La secte chiite des nizarites, spécialisée dans l’assassinat politique, fascine l’Occident depuis les croisades.
Le Slovène Vladimir Bartol a ravivé leur souvenir avec son best-seller mondial, Alamut (1938) ; plus près de nous, une série de jeux vidéo à succès – Assassin’s Creed – imagine leur survie, ainsi que leur duel séculaire et occulte avec les Templiers pour le contrôle du destin de l’humanité…
En Occident, les assassins déchaînent les fantasmes depuis le temps lointain des croisades. Dans les forteresses des montagnes syriennes, rapportent alors des voyageurs occidentaux – dont le plus célèbre est Marco Polo -, vivent des musulmans à part : mangeant du porc, se vautrant dans la luxure, ils obéissent aveuglément à leur chef spirituel, le » Vieux de la montagne « . Lequel, après leur avoir remis un poignard en or, leur ordonne régulièrement d’aller tuer, au prix de leur vie, quelque important personnage. La clé du pouvoir de cet étonnant personnage ? Le hashish, qui rend ses disciples parfaitement dociles.
Ainsi naît au XIIe siècle la légende des assassins – de l’arabe » hashashin « , ceux qui consomment du hashish. Un nom appelé à un riche avenir en Occident, mais inconnu des vrais » assassins « , qui se nommaient en réalité les nizarites.
Cette communauté apparaît en Perse, à la fin du XIe siècle : à son retour du Caire, où il a étudié le chiisme ismaélien, un certain Hassan-i Sabbah y propage cette foi. Puis, avec une communauté de disciples, il s’empare de la forteresse d’Alamut, un nid d’aigle perché au nord de l’actuelle Téhéran. Quatre ans plus tard, le groupe fait sécession : rejetant le nouveau calife ismaélien du Caire, Al Hadi, ils prennent parti pour son frère aîné, Nizar, qui meurt bientôt en prison. Ceux qui s’appellent désormais les nizarites profitent alors de l’affaiblissement du califat abbasside de Bagdad pour se constituer un petit Etat ; en réalité, avant tout un réseau de forteresses de montagnes autour d’Alamut, allant à l’ouest jusqu’à Qadmus et Masyaf, au contact des Etats croisés de Syrie-Palestine.
Maîtres de l’infiltration, inventeurs du terrorisme
Bientôt, la communauté s’organise en société initiatique, dont la hiérarchie de sept grades culmine avec le » Vieux de la montagne « , Hassan-i Sabbah, puis ses successeurs. Ses membres, recrutés et endoctrinés dès l’enfance, se divisent par ailleurs en deux groupes : les da’ii prêchent et font une lecture ésotérique du Coran, dont ils cherchent un sens caché ; les fida’i ( » ceux qui ont donné leur vie « ) se spécialisent dans l’assassinat.
Car pendant cent cinquante ans, les nizarites vont faire trembler les puissants de la région. Electrons libres, ils tuent tantôt un vizir seldjoukide (Nizam al-Mulk, en 1092), tantôt un calife abbasside (Al-Mustarchid, en 1135). Et s’en prennent à l’occasion aux Francs : en 1192, Conrad de Montferrat, roi de Jérusalem, tombe sous leurs coups. Les assassins s’étaient pour l’occasion déguisés en moines. Maîtres de l’infiltration, méprisant leur propre mort, les nizarites ont inventé le terrorisme.
Vers 1260, les Mongols, à l’est, puis les mamelouks, à l’ouest, finiront par les déloger de leurs forteresses. Si les nizarites existent toujours, notamment en Inde, ils ne sont évidemment plus des assassins, simplement des ismaéliens d’Orient, réunis sous la houlette de l’Aga Khan.
Charles Giol