L’ultra-catholique s’en prend au député André Frédéric, qui l’a épinglé dans un ouvrage sur les organisations sectaires. Mais le prêtre est lui-même sévèrement mis en cause par un » collectif des victimes du père Samuel « . Surprise : le parquet de Charleroi veut de surcroît qu’il soit jugé pour viol par ruse, abus de confiance, exercice illégal de l’art de guérir et bien plus !
Samuel Ozdemir, alias Charles-Clément Boniface, alias aussi le » père Samuel » que l’on sait fort actif en Belgique, mène depuis les années 1990 ses batailles judiciaires panzers en tête. Ce prêtre, qui avait perdu toute reconnaissance de l’évêché de Tournai en 1990 et qui se présente comme dépendant du patriarcat d’Antioche (Liban), met en effet en lice un quatuor d’avocats pour tenter de » croquer » ses détracteurs. Lesquels semblent de plus en plus nombreux.
Ainsi, Samuel Ozdemir avait lancé des poursuites contre un Français, Alain D., aux mois de février et mars derniers devant le tribunal de police de Cambrai. Il reprochait à Alain D. d’avoir fait état, durant la procédure en cours pour son divorce, de l’influence qu’il disait délétère d’une secte et d’un gourou – lui-même – sur son épouse. Mais si ces poursuites avaient été déclarées nulles, on avait découvert à cette occasion l’existence d’un » collectif des victimes du père Samuel « , fondé en janvier 2010.
Avec pour leitmotiv : » Père Samuel : attention danger ! « , il avait soutenu Alain D. contre le prêtre, dont les longues messes données en latin chaque dimanche à Montignies-sur-Sambre tendent à le désigner au moins comme traditionaliste (certains le disent intégriste, mais il s’en est déjà défendu en arguant d’un » racisme » occidental séculaire contre l’Eglise orientale). Ce collectif est autant représenté dans l’Hexagone qu’en Belgique, bien que les » bases » de Samuel Ozdemir soient situées à Molenbeek-Saint-Jean (chapelle et asbl » Eglise Saint-André et Sainte-Rita « ) et à Montignies-sur-Sambre (église Saint-Antoine de Padoue, qu’il a rachetée aux Franciscains en 2001 pour 400 000 euros). Ce collectif, qui se fait volontairement prudent par crainte de représailles judiciaires, laisse par ailleurs apparaître peu de chose sur lui-même.
L’un de ses membres a cependant accepté de confier quelques considérations au Vif/L’Express, sous condition d’anonymat. Quel est l’objectif ? » Attirer l’attention sur les risques que le père Samuel représente. Et avoir gain de cause dans ce que nous dénonçons. A savoir qu’on se sent abusés au niveau de notre confiance. Escroqués. On pense aussi que certains d’entre nous ont été utilisés à leur insu pour faire du blanchiment d’argent, ce qui est devenu un moyen de pression contre eux. Il y a aussi eu beaucoup de souffrance au niveau des destructions familiales, divorces, rejet total d’enfants, de parents. Moi-même… Les mots tombent comme des couteaux.
Devenir son propre bourreau
Le prêtre serait de surcroît manipulateur : » Pour nous, il divise pour mieux régner et nous pensons même qu’il a pu dévoiler le contenu de confessions dans ce but. » Mais il est encore question » de relations sexuelles obtenues par la manipulation mentale. Nous estimons que nombre de ses fidèles féminines en ont été victimes, depuis trente ans. Nous pensons de plus que celles qui ne l’intéressent pas, ou plus, il les convainc de se marier à d’autres adeptes, choisis par ses soins « . Au total, » on se sent « violé » sur tous les plans. Dès qu’on est « hameçonné », on se croit tenu, à cause du démon qui n’est jamais bien loin et parce que le père Samuel est très cohérent. On ne peut le prendre en faute dans ses références religieuses et philosophiques. Mais nous, nous devenions nos propres bourreaux dans nos têtes. L’issue, c’est la destruction « .
Même au niveau financier, le collectif parle de » catastrophe « . » Quand vous en sortez, c’est impossible de survivre si vous n’avez personne pour vous aider. Si certains fidèles paraissent avoir reçu l’ordre de déshériter leurs enfants, au motif que, de toute façon, ceux-ci dilapideront quand même tout après leur mort, le père Samuel, lui, nous paraît avoir constitué une solide base financière. Il peut tout se permettre, tout oser. «
Au plan concret ou judiciaire, le collectif n’annonce aucune stratégie à ce stade. Prudence, toujours. Sauf à » vouloir permettre aux victimes qui sont seules, sans famille, sans amis, de ne pas rester isolées dans la peur. Le collectif peut même leur offrir une aide psychologique « .
