Dans le Littré du XIXe siècle, le terme » réactionnaire » apparaît déjà, mais comme un néologisme. Il serait né au cours de la Révolution française, pour qualifier le mouvement s’opposant aux changements engendrés par les révolutionnaires et voulant revenir à l’Ancien Régime. Depuis, le terme s’inscrit dans l’exaltation idéalisée du passé, servant de repoussoir à un présent disqualifié. Le réactionnaire est donc, par définition, opposé aux changements sociaux qui ne découlent pas des principes traditionnels auxquels il est attaché. Aussi, il perçoit le présent comme fondamentalement décadent et peu glorieux. Synonyme d’ultraconservateur, le terme qualifie, avec une connotation très péjorative, un conservatisme étroit. Dans son Manifeste du Parti communiste, Karl Marx affirme que les » classes moyennes combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence. Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires : elles cherchent à faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. » Dans L’opium des intellectuels (1955), le philosophe français Raymond Aron note que le terme de » réaction » peut servir à forger un ennemi imaginaire pour faciliter la cohésion d’un camp politique. Ainsi, » radicaux et socialistes ne se sont réellement accordés que contre un ennemi insaisissable, la réaction « .
L’expression » néoréactionnaire » date de 2002, année où Jean-Marie Le Pen accède au second tour des présidentielles. Elle est utilisée par Daniel Lindenberg, dans Le rappel à l’ordre : enquête sur les nouveaux réactionnaires, pour désigner intellectuels et décideurs se retrouvant dans une apologie de l’ordre moral, de la sécurité et de l’identité. La même année, dans Le Monde diplomatique, Maurice Maschino en dresse une liste : Alain Finkielkraut, Eric Zemmour, Ivan Rioufol, Pascal Bruckner, Alexandre Adler, Philippe Muray, Régis Debray, Pierre-André Taguieff, Luc Ferry, Michel Houellebecq, Maurice Dantec, Marianne, Causeur… En 2007, Taguieff réplique avec Les contre-réactionnaires – Le progressisme entre illusion et imposture : » Si les réactionnaires n’avaient pas existé, les progressistes les auraient inventés. Lorsqu’ils n’existent plus, ils les inventent « , écrit-il. Sa thèse : les véritables réacs sont ceux qui se cachent derrière le terme de » progressistes » et utilisent celui de » réactionnaires » pour disqualifier leurs opposants dans une optique de terrorisme intellectuel, voire d’inquisition. Le progressisme apparaît ainsi comme » la foi dans le progrès sans l’esprit critique ni le sens de la tolérance, avec la conviction dogmatique de posséder la vérité et d’être installé dans le Bien «
Pierre Jassogne