Le promeneur Mitterrand

Au début de l’année 2005 devrait sortir le film de Robert Guédiguian, avec Michel Bouquet en président de la République retraité. Enquête sur un tournage secret

Un vieil homme attend la mort. Maintenant qu’il est un retraité comme les autres, elle peut enfin venir. Cela fait des années qu’il se bat contre la maladie qui le rongeà Le sujet du prochain film de Robert Guédiguian. Le Promeneur du Champ-de-Mars, qui devrait sortir en salle en février 2005, n’a a priori rien de polémique. Sauf que le promeneur en question n’est autre que François Mitterrand.

En 2002, le producteur Frank Le Wita propose à Georges-Marc Benamou de lui acheter les droits de son Dernier Mitterrand (Plon). L’éditorialiste et ancien rédacteur en chef du mensuel de gauche Globe accepte, séduit à l’idée de collaborer avec le réalisateur de Marius et Jeannette et, surtout, curieux de voir Michel Bouquet incarner Mitterrand. Le tournage, achevé le 2 avril dernier, s’est déroulé à huis clos. Robert Guédiguian refuse de parler du Promeneur du Champ-de-Mars, en fin de montage. Selon la production, ce mutisme s’impose pour entretenir le suspense : en janvier, Robert Guédiguian annonce son projet dans Télérama, avant d’accorder une interview û sans photo du film û au quotidien régional La Montagne, à l’occasion du tournage de scènes dans le centre de la France. Un film qui veut faire grand bruit se doit de rester silencieux.  » Il est nécessaire d’avancer de manière prudente, afin de ne pas blesser les susceptibilités, de ne pas entrer dans les histoires de famille « , ajoute Gilles Taurand, coscénariste avec Benamou.

Il est vrai que, lors de sa parution, en 1997, le livre suscita de violentes oppositions de la part du  » clan  » Mitterrand. Que Benamou dévoile le rêve du président de finir sa vie comme un vieillard corse, assis sur un banc, ou son fantasme de descendre la 5e Avenue, à New York, accompagné par Julia Roberts, soit ! Mais qu’il décrive l’agonie du chef de tribu, de septembre 1994 au 1er janvier 1996, et détaille un ultime réveillon û inventé, selon les témoins û en orgie d’ortolansà  » Il s’agissait de l’observation littéraire d’un monarque au crépuscule, et non de journalisme d’investigation !  » se justifie Benamou, qui dit s’être tenu à l’écart du tournage, mais estime que  » le film sera sans doute une ôréévaluation » humaine et politique de Mitterrand « .

 » Le Promeneurà n’est pas une reconstitution naturaliste, complète Taurand. C’est un film intimiste, où un homme est empêtré dans ses propres contradictions. Mitterrand, doté d’une dimension shakespearienne, constitue un réservoir de fiction inépuisable !  » On est loin du Nixon d’Oliver Stone ou d’un documentaire.  » Le nom de François Mitterrand est prononcé, sans ambiguïté, à plusieurs reprises, mais le plus souvent, c’est ôMonsieur le Président », explique Taurand. Ce qui compte, c’est la vérité qui se dégage de la confrontation d’un grand homme avec la mort.  » Le cinéma parviendra-t-il à percer le mystère Mitterrand ?

Tous les biographes ont échoué, même Antoine Moreau. Librement inspiré de Georges-Marc Benamou et interprété par Jalil Lespert, l’autre héros du film retourne sur les lieux où a vécu Mitterrand. Latché, la demeure landaise du président, est reconstituée dans une propriété de la région parisienne, l’Elysée aussi, deux jours de tournage ont eu lieu à Vichy, où Antoine s’imprègne de l’ambiance de l’ancien fief pétainiste, comme si la clef du président y avait été abandonnée en 1942à Il se rend aussi à Saint-Point, sur le tombeau de Lamartine, à Jarnac (Charente), où Mitterrand est enterré, au mont Beuvray, où il souhaita l’être, ou encore dans la basilique royale de Saint-Denis, où les gisants des Valois le fascinaient û  » le passage le plus marquant du film « , pour Taurand.

Quelques scènes ont enfin été tournées sur le carreau de mine d’Oignies (Pas-de-Calais) puis sur une plage et dans un restaurant de Petit-Fort-Philippe (Nord).  » La ressemblance entre Michel Bouquet et l’ancien président est troublante « , se souvient l’un des 250 figurants recrutés dans la région. Mais  » François Mitterrand ne souriait pas autant ! « , se serait exclamé, selon Taurand, un homme politique qui assistait au tournage.  » C’est vrai que Bouquet interprète affectueusement Mitterrand. Il apporte sa propre chaleur à un personnage plus glacial « , reconnaît le scénariste.

Pas de sosies non plus au chevet du président :  » Ses amis politiques sont élaborés à partir de plusieurs personnes existantes « , affirme Gilles Taurand. Si Jack Lang dit tout ignorer du film, Michel Charasse a pris les devants : son avocat a envoyé à Robert Guédiguian une lettre demandant que son client ne soit pas cité dans le filmà Et Mazarine ?  » A un moment, confie Taurand, le président parle de sa fille, sans la nommer, et évoque l’amour qu’il lui porte. C’est tout.  »

Claire Lefebvre

ôUne dimension shakespearienne qui constitue

un réservoir de fiction inépuisable »

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