Samuel Ozdemir subit aussi d’autres critiques. Il a ainsi été accroché dans un livre que le député socialiste André Frédéric vient de consacrer aux » Broyeurs de conscience » (1). Là comme ailleurs, le prêtre a la contre-attaque rude. Il vient d’engager une procédure contre le » Monsieur Anti-sectes » belge, qui est aussi l’ancien président du groupe parlementaire de travail dédié au sujet (juin 2004 – mars 2006), comme Le Vif/L’Express l’a appris. » Je suis extrêmement serein par rapport à cela « , nous a répondu André Frédéric, en refusant tout autre commentaire par respect du tribunal de première instance de Bruxelles. Lequel a reçu des conclusions de Mes Vincent Dusaucy et Michel Hubert (barreau de Charleroi), Julien Pierre (Liège) et Michel Graindorge (Bruxelles).
En très bref, ces avocats reprochent au député d’avoir consacré fautivement un chapitre à Samuel Ozdemir dans son ouvrage et de l’y taxer d’agissements sectaires sans en apporter aucune démonstration. D’ailleurs, rappellent-ils, même la Commission d’enquête consacrée aux sectes en 1997 n’avait cité leur client que de manière marginale et non en tant que gourou. Ils avaient donc cité André Frédéric à comparaître le 22 avril dernier pour s’y voir condamné au paiement de 25 000 euros de dommages et demander le retrait de son livre des librairies, avec astreinte de 500 euros par » infraction » constatée. L’audience en référé s’était déroulée sans écho médiatique, mais on apprend finalement que le tribunal a mis l’affaire au rôle, sans empressement.
Alors, dangereux gourou ou prédicateur atypique mais honnête, celui qui a prétendu dans le passé » posséder plus de 300 000 fidèles » (2), celui qui a affirmé avoir reçu » mystérieusement de l’ange Raphaël la révélation de [sa] vocation religieuse » en 1948 à l’âge de 6 ans (3), celui qui se fait exorciste à ses heures (même pour les véhicules automobiles) ?
Chef d’une organisation criminelle ?
Samuel Ozdemir traîne en tout cas de sulfureuses casseroles. Car, s’il est certes présumé innocent (et nie d’ailleurs tout en bloc), le parquet de Charleroi a quand même réuni de multiples suspicions contre lui. Il avait d’abord été inculpé pour le détournement supposé de 500 000 euros, en septembre 2008 à Charleroi. Mais Le Vif/L’Express a appris que le soupçon judiciaire s’est considérablement accru, après que la juge Laurence Lardinois eut achevé son instruction. Certes, l’audience de la chambre du conseil de Charleroi du 19 avril dernier a surtout été l’occasion pour ses avocats de demander des dizaines de devoirs complémentaires. Un éventuel jugement n’est donc pas pour tout de suite. Toutefois, il est apparu que le réquisitoire du parquet demande le renvoi en correctionnelle de douze personnes qui seraient, à cette aune, réunies dans une organisation criminelle dirigée par Samuel Ozdemir. Ses neveux ainsi que le trésorier de l’asbl » Eglise Saint-André et Sainte-Rita » sont entre autres visés. Comme Christian De Valkeneer, procureur du roi de Charleroi nous l’a confirmé, les suspicions sont nombreuses. Elles ne concernent pas toutes directement Samuel Ozdemir, mais vont en tout cas de l’attentat à la pudeur au viol par ruse en passant par le harcèlement, la célébration illégale de mariages, le vol, le recel, le blanchiment d’argent, l’abus de confiance, l’abus de biens sociaux, le faux et l’exercice illégal de l’art de guérir !
On verra ce que la justice en dira. Si ces suspicions ne s’avéraient pas, l’aura du prêtre en sortirait intacte. Dans le cas contraire, elles cerneraient en tout cas d’assez près les ingrédients classiques des organisations sectaires.
(1) Broyeurs de conscience, André Frédéric, Ed. Luc Pire, Bruxelles, 2010 (livre dont Le Vif/L’Express avait rendu compte le 5 mars 2010).
(2) Les Finances du Père Samuel, dans La Dernière Heure du 26 décembre 2001.
(3) Prêtre, guérisseur et exorciste, Pierre Guelff, Ed. Savoir pour Etre, Bruxelles, 1993.
ROLAND PLANCHAR
12 personnes poursuivies pour organisation criminelle