Le scandale de l’hormone de croissance

En France, 111 enfants et adolescents sont morts après avoir reçu, entre 1982 et 1986, des injections d’hormone de croissance contaminées. Le 6 février s’ouvre le procès sur un drame de santé publique parmi les plus retentissants de ces dernières années.

Comment a-t-on pu traiter des enfants avec des hormones de croissance contaminées entre 1982 et 1986 ? Savait-on qu’ils étaient susceptibles de contracter ainsi la maladie de Creutzfeldt-Jacob (MCJ) ? Pourquoi n’avoir rien dit aux familles ? C’est autour de ces trois questions clés que devrait tourner, trois mois durant, le procès qui s’ouvre le 6 février devant le tribunal correctionnel de Paris. Ces enfants, de petite taille ou atteints de nanisme, s’étaient vu prescrire une hormone de croissance extraite d’hypophyses (une glande située à la base du cerveau) humaines. Ce médicament, considéré à l’époque comme  » miracle « , devait leur permettre de grandir à peu près normalement. Sauf qu’il était produit dans des conditions douteuses, sans se soucier des risques de contamination. Certains jeunes en sont morts : 111, à ce jour. D’autres se demandent si la MCJ ne couve pas en eux ( lire p. 43).

Une demi-douzaine de personnalités du monde médical sont poursuivies pour tromperie et homicide involontaire. Parmi elles, le Pr Jean-Claude Job, ex-président de France-Hypophyse, l’association chargée à l’époque de la collecte des hypophyses et du contrôle de l’attribution des hormones. Autre prévenu : Fernand Dray, ancien dirigeant d’Uria, le laboratoire qui, à l’Institut Pasteur, fabriquait l’hormone en question et qui est en outre soupçonné d’avoir perçu des commissions illégales ( lire l’encadré ci-contre).

Premier mort aux Etats-Unis

Pour comprendre ce dossier, il faut revenir au début des années 1980. De nombreux médecins prescrivent alors la fameuse hormone, sous forme d’injections. Pour les parents, l’espoir est immense et la confiance absolue : le laboratoire Uria n’est-il pas rattaché au prestigieux Institut Pasteur ?

Dès 1982, des jeunes commencent à suivre le traitement. De fait, ils gagnent bien quelques centimètres. Mais à quel prix ? Une sommité du monde scientifique, le Pr Luc Montagnier, membre de l’Institut Pasteur, affirme qu’il y a un risque à utiliser ainsi une substance fabriquée de façon artisanale à partir d’hypophyses de cadavres. Il met en garde l’association de Jean-Claude Job contre l’utilisation du cerveau d’une personne morte d’encéphalite aiguë, de tumeur intracrânienne ou de maladie chronique du système nerveux. Malgré cet avertissement, la fabrication et la prescription d’hormone se poursuivent, sans répercuter aux parents les doutes du Pr Montagnier.

A la fin de l’année 1982, l’inquiétude monte d’un cran. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales révèle en effet que la collecte d’hypophyses dans les morgues ou les hôpitaux – le plus souvent par des employés qui arrondissent ainsi leurs fins de mois – se fait parfois dans des conditions stupéfiantes. Au CHU de Metz, elles sont extraites des cerveaux à l’aide d’un instrument de fortune créé avec un… tuyau de chauffage central ! Ici et là, des voix – peu nombreuses – s’élèvent pour réclamer des éclaircissements. Des familles ont beau s’inquiéter, leurs médecins les rassurent. Aucun danger… Fin 1984, nouvelle alerte. Venue des Etats-Unis, cette fois. En Californie, un jeune homme de 21 ans meurt de la maladie de Creutzfeldt-Jacob après avoir suivi un traitement à l’hormone de croissance extractive entre 1960 et 1975. L’autopsie est formelle : il y a un lien entre la MCJ et l’hormone.

Similitudes avec l’affaire du sang contaminé

Les autorités sanitaires américaines réagissent en interdisant le recours à des hormones d’origine humaine. Le laboratoire danois Kabi stoppe toute distribution et annonce la mise sur le marché d’une hormone synthétique, en principe sans risque. Plusieurs pays, dont la Belgique, suivent l’exemple américain. D’autres continuent de recourir, dans des conditions variables, aux hormones d’origine humaine.

Vers la fin de 1985, certains médecins laissent entendre, mezza voce, que depuis trois ans, plusieurs milliers d’ampoules provenant de lots contaminés ont été injectées à des patients, alors qu’elles auraient dû être rappelées. Il faut pourtant attendre le 2 décembre 1991 pour que la justice entre enfin en jeu. Ce jour-là, Abdelassam Benziane dépose plainte au nom de son fils de 15 ans, Yliassif. Traité depuis le 3 janvier 1983, par l’hormone de croissance d’origine humaine, l’adolescent vit un calvaire depuis septembre 1989 : il souffre de troubles neurologiques, de tremblements, de vertiges. Une semaine après le dépôt de la plainte, Yliassif s’éteint. Mais le processus judiciaire est enclenché. Il ne s’arrêtera pas.

A bien des égards, ce dossier ressemble à celui du sang contaminé, dont la juge française Marie-Odile Bertella-Geffroy a aussi la charge : même indifférence à l’égard des patients, même souci de rentabilité, même morgue de certains mandarins, persuadés de détenir la vérité. La magistrate peine d’autant plus à reconstituer le cheminement des lots contaminés entre 1982 et 1986 (la période où le risque a été à son maximum) que les registres de distribution ont été volés ! L’ordinateur où figurait le listing des ordonnances destinées aux malades a également disparu.

Mais la juge s’obstine. Grâce aux expertises – accablantes – de médecins éc£urés par ce scandale, grâce aussi aux témoignages des victimes et des agents d’amphithéâtre collecteurs d’hypophyses, elle reconstitue le puzzle de l’affaire et finit par mettre en examen, au bout de dix ans d’enquête, plusieurs pontes du monde médical. Au cours de l’instruction, ces derniers ont réfuté avoir commis la moindre faute ou négligence. Le Pr Job a souligné qu’il avait toujours cru à l’innocuité du traitement et que tout avait été entrepris pour sécuriser les prélèvements d’hypophyses. Une analyse partagée par Fernand Dray.

Gilles Gaetner

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