois, nous sommes la voie médiane d’une coalition, ce qui est plutôt confortable, prolonge Corentin de Salle. Quant à la N-VA, elle a besoin de nous pour réaliser son rêve d’être au gouvernement sans les socialistes. Lors des négociations, les seules matières sur lesquelles on a dû les calmer, c’était l’Intérieur et l’Immigration. A aucun moment, il n’y a eu des menaces institutionnelles. »
Le Premier ministre ne sera toutefois pas dans un fauteuil en interne. Dans le camp de Didier Reynders, certes » heureux » d’être vice-Premier mais dont la rivalité ancestrale avec les Michel ne s’est pas éteinte du jour au lendemain, on persifle déjà. » Les premiers jours auraient pu être plus clairs et transparents, dit un poids lourd du parti. J’ai envie que ce gouvernement fonctionne, oui. On ne pourra être en forme qu’à travers les réformes. Charles Michel sera en première ligne pour faire face aux difficultés, c’est lui qui sera exposé. Il l’a voulu, il l’a eu. Si cela se passe bien, on partagera ses succès. Sinon… » Magnanime, une autre source pro-Reynders affirme qu’il est » un peu trop tôt pour juger, il faut laisser le temps à Charles Michel de composer ses équipes, mais il devra vite prendre ses responsabilités « . Didier Reynders, lui, » continuera à faire des Affaires étrangères sa priorité dans son emploi du temps « . La semaine prochaine, il s’envolera déjà pour le Pérou et la Colombie. Loin des » provocations » de la N-VA à l’égard des francophones.
» Ces tensions entre Michel et Reynders sont graves, dénonce-t-on dans le camp socialiste. Nous sommes convaincus que les deux hommes ne s’échangeront pas une note, que Didier Reynders n’en touchera pas une pour aider son Premier ministre. Or, tout le know-how se trouve chez lui. Nous, sans une collaboration étroite entre Laurette Onkelinx et Elio Di Rupo lors de la législature précédente, nous n’y serions jamais arrivés… »
Pour tenter de verrouiller le tout, le MR a quasiment désigné un ticket présidentiel à sa tête : Olivier Chastel, ministre sortant du Budget et » michelien « , sera secondé par Jean-Luc Crucke, député wallon et » reyndersien « . » Là aussi, on a trouvé l’équilibre, sourit le second. Mais cela devrait fonctionner : je connais Olivier depuis vingt ans, nous ne nous sommes jamais disputés, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. » Pour rester la force tranquille qu’il entend être, le MR aura bien besoin de démineurs en interne.
PS : LA BOMBE
Au PS, principal parti d’opposition francophone au fédéral, c’est l’inquiétude qui prédomine. » Ils vont détricoter tout ce pourquoi Elio s’est battu pendant deux ans et demi, grince-t-on au boulevard de l’Empereur. Nous sommes convaincus que nous pourrons progresser lors des prochaines élections, en profitant des errements du MR au pouvoir. Mais franchement, pour l’instant, ce n’est pas le plus important : nous craignons qu’avec la N-VA au pouvoir, on modifie le système belge de manière telle qu’il n’y ait plus de retour en arrière possible. Ce qui se passe va au-delà de l’imaginable… » Dans le jeu de Stratego, le PS promet de parsemer de bombes le parcours de Michel Ier. Pour protéger le modèle social belge.
Elio Di Rupo mènera le combat du haut de ses 63 ans. Pour verrouiller toute contestation en interne, il a précipité des élections présidentielles, les 21 et 22 novembre prochain. » Je me sens prêt à mener le combat jusqu’à 67 ans et au-delà « , ironise-t-il, en référence à l’allongement de l’âge de départ à la pension annoncé par la suédoise. De facto, il entrera dans l’Histoire en battant tous les records de longévité à la présidence de son parti, loin devant Guy Spitaels, André Cools ou Philippe Busquin.
Le Premier ministre sortant ne regrette rien de ses attaques ad hominem lancées contre Charles Michel le jour même de sa nomination – » il se confirme qu’il est bien la marionnette de la N-VA, non ? « , déclare-t-il au Vif/L’Express – mais il sait qu’il devra vite adopter un autre registre. » Nous serons une force de contestation, mais aussi et surtout de propositions, insiste-t-il. Et nous ne tomberons pas dans le piège de la N-VA, qui veut nous forcer à devenir nous-mêmes demandeurs d’une nouvelle réforme de l’Etat. Non : j’ai fait passer à tout le monde un mot d’ordre absolu, selon lequel l’opposition au fédéral s’exercera depuis le Parlement fédéral, pas depuis les Régions. » Autrement dit : pas question de bloquer le système belge en multipliant les procédures en conflit d’intérêt ou l’usage de la sonnette d’alarme.
