Le bras de fer entre la Commission européenne et le gouvernement grec métastase les débats parlementaires sur le budget et la réforme des pensions. Affrontements musclés entre un PS gauche radicale et un MR droite décomplexée.
Le 28 juin 2015, dans la torpeur d’un dimanche d’été ensoleillé, alors que le psychodrame grec conduit à une impasse, accentuant le risque d’un éclatement de la zone euro, Elio Di Rupo, président du PS, s’exprime devant ses militants à Chevetogne. Le cri du coeur : » Je soutiens la Grèce, je soutiens Syriza. L’attitude de l’Union européenne est intenable, non seulement pour les Grecs mais aussi pour la zone euro. Après cinq années d’échecs cuisants, ces penseurs continuent à mener une politique d’austérité insupportable. »
Pierre-Yves Jeholet, chef de file du MR au parlement wallon et fidèle parmi les fidèles de Didier Reynders, en avale son café de travers. » Les propos d’Elio Di Rupo sont d’une grande irresponsabilité, lance-t-il au Vif/L’Express. Il est vrai qu’il n’est plus à un dérapage près, depuis qu’il a affirmé sa volonté de remettre l’âge légal de la pension à 65 ans s’il revient au pouvoir. On sent le président du PS complètement à côté de ses pompes. Son coeur saigne visiblement une nouvelle fois, mais de la part d’un ancien Premier ministre, c’est effrayant. » Une allusion à cette interview de janvier dernier au cours de laquelle Elio Di Rupo avait regretté la mesure d’exclusion des chômeurs prise lorsqu’il était au » 16 » parce qu’elle lui aurait été imposée par les libéraux. Comme s’il n’assumait pas son bilan.
» Le PS, quand il est au pouvoir, se comporte comme le MR, raille Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre. Quand il est dans l’opposition, il singe le PTB. Et quand il est en campagne, il copie Ecolo. En clair, il cultive une forme permanente d’opportunisme. »
Ambiance tous azimuts, nourrie de positionnements et de petites phrases idéologiques.
» L’austérité nous est aussi imposée »
A l’heure où les débats parlementaires bouillonnent chez nous – la réforme des pensions en commission, l’ajustement budgétaire, tant au fédéral qu’en Wallonie… -, l’affrontement idéologique entre la Commission européenne et le gouvernement grec d’Alexis Tsipras réveille une fracture béante du côté francophone, qui oppose la majorité fédérale portée par les libéraux et les majorités régionales dominées par le PS. Elle excite également les rivalités au sein même de la vaste opposition francophone au fédéral, le grand PS étant titillé sur sa gauche par le PTB, Ecolo et le CDH, tout en étant barré sur le centre par le CDH.
Dans ce contexte compliqué, les considérations d’Elio Di Rupo sont autant à usage interne qu’en solidarité avec le peuple grec. » Réduire les pensions, les salaires des agents de l’Etat, augmenter la TVA, ce sont des situations que les Grecs, après cinq ans de souffrance, ne peuvent pas accepter « , plaide-t-il. Une allusion directe aux mesures imposées par les créanciers internationaux au gouvernement Tsipras, et larvée aux réformes initiées par le gouvernement Michel, que ce soit l’allongement de l’âge légal de départ à la pension à 67 ans ou l’augmentation de la TVA ouvertement envisagée par le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA) dans le cadre du futur tax-shift.
» Ce qui se passe en Grèce est inquiétant car cela remet en question les valeurs de solidarité du projet européen qui nous sont chères, surenchérit Stéphane Crusnière, député fédéral PS. C’est une atteinte à l’expression démocratique du peuple grec, comme si l’Union européenne imposait des mesures de gauche au gouvernement MR/ N-VA. » Un retour du label caricatural » MR/N-VA » qui avait marqué les premiers pas du PS dans l’opposition. Et le député de conclure : » Le gouvernement de Charles Michel assume une politique de droite. Mais chaque fois que des mesures délicates doivent être prises, il a beau jeu de se référer aux recommandations faites par l’Europe. »
Des propos socialistes dignes du PTB, qui roule pour sa part des mécaniques à la gauche de la gauche. De fait, l’alliée naturelle de Syriza en Belgique, c’est l’extrême gauche. » Il y a un lien évident entre l’austérité que l’on nous impose ici et celle que l’on veut dicter à la Grèce, souligne Raoul Hedebouw, son porte-parole. La volonté souveraine d’un peuple est bafouée. Qui sera le prochain ? L’Espagne, l’Italie et un jour, la Belgique ? Nous sommes déjà affectés par cette logique capitaliste que nous dénonçons, avec des décisions induites par la Banque centrale européenne et la Commission. Je me demande d’ailleurs quel a été le mandat de Charles Michel récemment pour qu’il s’aligne à ce point sur la position allemande… »
Au sein de l’Union, la Belgique aurait choisi son camp. » C’est un moment crucial qui nous amène à réfléchir sur la façon dont on pratique l’austérité budgétaire, c’est évident, mais reconnaissons que nous n’avons pas été aussi loin qu’en Grèce, tempère Jean-Marc Nollet. Et chez nous, que l’on aime ou pas, il y a une majorité politique qui porte une politique. »
» Que vive la voix du peuple ! »
Le bras de fer européen lié à la Grèce réveille un autre débat longtemps enfoui dans les méandres de la mémoire politique belge : celui du référendum. Le chef de file écologiste plaide lui aussi en faveur de la démocratie directe. Nollet approuve la volonté exprimée par Tsipras de consulter le peuple grec : » C’est un moment d’une telle extrémité qu’une consultation s’imposerait de facto chez nous aussi, explique-t-il. Dans les grandes situations de blocage, le référendum est à mes yeux un passage obligé. Même si je ne plaiderais pas pour une telle consultation en Belgique au sujet d’un dossier revêtant une dimension communautaire sensible. »
Pour rappel, une consultation populaire est inconcevable chez nous depuis les tourments de la Question royale, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui avait vu s’opposer Flamands et Wallons sur le retour au pays du roi Léopold III.
