Stéphane Delfosse, grand brûlé suite à la catastrophe de Ghislenghien, et Victor Marez, souffrant d’une tumeur à l’oil, possèdent un corps » différent « . Ils témoignent.
Ils n’ont ni le même âge ni la même histoire. Et pourtant, Stéphane Delfosse et Victor Marez vivent une expérience semblable : celle de la différence. Ils se voient pourtant » comme tout le monde « . Mais ceux qui les croisent leur trouvent une apparence anormale, bizarre, voire effrayante.
Cette fameuse différence, elle s’est abattue sur Stéphane Delfosse (40 ans) de façon soudaine, brutale. Boum ! Et la vie bascule. Inspecteur principal au service des stupéfiants, à la police d’Ath, il se trouvait sur le zoning de Ghislenghien, le 30 juillet 2004, lorsqu’une conduite de gaz a explosé. Grièvement brûlé, il restera plongé dans le coma pendant six mois, oscillant entre la vie et la mort, le corps en lambeaux. Il survivra grâce à l’amour de sa femme, mais ne sortira de clinique que le 14 juin 2005. Avec un autre corps : il lui manque une oreille, plusieurs doigts, sa peau a été arrachée en plusieurs endroits. Un bonnet sur la tête, une casquette par-dessus, il tente de dissimuler ce qui peut l’être. Mais pas question de se cloîtrer chez lui ou de se cagouler. » Ce serait malhonnête « , soutient-il.
Victor Marez, visage radieux et épais cheveux noirs, souffre depuis la naissance d’une maladie orpheline : une neurofibromatose. Des taches de couleur café au lait sont d’abord apparues sur sa peau. Une drôle de bosse a ensuite gonflé sur sa main. Puis une tumeur s’est développée dans son £il droit, devenu en quelques semaines aussi gros qu’une balle de ping-pong. Le poids a alors provoqué un affaissement de l’orbite, faisant tomber l’£il droit plus bas que le gauche. Qu’importe. Victor est souriant, blagueur. Il adore le vélo, va chez les scouts, joue de l’accordéon, se passionne pour le tuning. Bref, il vit comme n’importe quel gamin de son âge. Enfin, presque.
Le 30 janvier, Victor et Stéphane seront présents sur le plateau de C’est la vie en plus, sur la RTBF. D’autres personnes témoigneront de leur physique, de leur différence : un basketteur mesurant 2,07 mètres, un paraplégique, une obèse, une malade atteinte de psoriasis… » Une belle brochette de spécimens hors normes « , résume Stéphane, ironique et grinçant, comme toujours. » Ce jour-là, après l’enregistrement de l’émission, j’ai parlé avec le basketteur, raconte Victor. Je lui ai dit que c’était peut-être embêtant d’être si grand, mais que je préférerais être comme lui plutôt que comme moi. » Bien sûr, le vécu de Victor et de Stéphane n’est pas pareil mais leurs témoignages se répondent.
Mon physique, ma différence ? Beau gosse, volontiers frimeur : tel était Stéphane Delfosse avant le drame de Ghislenghien. » J’attachais pas mal d’importance à l’aspect physique « , reconnaît-il. Cette existence de play-boy, il a dû y renoncer du jour au lendemain. Autre corps, autre vie. Il n’a pas eu le choix. Il a appris à » vivre avec « . Mais n’empêche… » Je ne demande pas le physique de Brad Pitt, mais j’aimerais bien avoir dix doigts et deux oreilles. » Victor Marez est bien conscient, lui aussi, de la singularité que lui confère son physique. » Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait un gros £il comme moi « , dit-il. Et pourtant, il ne se considère pas comme beaucoup plus malade que les autres enfants de son âge. » Il y a un truc que les gens ne savent pas : c’est que tout le monde est handicapé de quelque chose ! Celui qui porte des lunettes, il est handicapé. Celui qui ne roule pas bien à vélo, aussi. »
Les regards qui tuent. Aller au cinéma, prendre une limonade dans un café, et ce sont des dizaines de regards qu’il faut supporter. A la mer, sur la digue, les enfants s’écrient à son passage : » Maman, regarde, comme il est bizarre, celui-là ! » Victor a appris à feindre l’ignorance, à passer au travers. Pas à se blinder totalement. » On me regarde comme si j’étais E.T. Au moins une fois par jour, on me montre du doigt. Quand je peux, pour les rassurer, je leur dis que ma maladie n’est pas contagieuse. » Pour Stéphane, le problème se pose différemment : lors de la catastrophe, ses nerfs optiques ont été touchés par le feu, sa vision se limite maintenant à 1,5 à chaque £il. Alors, la plupart du temps, ces regards qui tuent, il ne les voit même pas. Contrairement à sa femme, qui encaisse.
Impitoyable miroir. » Un corps comme ça, on ne s’y habitue jamais. Car il y a ce miroir qui vous flingue tous les matins « , raconte Stéphane. A l’hôpital, les infirmiers couvraient le miroir d’un essuie pour ne pas le décourager. Rusé, Stéphane profitera d’une minute d’inattention de leur part pour le décrocher et voir enfin ce corps, son corps, tel qu’il était devenu… Avec Victor aussi, le miroir se montre impitoyable. Et impossible de s’y dérober. » Quand je me regarde, je vois tout de suite un gros £il. » » Dans la glace, il voit sa maladie, beaucoup moins le garçon qu’il y a derrière « , raconte Corinne, sa maman.
La différence, une richesse. C’est peut-être bateau de le dire, mais Stéphane Delfosse et Victor Marez insistent et leur entourage approuve : la différence, ça enrichit. La maman de Victor témoigne : » La maladie de Victor, c’est une fameuse leçon de vie. Cela nous a rendus beaucoup plus ouverts, plus attentifs aux autres. Victor montre une maturité et une sensibilité pareilles à celles des enfants de son âge. » Chez Stéphane, le changement de corps a entraîné une nouvelle conception de la vie. Il est plus sensible aux autres et à leur beauté intérieure. » En plus de la peau, on m’a greffé un sixième sens « , aime-t-il répéter.
François Brabant