» Notre force, indique-t-on au groupe PS de la Chambre, c’est l’Institut Emile Vandervelde. Lors des négociations de 2010, la N-VA était jalouse de notre centre d’études et a d’ailleurs appris de ses erreurs depuis. Au MR, ils ne sont nulle part. Nous serons capables d’analyser très rapidement les impacts à court, moyen et long termes d’une mesure pour les intérêts francophones. C’est par le sérieux que nous embêterons le plus le MR ! Descendre dans la rue, c’est une chose, mais nous ne jetterons pas des poubelles comme les éboueurs l’ont fait devant le cabinet de Fadila Laanan (NDLR : secrétaire d’Etat bruxelloise à la Propreté, PS, critiquée pour avoir modifié les modalités de la collecte des déchets dans la capitale). »
Cela dit, le PS… battra aussi le pavé. Le 29 septembre dernier, un nouveau départ a été donné à l’Action commune, qui réunit les socialistes, la FGTB et la mutualité Solidaris, pour coordonner leurs actions. Ce faisant, le parti espère user ce gouvernement » de l’ultra-droite « , tout en redynamisant des liens qui s’étaient estompés lorsqu’Elio Di Rupo occupait le 16. Une stratégie à double effet : le PS doit aussi se prémunir contre toute fronde à son encontre, lui qui dirige des gouvernements wallon, bruxellois et francophone qui, l’un dans l’autre, réaliseront pas loin d’un milliard d’économies.
Face à l’instabilité chronique qui pourrait gangrener le gouvernement Michel Ier, le PS dispose encore d’une autre corde à son arc : l’espoir de revenir au pouvoir si l’un ou l’autre parti de la coalition, MR ou CD&V en tête, décidait de tirer la prise avant terme. » Nous sommes prêts, si jamais, nous n’allons certainement pas abandonner le bastion de la sécurité sociale ! » annonce Elio Di Rupo au Vif/ L’Express.
N-VA : LE MARÉCHAL
S’il y a bien une inconnue pour la suédoise et son chef d’équipe, c’est l’attitude qu’adoptera la N-VA durant cette législature. Charles Michel a veillé à cadenasser les principaux risques – il n’y aura pas d’agenda institutionnel, la place de la concertation sociale sera préservée, tout cela est écrit… -, mais dans l’opposition francophone, on le qualifie de » naïf « . » Nous avons longuement étudié la N-VA lorsque nous discutions avec elle en 2010, nous sommes absolument sûrs que son objectif reste l’indépendance de la Flandre, clame-t-on, ulcérés, au PS. Or, dans la répartition des portefeuilles ministériels, elle dispose de tous les leviers de l’Etat : Finances, Police, Fonction publique, Défense… Elle a maintenant une législature pour préparer la scission et la prochaine étape institutionnelle, en 2019. »
Au jeu de Stratego, la N-VA est l’in-contestable maréchal, le premier parti du pays qui domine logiquement la coalition, tout en ayant renoncé au poste de Premier ministre, symbole belge trop marqué. Bart De Wever affirme qu’il n’a pas atteint le 16… parce que le MR ne voyait pas cela d’un bon oeil, une version confirmée par Charles Michel. Le leader nationaliste pavoise, assure qu’il s’agit de la coalition » dont il rêvait » et balise déjà la suite. Le gouvernement tiendra-t-il jusqu’en 2019 ? » Ce ne sera pas simple, mais je suis quand même optimiste, disait-il le week-end dernier au Tijd. Ce qui nous aide, c’est qu’il n’y a pas d’alternative. Le premier qui appelle Elio et lui dit « reviens » ferait mieux de sauter du huitième étage. »
Le confédéralisme, mot d’ordre de la N-VA durant la campagne, n’est pas oublié pour autant. » Pour le moment, embraie Bart De Wever en paraphrasant Didier Reynders, un gouvernement sans le PS est déjà une réforme de l’Etat en soi. Mais ce n’est pas une solution structurelle. Si l’électeur nous oblige à former une coalition avec le PS, alors le communautaire reviendra. » Le vice-Premier ministre Jan Jambon traduit : » On ne peut accepter un statu quo institutionnel pour dix ans. » Le désir caché de la N-VA ? La thérapie de choc socio-économique initiée au fédéral sera à ce point imbuvable pour le PS qu’il demandera lui-même grâce et exigera de nouveaux transferts de compétences vers les Régions et Communautés.
Pour accompagner la rupture à tous les étages – la N-VA disposant aussi avec Geert Bourgeois du ministre- président flamand à la tête d’une coalition symétrique N-VA/CD&V/Open VLD -, Bart De Wever est revenu sur sa promesse : il sera candidat à sa succession pour un quatrième mandat de président, le 15 novembre prochain. » Le parti a besoin de stabilité « , justifie-t-il. » Sans Bart De Wever à la présidence, la situation sera tout simplement ingérable « , estime Pascal Delwit, politologue à l’ULB. L’historien Bruno De Wever, frère de Bart, avait dit en outre cet été qu’il verrait bien son frère rester hors du gouvernement pour réaliser son grand rêve confédéral en 2019.