Elio Di Rupo ne déclarait pourtant pas autre chose devant ses militants le week-end dernier : » La voie la plus juste est celle des peuples, celle de la démocratie. Quand je vois la complaisance à l’égard d’un Cameron (NDLR : Premier ministre britannique qui a annoncé un référendum sur l’Europe)… Personne ne lui dit, à lui, qu’un référendum est un scandale ! » Raoul Hedebouw (PTB) appuie : » Nos dirigeants s’indignent qu’Alexis Tsipras prône le non en Grèce, mais personne ne s’est indigné quand tout l’establishment prônait le » oui » aux référendums organisés en Irlande ou en France sur les traités européens. » Gauche modérée et radicale, même combat, désormais…
Pour le Premier ministre Charles Michel, l’organisation de ce référendum en Grèce confine tout simplement à une forme d’irresponsabilité. » Je suis très sensible à l’inquiétude légitime des citoyens grecs, martelait-il le 29 juin à la télévision. Mais ce que je sais aussi, c’est que partout en Europe, on doit prendre des décisions qui ne sont pas simples pour l’avenir. On est bien placé pour le savoir en Belgique, on met aussi en place des réformes qui ne sont pas toujours populaires, mais qui sont nécessaires pour créer de l’emploi et garantir le financement de nos protections sociales. » Refrain connu.
» Un scénario à la grecque en Wallonie »
En Belgique francophone, l’opposition frontale entre deux logiques socio-économiques malmène la loyauté fédérale depuis l’été dernier. Les majorités fédérale et régionales, asymétriques, apportent des solutions sensiblement différentes aux difficultés de l’heure. Un affrontement qui avait atteint son paroxysme lors du récent ajustement budgétaire, quand le fédéral avait qualifié la Wallonie d' » irresponsable » parce qu’elle refusait d’assumer les conséquences budgétaires – imprévisibles et floues, il est vrai… – de la nouvelle loi de financement.
Depuis ce bras de fer violent, le ton s’était apaisé, les services de communication du MR et du PS ayant visiblement fait passer le message qu’il convenait de baisser un peu le ton pour éviter d’endommager davantage encore l’image déjà peu reluisante des politiques. Au moment de faire le bilan d’un an de majorité PS-CDH en Wallonie, le MR avait d’ailleurs été étonnamment prudent et constructif au sujet de l’équipe Magnette. Ce n’est visiblement plus le cas…
» Il y a un parallèle évident à faire entre ce qui se passe en Grèce et la situation en Wallonie, gronde aujourd’hui Pierre-Yves Jeholet, chef de groupe MR au parlement wallon, comme il l’avait déjà fait dans nos colonnes aux beaux jours de l’affrontement MR – PS, en février dernier. L’endettement de la Région s’élève à 20 milliards d’euros. Nous devions avoir un déficit de 450 millions d’euros en 2015 mais, àla suite de l’ajustement budgétaire, il s’élèvera à 685 millions. Le Conseil économique et social wallon met en garde contre un déficit qui pourrait s’élever à plus d’un milliard en 2018. Ce sont des chiffres qui interpellent quand on sait qu’en outre, le mécanisme de transition de la loi de financement imposera la perte progressive de 550 millions d’euros d’ici dix ans et que la fin de mécanismes de solidarité coûtera quelque 600 millions d’euros. »
Et d’enchaîner : » La Grèce est dans le mur et, à ce rythme-là, la Wallonie va dans le mur ! La vérité, contrairement à ce que dit Elio Di Rupo, c’est que les responsables grecs manquent de courage et de sens des responsabilités. Le discours est le même au niveau du gouvernement wallon. Christophe Lacroix, ministre du Budget, affirme qu’on ne peut pas pratiquer l’austérité pour l’austérité. Mais c’est se mettre la tête dans le sable, car nous sommes exactement dans un scénario à la grecque ! »
Oubliée, la paix des braves d’il y a trois semaines ? » Le gouvernement wallon présente des plans, des plans et encore des plans, il y a forcément des éléments positifs sur lesquels nous pouvons les rejoindre, continue Jeholet. Mais rien n’est budgété pour 2015 et on verra ce qu’il en sera pour 2016. Il faut prendre des mesures de réduction du train de vie en Wallonie, dans tous les domaines. »
Pour le gouvernement Magnette, on est pratiquement à l’os en Wallonie et la politique de la rappe à fromage est la seule qui permette d’éviter des sacrifices inacceptables. Entre les exécutifs, comme un écho à ce qui se passe au niveau du continent, les oppositions se multiplient. » Nous évitons l’austérité, les efforts demandés restent soutenables « , plaident le ministre-président wallon Paul Magnette et son collègue du Budget Christophe Lacroix (lire son portrait en page 42). » Nous sommes le gouvernement du courage et de la responsabilité « , rétorque Charles Michel au fédéral.
En début de semaine, lors d’une intervention radio, le Premier ministre ajoutait : » Partout dans le monde, la tentation communiste a échoué. » Visée : la Grèce. Mais comme pour Elio Di Rupo, son message était aussi destiné… à la Belgique.
Par Olivier Mouton
» La Grèce est dans le mur et, à ce rythme-là, la Wallonie va dans le mur ! »