Le réveil du Bouddha
Pourquoi, se demanderont certains, s’émouvoir aujourd’hui du sort de la Birmanie, alors que l’Afghanistan se déchiquette, que l’Irak est en proie à l’horreur terroriste ou que le Darfour tourne à l’enfer ? A l’instar de la dignité humaine, l’indignation est universelle ou n’est pas. Or le conflit qui oppose un peuple désarmé à une junte ahurissante, une femme seule à une brochette de Sardanapale, des moines instruits à une grappe de compradores présente toutes les caractéristiques d’un invariant historique. Un cas d’école pour toute conscience démocratique. Mais la Birmanie est bien plus encore que cela.
C’est en Birmanie que George Orwell, l’auteur du best-seller planétaire 1984, fit son apprentissage critique en tant qu’officier des forces de l’ordre britanniques. Cette expérience lui inspira son premier roman, Une histoire birmane, dans lequel il écrivit : » Au milieu des années 1920, les prisons de Birmanie étaient à ce point surpeuplées qu’il fallut relâcher des prisonniers de manière anticipée afin d’incarcérer ceux qui venaient d’être condamnés. » Du point de vue populaire, rien n’a changé ; les geôles sont toujours pleines d’ennemis présumés de l’ordre, la voix démocratique d’Aung San Suu Kyi est enfermée entre quatre murs, et les myriades de bonzes prieurs sont cloîtrés sous bonne garde.
C’est en Birmanie également que vit le jour un autre grand homme, désormais oublié, U Thant, troisième secrétaire général de l’ONU, entre 1961 et 1971. Son rôle pacificateur fut décisif lors de la crise des fusées de Cuba, mais il exerça une plus grande influence encore en se définissant comme un fonctionnaire international au service des Etats et non plus comme une sorte de médiateur supranational. C’est grâce à U Thant que de Gaulle, qui avait décidé de pratiquer la politique de la chaise vide aux Nations unies, accepta de réintégrer le » machin « . Il reconnaîtra au Birman » conscience et intelligence, jugement et désintéressement, équité et sagacité « . Ce sont exactement ces valeurs que les généraux violent depuis quarante-cinq ans ; c’est justement l’ONU qu’ils bafouent après vingt années de sanctions qui ne les ont dissuadés de rien. En foulant au sol l’âme d’un peuple, ils ont déclenché une sainte colère. Et si le réveil du bouddhisme ne faisait que commencer ? l
CHRISTIAN MAKARIAN
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