La crainte francophone d’une stratégie du pourrissement des institutions fédérales a été nourrie par les flèches décochées par la N-VA depuis l’entrée en fonction du gouvernement Michel Ier. Lors de la prestation de serment au Palais, trois ministres de ce parti ouvertement républicain ont raillé le protocole en faisant le signe du V de changement ( » verandering » en néerlandais). Le vice-Premier ministre Jan Jambon a créé la première polémique de la législature en relativisant la responsabilité des collaborateurs durant la guerre – » certains avaient des raisons de le faire… » – avant de dénoncer » l’exploitation malhonnête » de ses propos. Le secrétaire d’Etat fédéral Theo Francken et le ministre flamand Ben Weyts ont, quant à eux, assisté en toute décontraction à l’anniversaire de Bob Maes, fondateur de la milice interdite VMO et président d’honneur de la section locale de la N-VA à Zaventem.
» Ce sont des provocations à l’adresse de la presse francophone « , relativisait-on dans l’entourage d’un ministre libéral. » Charles Michel devra rapidement faire preuve de fermeté, sinon il risque de perdre de son autorité « , insistait-on dans le clan Reynders. Une anecdote édifiante illustre la manière dont les autres partis géraient les saillies nationalistes lors des négociations. » De temps à autre, Bart De Wever venait avec une de ses obsessions communautaires, raconte une source. En rigolant, un CD&V lui répliquait : « Allez, Bart, de volgende keer, hein… » Le président de la N-VA s’en amusait et lançait en souriant un « Chutttt ! » pour relever son excès. Tout cela se faisait sur un ton badin, en se tutoyant. »
La N-VA, parie-t-on dans les rangs libéraux francophones, pourrait au contraire se diluer dans le système belge et perdre de son intransigeance communautaire en engrangeant des réformes. C’est également l’opinion de deux éminences grises du Mouvement flamand, le politologue Bart Maddens (KUL) et l’ancien journaliste Jean-Pierre Rondas. Le premier craint une » belgicisation de la N-VA « . » Il y a des tas d’exemples de politiques qui ont commencé leur carrière comme des nationalistes flamands convaincus avant de se transformer en bons Belges « , prévient-il en énumérant le nom de transfuges passés de l’ancienne Volksunie aux partis traditionnels : Jaak Gabriëls, Bart Somers, Bart Tommelein, André Geens, Jef Valkeniers, Sven Gatz… » En tant que président, Bart De Wever devra être attentif aux premiers signes de belgicisation de ses élites. » » Le mal belge n’a pas disparu parce que le PS n’est plus au pouvoir « , fustige le second.
Tous deux le soutiennent : un plan existe bien au sein de la N-VA pour forcer le confédéralisme, dans cinq ans au plus tard, connu d’un cercle très limité auprès de De Wever. » Les militants en sont convaincus, témoigne Bart Maddens. Sinon, ils n’auraient pas voté la confiance. » En position de force, la N-VA rêve sans doute ni plus ni moins d’atteindre la barre des 40 % aux prochaines élections en… mangeant l’électorat de ses partenaires flamands au gouvernement. Incontournable, elle pourrait alors accomplir son objectif.
CD&V ET OPEN VLD : LE LIEUTENANT ET LE CAPITAINE
» En exagérant un petit peu, on pourrait dire que le CD&V était devenu le nouveau PS (durant les négociations) et le MR, le nouveau CD&V. » Dave Sinardet, politologue à la VUB, a le sens de la formule quand il évoque les incidents à répétition provoqués par les sociaux-chrétiens flamands durant la formation du gouvernement. Confronté à la pression de son aile gauche, le CD&V a renoncé au poste de Premier ministre pour Kris Peeters et s’est battu violemment avec l’Open VLD afin d’obtenir des taxes pour compenser la réduction de charges pour les entreprises, sans oublier son combat de dernière minute en vue d’un règlement à l’affaire Arco, qui a sapé financièrement le Mouvement ouvrier chrétien.
