Stupide mais passionnant. Et très british… Le New Scientist publie un recueil de questions idiotes parues dans son courrier des lecteurs. Auxquelles il apporte toutefois des réponses sérieuses et pleines d’humour.
Dites un peu pour voir, c’est quoi le bruit des doigts qui craquent ? Comment font les mouches pour voler sous la pluie sans être assommées par les gouttes ? Pourquoi on ne rigole pas quand on se chatouille soi-même ? Pourquoi les oiseaux ne tombent-ils pas quand ils dorment ? Et d’abord, dorment-ils ?… Peut-être ces mystères de la nature vous ont-ils déjà tarabusté. Ils font partie de la longue liste des choses insignifiantes (mais parfois agaçantes) dont on se dit qu’un jour un savant fou viendra livrer la clé. Cette fois, c’est fait, grâce aux éditions du Seuil, qui publient la traduction française d’un livre anglais qui fait un carton outre-Manche. Pourquoi les manchots n’ont pas froid aux pieds ? rassemble en effet la quintessence des » colles » que les lecteurs du New Scientist, célèbre hebdomadaire scientifique britannique, ont soumises à la sagacité des chercheurs ou du grand public. Car la revue doit une part de son succès à sa rubrique intitulée The Last Word (le dernier mot), où d’aimables scientifiques et de joyeux amateurs apportent depuis des années des pistes intéressantes, souvent tout à fait rationnelles, sur des points essentiels pour mieux comprendre le vaste monde. Effort louable et, d’ailleurs, récompensé : toute explication plausible publiée dans le magazine vaut à son auteur un chèque de 25 livres (40 euros).
Pourquoi les manchots… inclut en outre le best of des questions de Mais qui mange les guêpes ?, première petite merveille du genre, qui avait créé la surprise en Grande-Bretagne en 2005 en squattant le haut des ventes durant plusieurs mois. Ainsi complété des réponses aux interrogations récurrentes du bon peuple (la plupart des gens veulent en effet savoir pourquoi le ciel est bleu et pourquoi les cheveux deviennent gris), il est donc de loin le livre le plus complet dans un registre qui, depuis, a fait des émules. De nombreuses revues ou émissions radiotélévisées ont repris la formule du New Scientist, souvent avec bonheur – tel le défunt programme Jongens en wetenschap (jeunes et science), présenté longtemps sur Radio 1 (VRT).
Alors, envie de savoir, comme Jack Walton (9 ans), si » c’est un hasard si les petits doigts rentrent exactement dans les narines » ? On devine que, selon l’âge ou l’occupation des lecteurs, leurs intérêts vont diverger. Erreur. Le monde animal, les soucis domestiques, le corps humain, l’alimentation sont autant de domaines très banals où s’expriment avec constance les interrogations du commun des mortels. Pour- quoi certains sacs en plastique sont-ils si bruyants ? D’où vient la douleur causée par le contact entre un plombage et un papier d’alu ? Pourquoi, dans les escalators, la bande sur laquelle on pose la main ne va pas à la même vitesse que l’escalier roulant ? Où disparaît la couleur des breuvages, puisque nos urines sont toujours jaunes ? Si la question de savoir » pourquoi l’eau chaude mise au congélateur gèle plus vite que la froide » reste un obscur mystère (posée plusieurs fois depuis 1969, elle n’a trouvé aucune explication satisfaisante), l’ouvrage est fier de pouvoir expliquer » pourquoi la bouche sèche quand nous sommes stressés « . Voilà, paraît-il, une réaction d’évitement. Dans une situation tendue, notre corps inhiberait toutes les fonctions inutiles, comme la digestion, facilitée par les glandes salivaires. » A quoi bon digérer son dernier repas, résume justement un lecteur, si on s’apprête à devenir celui d’un lion ? »
Il y en a là sans doute assez pour s’amuser des heures. Et s’il en fallait davantage, le filon reste inépuisable. Le site de la revue (www.newscientist.com) regorge de demandes provenant du monde entier. Pourquoi mes gnocchi flottent-ils, alors qu’ils sont plus lourds que l’eau ? (Slovénie) Combien devrais-je peser pour que mon corps amortisse une balle de revolver ? (Canada). A quoi on ajoutera volontiers ceci, resté jusqu’ici sans réponse : pourquoi un livre aussi stupide marche-t-il si bien ?
Valérie Colin