Le hip-hop de chez nous a 17 ans, et toutes ses dents. Bilan, via une plantureuse compilation organisée par Lézarts Urbains, synchro avec les Huitièmes Rencontres de danses et de cultures urbaines.
Il existe une forme d’injustice culturelle envers le rap, parce que les gens ne mesurent pas son importance dans la culture contemporaine, y compris en Belgique. Beaucoup d’artistes, comme Baloji (ex-Starflam, dont le premier album solo est unanimement accueilli), partent dans d’autres directions ou s’essaient au théâtre. Et le rap, c’est également une nouvelle façon de poser la langue française. » Alain Lapiower, 56 ans, auteur d’un ouvrage sur la question rap paru il y a une décennie, est le directeur de Lézarts Urbains, une ASBL bruxelloise largement impliquée dans le mouvement hip-hop. Fatigué du corporatisme rock, cet ex-musicien de Red’n Black (groupe gaucho-marrant des années 1970-1980) a trouvé dans le rap et sa cohorte d’expressions (danse, graph, slam) » quelque chose de vrai et de fort, où le sentiment de révolte est réel. Qu’il soit exprimé par les enfants des classes populaires ou ceux de la classe moyenne. Parmi les rappeurs belges, on ne compte plus les fils de journalistes, profs et autres soixante- huitards « . Ils sont effectivement quelques-uns sur Art-Chives, un nouveau triple CD publié par Lézarts Urbains, qui rassemble 60 titres du rap belge des années 1990 à 2007.
» L’idée était de monter l’intensité du mouvement, explique Julie Daliers, 38 ans, chargée du projet. Montrer qu’il s’agit d’un move libre et créatif où les collectifs pullulent, et faire comprendre qu’il y a déjà trois générations de rap belge. » Dix-sept ans donc, presque l’âge de la majorité, et une pluralité de styles. Avec une omission criante, celle de Benny B, volontairement oublié en tant que » rap de divertissement commercial « . Il aurait, de fait, détonné au milieu de ces titres ressourcés au néoréalisme (globalement) sans joie de la rue des années 1990-2000. » Il y a une certaine urgence de la parole, poursuit Julie, celle qui maintient une partie de ces gamins dans un état de survie, même si les textes peuvent parfois sonner un peu cliché. » Il est vrai que, des tout premiers pas de BRC, en 1990, à Tar One, en 2007, un ou deux mondes se sont écroulés, mais les problèmes de reconnaissance et de mobilité sociale restent. D’autres migrations sont venues bousculer l’idée d’un rap fait majoritairement par les jeunes arabes. Aujourd’hui le rap belge est aussi congolais, kossovar, albanais et même brabançon wallon (OPAK). Hormis le son, plus pro qu’en 1990, le rap belge exprime toujours les mêmes failles sociales. Pas un hasard si les noms les plus connus s’imposent d’emblée – Starflam, De Puta Madre, Pablo Andres, AKRO -, mais la compilation permet de véritables découvertes à la langue bien pendue, comme James Deano, Veence, Festen, Serial Chiller ou La Tria. Même si le vocabulaire de certains est visiblement englué entre » putes et couilles « , on trouve aussi une virtuosité, une tonicité, une imagination salvatrices qui baignent le rap dans un autre moule, sémantique et rythmique, plus aventureux. » Même s’il n’y a qu’une dizai- ne d’artistes » remarquables » sur 60, je trouve que c’est le signe d’une réelle émergence, reprend Alain Lapiower. Je suis étonné de voir le nombre de gamins qui participent aux ateliers d’écriture. Et, quand ceux-ci ont lieu en prison, c’est dingue de voir que la culture naturelle de ces mecs, c’est le rap, et même le gangsta rap ! » ( Rires.)
Le triple CD Art-Chives, 17 ans de rap belge francophone sort chez Bang !, début décembre. Un bon nombre des artistes de la compil se produisent les 30 novembre et 1er décembre au Botanique, à Bruxelles. Toujours dans le cadre de Lézarts Urbains, Slam nomade, le 8 décembre au centre culturel Jacques Franck, à Saint-Gilles. Infos : www.lezarts-urbains.be
Philippe Cornet