» Ces dernières années, le CD&V a perdu beaucoup de ses électeurs conservateurs, chrétiens, plus âgés et flamingants au profit de la N-VA, analyse Marc Swyngedouw, directeur de l’Institut d’enquête d’opinion sociale et politique de la KUL. La moitié de son électorat actuel est composé de membres du syndicat chrétien, l’ACV. Là aussi, il y a une concurrence avec la N-VA, dont 32 % des électeurs proviennent de l’ACV. Protéger son aile sociale, c’est une question de survie pour le CD&V. Ce sera d’autant plus difficile lors de cette législature que le syndicat ne pourra pas se taire car en 2016, il y a des élections sociales ! » » Honnêtement, au sein de la coalition, le CD&V est le seul parti que je ne comprends pas, complète Pascal Delwit. Il n’a quasiment rien obtenu à vendre à son électorat. »
L’Open VLD n’est guère mieux loti : en 2014, un tiers de ses électeurs l’a déserté pour la N-VA. » Les libéraux flamands ont fait du « No Tax » un leitmotiv durant la formation du gouvernement, mais le risque, c’est que les électeurs préfèrent désormais l’original N-VA à la copie, souligne Marc Swyngedouw. La menace, ce serait un scénario à l’anversoise… » Aux dernières élections communales de 2012, face à Bart De Wever, l’Open VLD n’a décroché que 5,5 % des voix. » Pour le CD&V et l’Open VLD, une guerre est entamée sur un marché très concurrentiel face à la N-VA « , insiste le sociologue de la KUL.
Secrètement, les deux » petits » partis flamands de la coalition espèrent que la N-VA perdra de sa superbe au contact de ce pouvoir fédéral qu’elle vilipendait, raison pour laquelle tant les chrétiens-démocrates que les libéraux n’envisageaient à aucun prix de gouverner à nouveau sans elle dans une tripartite classique. » Dans le cas du CD&V, il y a aussi une question de conviction, persifle-t-on chez les socialistes. Le président du CD&V, Wouter Beke, est un flamingant convaincu. Il voulait ce mariage avec la N-VA. »
CDH : LE SERGENT
Benoît Lutgen, président du CDH, a choisi, au risque de confirmer la caricature d’un petit parti » scotché au PS » : il a rapidement dit oui à un mariage avec les socialistes dans les Régions et non à une coalition de centre-droit au fédéral. Sera-t-il, dans le jeu de Stratego, ce sergent docile qui applique à la lettre les ordres de son supérieur ? » Songer une seule seconde que Benoît Lutgen ait cédé à nos pressions, c’est mal le connaître, scande-t-on dans l’entourage d’Elio Di Rupo. C’est un têtu, un Ardennais. Nous étions partisans d’une tripartite, mais le CDH a refusé parce qu’il voulait être incontournable. Comme le CD&V du côté flamand, le CDH a joué un rôle bien plus important qu’on ne le pense dans l’enchaînement des circonstances menant à la situation actuelle. »
Désormais, le Luxembourgeois va mener une opposition féroce au fédéral. Car l’homme parle avec les tripes. » Je me suis engagé avant les élections, tout comme le MR, à ne pas collaborer avec la N-VA, à ce qu’il n’y ait pas de saut d’index, à ce qu’il n’y ait pas d’augmentation de taxes, à ce qu’il n’y ait pas une hausse de la TVA, à ce que l’on préserve la classe moyenne et les familles, insiste-t-il. J’ai tenu parole. En politique, c’est quelque chose d’important. Il est clair que les engagements du MR n’ont pas été respectés. » Circonstance aggravante : le nationalisme, Lutgen le rejette dans toutes les langues, lui dont la ville, Bastogne, a été martyrisée durant la Seconde Guerre mondiale. L’attitude du MR est dès lors inexcusable.
En défiant l’aile centre-droite de son parti, en sacrifiant Melchior Wathelet, Benoît Lutgen mise sur la sincérité pour tenter de sauver son parti, tombé à un niveau historiquement bas en mai dernier. Celui que l’on a dû pousser dans le dos pour devenir président de parti est donc, lui aussi, candidat à sa propre succession.
Dans la vaste partie de Stratego qui s’engage, dans un jeu politique chamboulé, les différents pions se mettent en place. Curieusement, sauf au MR en raison de l’accession de Charles Michel au 16, rue de la Loi, ce seront pourtant les mêmes présidents de parti à la manoeuvre. » Il est de tradition que les partis se mettent en ordre de marche aux lendemains des élections, explique le politologue Pascal Delwit. Au CDH, Benoît Lutgen a sans doute précipité les choses pour éviter une fronde interne. Dans le cas d’Elio Di Rupo, d’autres considérations ont sans doute joué, dont sa vive inquiétude face à la N-VA. Cette législature sera à nouveau marquée par la rivalité devenue personnelle entre Bart De Wever et Elio Di Rupo. Entre eux deux, c’est l’avenir du pays qui se jouera en 2019. »
Charles Michel s’imposera-t-il au point d’être davantage que l’arbitre de ce match à distance ? Réussira-t-il à démontrer qu’une nouvelle génération politique peut dépasser les problèmes communautaires ? Pour lui, désormais, le chronomètre tourne.
Par Olivier Mouton
» Cette législature sera à nouveau marquée par la rivalité De Wever – Di Rupo »