Le pouvoir cadenassé

Il est à la croisée des pouvoirs. A la Ville de Namur, le bourgmestre est le chef d’orchestre et un facilitateur grâce à ses relais à la Région. Au gouvernement wallon, il est le numéro deux et le partenaire du PS, son adversaire local. Maxime Prévot a neutralisé sa sphère politique proche, sur laquelle il règne en maître.

Rien ne semble arrêter l’ascension de Maxime Prévot vers un pouvoir toujours plus étendu. D’abord conseiller communal, puis échevin de la Cohésion sociale et des Sports et, aujourd’hui, bourgmestre. D’abord conseiller personnel de Joëlle Milquet (alors présidente du CDH), puis député à la Chambre, chef de groupe au parlement wallon et, aujourd’hui, ministre et vice-président wallon. A la Ville de Namur, le bourgmestre empêché – il préfère  » bourgmestre en titre  » – a toutes les cartes en main. Et avec elles, quelques tours d’avance, analyse le conseiller communal indépendant Pierre-Yves Dupuis. Mais son intelligence politique le pousse à passer son tour de temps à autre, ajoute l’ex-socialiste. C’est qu’à 37 ans, l’homme règne sur un collège à la fois compétent et effacé, avec un conseil communal aux ennemis neutralisés. Tout en ayant trouvé la tactique pour rester numéro 1, respectant ainsi sa promesse de ne pas abandonner sa ville.

Invité du collège en tant qu’expert, président du conseil communal, Maxime Prévot a confié les actes administratifs à la réformatrice Anne Barzin. Avec l’ex-Première échevine, dorénavant  » déléguée aux compétences maïorales « , il partage une complicité professionnelle et privée et une volonté d’avancer dans les dossiers, observent plusieurs élus.  » Leur mode de fonctionnement est intelligent « , remarque Pierre-Yves Dupuis.  » Le bourgmestre ne tire peut-être pas toutes les ficelles. Le MR a pas mal de choses à dire, aux niveaux communal et provincial. Et il l’a bien compris.  » Pourtant, les critiques à l’égard de la  » petite bourgmestre  » sont acerbes. On dit qu’elle a récupéré beaucoup de tâches administratives. Qu’elle  » apprécierait plus de reconnaissance « , commente ce membre du collège. Pire encore : qu’elle suit Maxime Prévot  » comme un toutou « , cingle Françoise Kinet, conseillère communale MR, exclue de la majorité.

Au fond, l’échevine déléguée aux compétences maïorales n’a droit ni à l’écharpe, ni aux discours.  » Mais je n’ai pas de sentiment d’ingratitude, répond-elle. J’essaie de faire au mieux. Et c’est un honneur d’avoir cette fonction maïorale.  » Et aussi une  » marque de confiance « , selon Maxime Prévot :  » C’est quelqu’un de compétent et c’est le premier élément qui devait guider mon choix. Je ne devais pas rester enfermé dans une réflexion de partis.  »

Bourgmestre en titre, secondé d’une échevine MR chargée des signatures, Maxime Prévot reste aussi le meneur du CDH, à la Ville comme à la Région wallonne. Celui qui avait reçu le maïorat des mains de Jacques Etienne à quelques mois des élections de 2012, a récompensé Tanguy Auspert, le seul plus expérimenté que lui, du poste de Premier échevin à la place d’Anne Barzin, histoire  » d’éviter de le frustrer de ne pas avoir eu le second rôle « , note un libéral.

Tandis qu’il veille toujours sur les autres humanistes, plutôt discrets, pour qui il a morcelé ses autres compétences maïorales, dénonce la cheffe de file PS Eliane Tillieux, qui voit là sa  » manière de diriger « . Ainsi, le ministre-bourgmestre les a tous dans la poche. Un MR quelque peu soumis. Pas un seul CDH pour lui faire de l’ombre. Et un parti Ecolo qu’il a sauvé de la noyade électorale en l’installant dans sa majorité et en nourrissant sa politique à grandes pelletées de subsides, pointent humanistes et libéraux. Bref,  » un collège pépère « , selon Françoise Kinet. Faux, s’insurge Maxime Prévot, qui dit apprécier les tempéraments, les jeunes qui ont  » la niaque « , même si  » certains sont plus à l’aise avec la créativité et la communication « .

Relayé par sa cheffe de cabinet, Sabine Vandenbroucke, juriste de formation et ex-avocate, le bourgmestre en titre est en contact quasi permanent avec son équipe. Que ce soit par sms, par téléphone ou via des rendez-vous et des réunions. Les échevins le plébiscitent pour son expertise, son savoir, son expérience.

