Même s’il s’est adouci au fil du temps, le valet noir de Saint Nicolas se fait de plus en plus rare, le 6 décembre. Pour le plus grand bonheur des petits. Et des grands?
Tout affublé de sombre, la bouille charbonneuse, comme les gueules noires de la mine, des grappes de grelots pour annoncer son arrivée, un martinet brandi en guise d’avertissement pour les garnements désobéisants… Le compagnon domestique de saint Nicolas est le croquemitaine, l’ogre de la légende. Celui qui joue le mauvais rôle. Le méchant de l’histoire! Qui n’a jamais été terrifié, dans sa tendre enfance, par ce satanique tanneur de fesses, dont les parents utilisaient l’image à l’envipour dompter leurs petits diables trop fougueux ?
Cela fait des siècles que le père Fouettard tourmente les marmots, principalement en Europe. On aurait retrouvé son origine dans le manuscrit d’un vieux commerçant de Metz, dans le nord-est de la France, datant de 1589. Dans ce livre, Hubert Birelet raconte qu’au cours du siège de la ville par les troupes de Charles Quint, en 1552, la corporation des tanneurs imagina un personnage grotesque et couvert de suie, à l’effigie de l’empereur, qui, armé d’un fouet, poursuivait les jouvencelles et les damoiseaux dans les rues. L’événement coïncida avec le cortège de Saint Nicolas, début décembre. L’évêque de Myre avait trouvé son « Mister Hyde ». La tradition se répandit partout en France et sur le continent.
On dit aussi que le père Fouettard est l’héritier de Hellequin (plus connu sous le nom de Harlaque en Wallonie). Apparu dans la culture populaire lors des grandes invasions germaniques, à partir du IVe siècle, ce chasseur sauvage et anthropophage, ce roi barbare à la tête d’une armée de fous, aux visages masqués ou noircis, hantant les forêts la nuit, est à l’origine de la « fête des fous » qui célébrait le solstice d’hiver durant le mois de décembre, dans le nord de l’Europe. Cette fête exutoire très ancienne, correspondant dans le calendrier à l’actuelle « période de fêtes », permettait de surpasser les craintes superstitieuses du solstice, quand le soleil « disparaît » pour de longs mois.
Qu’il s’appelle Zwarte Piet (Pierre le noir) en Flandre, Hans Trapp en Alsace (du nom du seigneur Hans von Tratt qui terrorisa la population de Wissembourg au XVe siècle), Krampus (crochet) en Autriche, Schwarzer Peter, Knechtruprecht (laquais) ou Pelzbock (bouc) en Allemagne, ou encore More (le Maure) aux Pays-Bas, le folklore du père Fouettard a entretenu, jusqu’à aujourd’hui, la menace des hommes noirs – Sarrasins, Maures, Nègres, selon les périodes de l’Histoire – pour évoquer des figures démoniaques. » Le christianisme ayant associé le noir à la notion de péché, il y a toujours eu, dans la culture occidentale, ambiguïté entre la figure du diable et celle de l’Africain infériorisé, esclave, explique Jean-Pierre Jacquemin, chercheur spécialisé en cultures africaines. On retrouve cette équivoque dans le jeu du valet noir, par exemple: la mauvaise carte, dont il faut absolument se débarrasser, est noire et correspond au valet, le serviteur… »
La mue
Le père Fouettard serait donc le démon que saint Nicolas a domestiqué et qui lui sert d’acolyte. Au fil du temps, il a perdu ses attributs diaboliques pour prendre des traits infantiles et serviles (c’est lui qui porte le sac de jouets du vieux saint et tire son âne). Aux Pays-Bas, où il reste très présent, il apparaît encore en habit de page, suscitant de plus en plus la polémique dans les milieux antiracistes et dans la communauté antillaise. En Belgique, par un processus d’autocensure, son image se raréfie, surtout en Wallonie. Dans le centre commercial City 2, à Bruxelles, cela fait deux ans que Saint Nicolas n’est plus accompagné de son compère noiraud. « Ce n’est pas à cause de la population d’origine immigrée, assure la direction du centre. Nous n’avons jamais eu de problème. Mais nous nous sommes rendu compte que les enfants avaient beaucoup trop peur du Père fouettard. » Peur d’un grand Noir? Décidément, l’imaginaire collectif a la peau dure!
Thierry Denoël