Un  » artisan de la solution  » dont le réseau aussi fait la force, lui qui baigne en politique depuis une dizaine d’années.  » En tant que proche de Benoît Lutgen (NDLR : président du CDH) et de Carlo Di Antonio (ministre wallon), Maxime était déjà bien introduit « , souligne le président du CPAS Philippe Defeyt (Ecolo). Et aujourd’hui, sa fonction de vice-président wallon  » facilite une série de contacts et la circulation rapide des informations « , constate Tanguy Auspert.  » Sur deux années, Maxime a obtenu plus de subsides pour Namur que certains prédécesseurs en vingt ans.  » Comme, récemment, les 200 000 euros promis par René Collin (CDH) au Tourisme pour le rachat de la tortue de bronze, oeuvre de l’artiste flamand Jan Fabre trônant au-dessus du confluent. Si son opposante à la Ville et alliée au gouvernement wallon Eliane Tillieux s’interroge là sur un certain conflit d’intérêts, l’humaniste, lui, se dit droit dans ses baskets.  » Il n’y a pas de cumul des salaires : je n’ai plus « un balle » de la Ville. J’ai même renoncé au jeton de présence. Je continue à être là pour une impulsion politique, que ce soit pour les arbitrages budgétaires ou les grands dossiers, mais plus pour les actes administratifs.  »

L’homme fort namurois tient à garder un oeil, et la main, sur les dossiers dits structurants, comme le téléphérique, la gare multimodale, le centre commercial ou les projets Feder (Fonds européen de développement économique et régional). Sans jamais laisser aucun chantier dans lequel il est intervenu se clôturer, ni s’inaugurer sans lui. Comme épingle le chef de file MR au conseil communal Bernard Guillitte,  » si ce n’est pas lui qui cuisine, il a donné la recette, le ton, et il met le doigt dans la sauce pour la goûter avant de l’envoyer en salle « . Maxime Prévot attire la lumière assez spontanément, déclare Anne Barzin :  » Il a le sens de la communication et de la politique. Mais il n’empêche personne de s’exprimer.  » Alors que d’autres bourgmestres cadenassent la com’, pour lui,  » le soleil doit briller pour tout le monde « , aime-t-il à répéter.

 » Tactiquement, c’est excellent !  »

Le début de législature a pourtant connu quelques couacs. Avec le marché hebdomadaire du samedi, qui a failli être déplacé au dimanche. Avec le règlement antimendicité. Avec la mort d’un SDF, l’hiver dernier, alors qu’il aurait été refusé à l’abri de nuit.  » Quand c’est pour la gloriole, il est là !, s’exclame Françoise Kinet. Quand ça ne va pas, il envoie les autres au casse-pipe.  » Des propos totalement infondés, rétorque Maxime Prévot :  » Ce n’est pas dans mon tempérament de fuir les difficultés. Concernant le sans-abri, je devais être prudent en tant que ministre de tutelle. Et je suis allé prendre les baffes quand il y a eu la consultation populaire pour le futur centre commercial alors que j’aurais pu rester en retrait.  »

Mais c’est aussi ces moments-là qui contribuent à lui tailler l’étoffe d’un bourgmestre. Anne Barzin se souvient de l’arrivée de l’ex-femme de Marc Dutroux, Michelle Martin, au couvent des Clarisses à Malonne à quelques semaines du scrutin de 2012. Alors figure de la jeune garde CDH, Maxime Prévot était maïeur depuis dix mois.  » Un beau coup politique. Un moment bien géré. Même si, en tant que responsable de la sécurité publique, il ne faisait qu’appliquer une décision de justice sur laquelle on n’avait aucune prise. Il a essayé de montrer qu’il le faisait bien. Et puis, en charge des Sports, il était tout le temps sur le terrain et buvait parfois un verre à la buvette. Personne ne pensait qu’il atteindrait ce niveau-là.  » Le résultat est historique : 13 459 voix ! Avant les 22 000 votes récoltés aux élections régionales.

Souvent, les regards sont braqués sur lui. Lui qui a su neutraliser ses adversaires communaux. En écartant Frédéric Laloux, un ténor socialiste, pour l’installer à la tête de l’association de promotion de la capitale wallonne Namur Europe Wallonie (NEW). En débauchant au moins un conseiller communal socialiste. Et en empêchant Françoise Kinet d’être candidate aux fédérales, assure cette ex-échevine avec qui l’entente est loin d’être cordiale.  » Il s’y est opposé par l’intermédiaire d’Anne Barzin qui a mis son veto. Le MR s’est privé de mon score, pensant faire un arrangement avec lui à la Région wallonne par la suite.  » Mais surtout, Maxime Prévot a fait de ses adversaires des alliés. Et vice versa. Le PS, son opposant à la Ville, est un partenaire régional. Tandis que le MR et Ecolo, alliés communaux, s’assoient sur les bancs adverses au parlement wallon.  » Tactiquement et politiquement, c’est excellent « , admire Pierre-Yves Dupuis. D’autant plus qu’il  » a fait tellement de voix que tout le monde le ménage en pensant au futur « , songe Françoise Kinet. Lui qui s’est rendu  » incontournable  » aux yeux de tous !

Un dossier de Sophie Mignon, coordonné par Philippe Berkenbaum

 » Si ce n’est pas lui qui cuisine, il met le doigt dans la sauce pour la goûter avant de l’envoyer en salle  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire